La gloire de la poste - Jeanne Cordelier

PUTAIN Parce que tu en as une !
LA GLOIRE Parfaitement Madame ! Une âme pure... Enfin, elle le serait si je n’avais
commis quelques délits...
L’ÉLOQUENT Des délits toi ! Et lesquels pour voir ?
LA GLOIRE J’ai honte...
L’ÉLOQUENT Accélère, le temps presse.
LA GLOIRE Tête basse et mordillant une des extrémités de sa cordelière. Je n’ai pas
comme certains brûlé des femmes dans ma cuisinière, moi, puisque aucune n’a
jamais consenti à franchir le seuil de mon logis... Soupir. J’ai fait pire.
MARIÉE À voir sa tête...
L’ÉLOQUENT Péremptoire. Garde-toi de juger les êtres sur leur apparence...
Poursuit La Gloire. De quel crime t’accuses-tu ?
LA GLOIRE Pendant trente ans, ce du premier au dernier jour, où sans faillir j’ai servi
la respectable administration publique qu’est la poste, j’ai volé des lettres d’amour...
Trente ans imaginez ! L’étendue du désastre est montrée. Je n’ai plus rien à ajouter.
MARIÉE Excusez, il vous a donc fallu les ouvrir toutes, car comment distinguer une
lettre d’amour d’une autre ?
LA GLOIRE Le parfum ! La lettre d’amour exhale un parfum particulier. Mettez-m’en
cent ici, et je vous fait le tri !
PUTAIN Quel nez ! Mais dis-moi mon gros lard, au lieu de t’accabler de reproches,
pense plutôt à ces histoires qui auraient fini tôt ou tard. Tu les as écourtées, voilà. Et
il n’y a pas là de quoi fouetter un chat. Faisant claquer son fouet, à Personne. Et
toi au lieu d’être là, à branler du poignet, déshabille-moi en commençant par le bas,
et très doucement, avec d’infinies précautions, chacun de tes gestes doit être
empreint de respect, comme si tu dévêtais une reine. D’ailleurs c’est une reine que
tu dévêts... Une reine dont le règne s’achève.
PERSONNE Tendant la main. Et que recevrais-je pour ça ?
PUTAIN Levant son fouet. Dix coups de fouet, si tu l’ouvres encore !
À genoux aux pieds de Putain, Personne commence à lui délasser ses bottes.
L’ÉLOQUENT Et bien La Gloire, qu’attends-tu pour te débarrasser de ton double
rideau ?
LA GLOIRE Dénouant avec difficulté la cordelière qui lui serre le cou. Laissez-moi
croire jusqu’au bout que j’ai porté la cape...
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