Mise en page 1 - Algérie news quotidien national d'information
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Décryptage<br />
13<br />
d’écrivains, sollicita de la c<strong>en</strong>sure allemande l’autorisation de<br />
faire jouer sa pièce Le Mal<strong>en</strong>t<strong>en</strong>du.<br />
Comme beaucoup de Français de cette époque (1940-43),<br />
Camus était soucieux d’avoir deux fers au feu. Or, à partir du<br />
mom<strong>en</strong>t où il apparaissait probable que l’Allemagne était <strong>en</strong><br />
train de perdre la guerre, surtout après Stalingrad, cette capitulation<br />
<strong>en</strong> rase campagne pouvait être du pire effet si le fait<br />
était r<strong>en</strong>du public. Or tout finit par se savoir. Il fallait donc<br />
faire de la sur<strong>en</strong>chère et s’<strong>en</strong> pr<strong>en</strong>dre à l’autre totalitarisme,<br />
affaire à la fois juteuse et bi<strong>en</strong> moins risquée. La Gestapo était<br />
proche mais le KGB était à des milliers de kilomètres. Ce n’est<br />
sûrem<strong>en</strong>t pas la seule raison à la frénésie anticommuniste de<br />
Camus, mais on ne saurait l’écarter. Surtout que le monde<br />
socialiste (l’URSS et la Chine populaire) allait sout<strong>en</strong>ir la<br />
révolution algéri<strong>en</strong>ne alors que les forces de l’Otan<br />
appuyai<strong>en</strong>t l’armée française. Dans son livre « La Nuit coloniale<br />
», Ferhat Abbas atteste à quel point le souti<strong>en</strong> de l’URSS,<br />
des pays socialistes et surtout de la Chine fut ess<strong>en</strong>tiel dans la<br />
victoire politique des indép<strong>en</strong>dantistes algéri<strong>en</strong>s.<br />
Le 1 er novembre 1954, l’aile activiste du mouvem<strong>en</strong>t <strong>national</strong><br />
allume la mèche de la guerre de libération <strong>national</strong>e. Du<br />
côté français, la guerre va être m<strong>en</strong>ée sous le double signe de<br />
la répression et de la torture. Alors que les intellectuels parisi<strong>en</strong>s<br />
se mobilis<strong>en</strong>t contre une pratique avilissante, dégradante<br />
qui exhibe la barbarie française, Camus ne pr<strong>en</strong>d pas<br />
part à cette campagne contre la torture. Sollicité par Jérôme<br />
Lindon, patron des éditions de Minuit, pour signer un communiqué<br />
dénonçant la torture <strong>en</strong> compagnie d’André<br />
Malraux, de Roger Martin du Gard et de Jean-Paul Sartre,<br />
Camus refuse « par lettre » de s’associer à cette démarche.<br />
Camus pratique un humanisme « à deux poids deux mesu<br />
res », un humanisme pour hommes blancs qui ne saurait<br />
Camus partage les clichés et les<br />
stéréotypes de la gauche mollétiste<br />
sur le <strong>national</strong>isme arabe et l’islam.<br />
Quoi qu’il <strong>en</strong> soit, toute la<br />
philosophie anti-totalitaire de<br />
Camus l’exposait à se mépr<strong>en</strong>dre<br />
sur le s<strong>en</strong>s de l’insurrection<br />
algéri<strong>en</strong>ne.<br />
ythe<br />
avoir <strong>en</strong>t<strong>en</strong>du Yasmina Khadra, Djemai ou Maissa Bey lui r<strong>en</strong>dre<br />
hommage et pas davantage r<strong>en</strong>dre hommage à Jean Sénac.<br />
Je ne crois pas non plus les avoir <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dus évoquer H<strong>en</strong>ri<br />
Curiel ou les Europé<strong>en</strong>s d’<strong>Algérie</strong> qui ont milité au sein du<br />
FLN tant qu’a duré le combat libérateur. Ce sont pourtant<br />
ceux-là nos véritables frères, et non pas un Camus qui plaidait<br />
pour le mainti<strong>en</strong> du statu quo colonial, qui ne pouvait p<strong>en</strong>ser<br />
l'humanisme que dans le cadre français d'<strong>Algérie</strong>. Mais dès<br />
qu’il s’agit de célébrer le Camus, humaniste, critique du stalinisme,<br />
alors là on est <strong>en</strong> verve, on ne tarit pas d’éloges dans<br />
une prose qui puise sa sève dans l’abreuvoir universel des clichés<br />
les plus éculés. Mais il vaut la peine d’expliquer pourquoi<br />
Camus suit l’itinéraire qui le mène de l’<strong>en</strong>gagem<strong>en</strong>t communiste<br />
à un anticommunisme obsessionnel, et de son texte poignant<br />
sur « La Misère de la Kabylie » à ses décevantes «<br />
Actuelles III ».<br />
Pour des raisons complexes, Camus, à partir du début des<br />
années 1940, devi<strong>en</strong>t un adversaire farouche du communisme.<br />
Mais le totalitarisme, ce n’est pas seulem<strong>en</strong>t le stalinisme,<br />
c’est aussi le nazisme. Or, Camus a vécu la période de<br />
