17.10.2012 Views

2006/10/14 samedi : LIMPARTIAL : LIMPARTIALLIMPARTIAL

2006/10/14 samedi : LIMPARTIAL : LIMPARTIALLIMPARTIAL

2006/10/14 samedi : LIMPARTIAL : LIMPARTIALLIMPARTIAL

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

2 e cahier<br />

Par<br />

Sixtine Léon-Dufour<br />

SAMEDI <strong>14</strong> OCTOBRE <strong>2006</strong><br />

LE FAIT DU JOUR<br />

Inconnu ou presque du<br />

grand public, c’est pourtant<br />

un grand Monsieur.<br />

Voilà trente ans que Muhammad<br />

Yunus se bat pour redonner<br />

leur dignité aux<br />

«humbles et aux sans-grade».<br />

Trente ans qu’avec la Grameen<br />

Bank (banque de village),<br />

cette banque des pauvres<br />

spécialisée dans le microcrédit,<br />

créée par lui en 1976<br />

au Bangladesh, qu’il martèle<br />

que la pauvreté dans le<br />

monde ne pourra pas être<br />

éradiquée avec seulement des<br />

dons et des bons sentiments.<br />

«La pauvreté<br />

n’a rien à voir<br />

avec une société<br />

humaine civilisée»<br />

Muhammad Yunus<br />

C’est son obstination à remettre<br />

des millions d’indigents<br />

sur la voie d’une spirale<br />

vertueuse en leur permettant<br />

de créer leur petite entreprise<br />

qui a été récompensée, hier,<br />

par le prix Nobel de la paix. En<br />

lui attribuant cette distinction,<br />

de même qu’à la Grameen<br />

Bank, le prestigieux jury<br />

d’Oslo a mis en lumière<br />

qu’«aucune paix durable ne peut<br />

être obtenue sans qu’une partie importante<br />

de la population trouve<br />

lesmoyensdesortirdelapauvreté»,<br />

a précisé son président,<br />

Ole Danbolt Mjoes.<br />

A 66 ans, Muhammad Yunus,<br />

«très fier», ne boudait pas<br />

son plaisir hier et a annoncé<br />

qu’il ferait don de sa récompense<br />

de 1,4 million de dollars<br />

à des bonnes causes. Encensé<br />

par Jacques Chirac et Bill Clin-<br />

ton, il «reste concentré humainement<br />

sur son objectif,entoutesimplicité<br />

et en sachant d’instinct déjouer<br />

les pièges de la vanité. On lui<br />

amaintesfois proposé des postes à<br />

responsabilité et très politiques, il a<br />

toujours refusé», explique Laurent<br />

Laffont, son éditeur, devenu<br />

un intime aujourd’hui.<br />

Avant de devenir ce «prêteur<br />

d’espoir», tel qu’il aime à se définir,<br />

Muhammad Yunus a<br />

nourri des ambitions plus banales:<br />

diplômé en économie<br />

de l’Université de Dacca, capitale<br />

du Bangladesh, puis de<br />

SUISSE MONDE SPORT<br />

ANTITERRORISME Tous les<br />

partis critiquent en procédure<br />

de consultation le durcissement<br />

des mesures.<br />

page 18<br />

l’université américaine de Vanderbilt.<br />

Toutefois, plutôt que<br />

d’enseigner aux Etats-Unis, situation<br />

probablement plus<br />

confortable, il choisit de revenir<br />

à Dacca en 1974, dans un<br />

pays tout juste indépendant et<br />

déjà exsangue. Mais chaque<br />

jour qui passe, il mesure le décalage<br />

entre les théories économiques<br />

qu’il enseigne et le<br />

dramedelapauvreté.<br />

En 1976, ulcéré par les taux<br />

pratiqués par les usuriers, Muhammad<br />

Yunus prête un total<br />

de 27 dollars à quarante-deux<br />

CORÉE DU NORD Les<br />

Nations unies se mettent<br />

d’accord sur des sanctions<br />

tout en excluant la force.<br />

page 19<br />

femmes d’un petit village du<br />

Bangladesh. La Grameen<br />

Bank, premier organisme de<br />

microcrédit au monde, est<br />

née. Depuis, elle a prêté 5 milliards<br />

de dollars à un peu plus<br />

de 6 millions de personnes.<br />

Idée pionnière<br />

Un comble: à l’exception<br />

de trois années noires, elle a<br />

toujours dégagé des bénéfices.<br />

De l’Asie à l’Amérique latine<br />

en passant par l’Afrique,<br />

cette idée pionnière, qui consiste<br />

à octroyer de petites<br />

sommes destinées essentiellement<br />

à être investies dans le<br />

petit commerce, a fait des<br />

émules. Avec Muhammad Yunus,<br />

les pauvres, jusqu’alors<br />

exclus des systèmes financiers<br />

traditionnels, ont eu enfin<br />

droit au leur. Sûr et de bonne<br />

qualité.<br />

Un système qui leur permet<br />

de retrouver une certaine dignité<br />

et de valoriser «l’esprit<br />

d’entreprise qui sommeille en tout<br />

homme», explique Muhammad<br />

Yunus, qui a toujours prôné<br />

des idées libérales.<br />

TENNIS Battue,<br />

Patty Schnyder<br />

attend toujours son<br />

premier titre <strong>2006</strong>.<br />

page 24<br />

Le banquier des pauvres<br />

NOBEL DE LA PAIX Le prix revient cette année à Muhammad Yunus. Ce Bangladais de 66 ans, qui aime à<br />

se définir comme un «prêteur d’espoir», est à l’origine du premier organisme de microcrédit, la Grameen Bank<br />

Par<br />

Salim Mia<br />

Plus de six millions de<br />

Bangladais déshérités –<br />

surtout des femmes de<br />

foyers ruraux sans terre –<br />

sont sortis de la misère grâce<br />

au microcrédit inventé par<br />

Muhammad Yunus.<br />

L’histoire de Roushanara<br />

constitue l’un des succès de la<br />

Grameen Bank, qui a permis à<br />

des millions d’exclus du système<br />

bancaire traditionnel de<br />

mener une activité indépendante.<br />

Agée de 30 ans,<br />

Roushanara labourait les<br />

champs. A la mort de son<br />

père, elle et sa mère se retrouvent<br />

sans le sou. Auparavant,<br />

la famille avait perdu sa maison,<br />

emportée par des intempéries.<br />

«Nous avons contracté notre<br />

premier prêt pour acheter vingt<br />

poules et des canards. Sinon, nous<br />

Près de Dacca, Muhammad Yunus explique à des villageoises bangladaises les avantages du microcrédit, un système qui<br />

leur permet de retrouver une certaine dignité. PHOTO KEYSTONE<br />

«Je suis heureuse d’exister socialement»<br />

serions des mendiants aujourd’hui»,<br />

raconte-t-elle. «Ma<br />

mère et moi gagnions moins d’un<br />

dollar par jour pour creuser la<br />

terre. Notre vie était très difficile.<br />

Nous étions des vagabonds, mais<br />

aujourd’hui nous avons un toit et<br />

nous gagnons <strong>10</strong>0 dollars par<br />

mois», explique-t-elle.<br />

Critiques<br />

Certains experts ont cependant<br />

critiqué le microcrédit,<br />

jugeant qu’il laissait de côté<br />

les «plus pauvres parmi les pauvres»<br />

sans s’attaquer aux vraies<br />

racines économiques de la misère.<br />

Mais Roushanara n’en croit<br />

pas un mot. Après avoir réussi<br />

à vendre ses poules et ses canards,<br />

elle a contracté un autre<br />

emprunt pour louer une<br />

parcelle de terre et y cultiver<br />

du riz. Elle a même obtenu un<br />

troisième prêt pour acheter<br />

un moteur qu’elle installe sur<br />

un tracteur pendant la saison<br />

sèche et sur un bateau pendant<br />

la mousson.<br />

«Nous gagnons de plus en plus<br />

d’argent. Nous avons acheté deux<br />

lopins de terre pour le riz et pour<br />

notre maison. Je suis heureuse aujourd’hui.Avantjeneméritais<br />

aucun respect, maintenant j’existe<br />

socialement», explique-t-elle.<br />

Quelque 96% des clients<br />

de la banque sont des femmes,<br />

la plupart de foyers de<br />

paysans sans terre. L’éradication<br />

de la pauvreté chez<br />

les femmes est une priorité,<br />

explique l’établissement.<br />

Les femmes sont «d’astucieux<br />

entrepreneurs», juge la<br />

Grameen Bank, qui dit leur<br />

faire plus confiance qu’aux<br />

hommes pour ne pas gaspiller<br />

les fonds prêtés. Les<br />

prêts débloqués sont remboursés<br />

au bout d’un an<br />

avec un taux de recouvrement<br />

de 98%.<br />

Plus de six millions d’habitants du Bangladesh ont contracté<br />

des prêts. La moitié des 130 millions de Bangladais<br />

vivent avec moins d’un dollar par jour. PHOTO KEYSTONE<br />

Les emprunteurs peuvent,<br />

par exemple, développer leur<br />

élevage de chèvres ou de poulets,<br />

faire du tissage, des poteries,<br />

de la tapisserie. D’autres<br />

achètent des triporteurs, des<br />

pièces mécaniques et même<br />

des téléphones portables.<br />

«Sans prêt, je serais restéun serveur<br />

de thé, parce que je n’avais<br />

aucun moyen de changer de vie»,<br />

témoigne Dilip Kumar<br />

Devnat, qui est âgé d’une trentaine<br />

d’années. «J’étais très pauvre.<br />

Je mangeais juste une fois par<br />

jour et les créanciers me refusaient<br />

Pragmatique, «c’est loin d’être<br />

un mystique», précise Laurent<br />

Laffont. Muhammad Yunus est<br />

aussi un infatigable innovateur.<br />

Inlassablement, il teste<br />

toutes les expériences possibles<br />

pour lutter contre la pauvreté,<br />

«parce qu’elle n’a rien à<br />

voir avec une société humaine civilisée».<br />

Après des prêts aux étudiants<br />

ou aux mendiants, il a<br />

récemment équipé en portables<br />

des milliers de «Grameen<br />

telephone ladies» qui, tout en<br />

exerçant une activité profitable<br />

de location, permettent à<br />

des paysans ou à des pêcheurs<br />

de vendre au meilleur prix<br />

leurs produits.<br />

Distribuer des yaourts<br />

Sa dernière invention? Grameen<br />

Danone Food, une entreprise<br />

détenue à 50 /50 avec<br />

le groupe de Franck Riboud,<br />

dont la mission sera de distribuer<br />

des yaourts aux populations<br />

mal nourries et de créer<br />

des centaines d’emplois pour<br />

des fermiers et des ouvriers.<br />

«Toujours avec simplicité et une<br />

extraordinaire capacité de pédagogie,<br />

je l’ai vu arriver à convaincre<br />

lesgrandsdecemonde»,sesouvient<br />

Maria Nowak, disciple et<br />

admiratrice de la première<br />

heure, fondatrice en France<br />

de l’Adie, un réseau de microcrédit.Ilestvraique,grâceàlaténacité<br />

de Muhammad Yunus,<br />

«les banquiers aux pieds nus» se<br />

sont imposés auprès de toutes<br />

les grandes institutions internationales<br />

comme l’une des<br />

solutions pour réduire le fossé<br />

entre riches et pauvres, leur action<br />

permettant d’adoucir la<br />

confrontation entre Nord et<br />

Sud. C’est aussi ce qu’entendait<br />

saluer, au travers de Muhammad<br />

Yunus, l’Académie<br />

suédoise. /SLD-Le Figaro<br />

le moindre prêt», ajoute-t-il.<br />

Après avoir bénéficié de crédits<br />

de la Grameen Bank, Dilip<br />

Kumar Devnat a monté<br />

son échoppe de thé, puis il a<br />

acheté un réfrigérateur. Le<br />

succès venant, il a contracté<br />

deux emprunts supplémentaires<br />

pour acheter un portable<br />

et ouvrir une papeterie.<br />

Projet pilote<br />

Le projet pilote de la Grameen<br />

Bank a démarré entre<br />

1976 et 1979 puis s’est développé<br />

dans tout le pays<br />

dans les années 1980. Aujourd’hui,<br />

ce sont 800 ONG<br />

et quatre banques qui font<br />

du microcrédit au Bangladesh.<br />

Plus de six millions d’habitants<br />

de ce pays ont contracté<br />

des prêts. La moitié<br />

des 130 millions de Bangladais<br />

vivent avec moins d’un<br />

dollar par jour. /SMI-afp

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!