l’Occupation nazie. Ses deux premiers livres paraiss<strong>en</strong>t, <strong>en</strong><br />
1942, à un mom<strong>en</strong>t où le débat fait rage sur l’opportunité de<br />
publier sous occupation allemande. Camus n’a pas à l’époque<br />
ces pudeurs et assoiffé de gloire et de reconnaissance, il est<br />
prêt à tout pour se propulser sous les « feux de la rampe ».<br />
Dans la première édition du « Mythe de Sisyphe », on chercherait<br />
vainem<strong>en</strong>t le chapitre sur Kafka. Et pour cause il a été<br />
c<strong>en</strong>suré par les fonctionnaires vigilants de la Propaganda<br />
Staffel. Ces commis zélés de l’ordre nazi ont demandé à l’éditeur<br />
de supprimer cette étude sur cet écrivain juif pragois et<br />
Camus a cons<strong>en</strong>ti à cette coupure. Voilà comm<strong>en</strong>t dans un<br />
courrier daté du 7 mars 1942 adressé à Jean Gr<strong>en</strong>ier, son exprofesseur<br />
de philosophie de l’Université d’Alger, il annonce<br />
le fait : « L’Etranger, m’a écrit Gallimard, doit paraître ce<br />
mois-ci ou le prochain. Il (c’est-à-dire Gaston Gallimard)<br />
accepterait aussi de publier mon essai (il s’agit du Mythe de<br />
Sisyphe), mais il y a un chapitre (sur Kafka) qui ne peut passer<br />
». Une note dans le livre explique que « le chapitre sur<br />
Kafka, écarté <strong>en</strong> raison de la politique antijuive de<br />
l’Allemagne et du gouvernem<strong>en</strong>t de Vichy, sera rétabli dans<br />
les éditions ultérieures ». Si l’on n’y pr<strong>en</strong>d garde, cette note,<br />
jolim<strong>en</strong>t faite, blanchit complètem<strong>en</strong>t Camus de la reculade<br />
<strong>en</strong> rase campagne devant les oukases de la c<strong>en</strong>sure allemande.<br />
Or, il me semble bi<strong>en</strong> que l’on est responsable de ses écrits et<br />
qu’un certain nombre d’auteurs, Bernanos par exemple, ont<br />
refusé de publier tant que la France serait zone d’occupation.<br />
Cela s’appelle avoir des principes et les exprimer de surcroît<br />
avec un panache qui semble passer au-dessus de la tête de cet<br />
ambitieux qui semblait prêt à tout sacrifier pour arriver. Dans<br />
son livre « Une si douce Occupation » (Albin Michel), l’histori<strong>en</strong><br />
Gilbert Joseph décrit ainsi Camus. « Camus dev<strong>en</strong>ait si<br />
pressé de parv<strong>en</strong>ir qu’il n’observait plus la réserve et le détachem<strong>en</strong>t<br />
nécessaires ». De plus, Camus « brigua, à l’occasion<br />
de la parution de L’Etranger, la bourse <strong>national</strong>e de voyage littéraire<br />
décernée par le ministère de l’éducation <strong>national</strong>e de<br />
Vichy ; elle lui fut refusée ». Enfin, Camus, comme nombre<br />
ALGERIE NEWS Samedi 17 août 2013<br />
s’ét<strong>en</strong>dre aux Algéri<strong>en</strong>s insurgés pour la libération de leur<br />
patrie. Mouloud Mammeri a eu ce mot pour qualifier la position<br />
de Camus : « Camus a basculé dans le s<strong>en</strong>s de ses viscères<br />
». C’est ainsi qu’il interprétait la fameuse (et malheureuse)<br />
formule prononcée lors de son séjour <strong>en</strong> Suède pour la réception<br />
du prix Nobel : «Je crois à la justice mais je déf<strong>en</strong>drai ma<br />
mère avant la justice». On l’a dit, Camus ne se prés<strong>en</strong>te pas du<br />
reste comme Algéri<strong>en</strong>, il est né <strong>en</strong> <strong>Algérie</strong>, c’est différ<strong>en</strong>t. Il le<br />
dit clairem<strong>en</strong>t au moins <strong>en</strong> deux occasions. Dans ses «<br />
Actuelles III », il note : « Français de naissance et, depuis 1940,<br />
par choix délibéré, je le resterai jusqu’à ce qu’on veuille cesser<br />
d’être Allemand ou russe » et une autrefois au mom<strong>en</strong>t de la<br />
réception du Prix Nobel, il se félicite qu’on ait honoré <strong>en</strong> lui<br />
le Français d’<strong>Algérie</strong>. Les camarades algéri<strong>en</strong>s de Camus<br />
n’exigeai<strong>en</strong>t nullem<strong>en</strong>t de lui qu’il cessât d’être Français, comm<strong>en</strong>t<br />
l’euss<strong>en</strong>t-ils pu ? On lui demandait, <strong>en</strong> demeurant français,<br />
d’appuyer un combat libérateur qui s’<strong>en</strong> pr<strong>en</strong>ait, non pas<br />
à la France ou aux Français, mais au colonialisme, ce qui est<br />
tout à fait différ<strong>en</strong>t. Autrem<strong>en</strong>t, comm<strong>en</strong>t compr<strong>en</strong>drait-on<br />
que des Français qu’aucun li<strong>en</strong> n’attache à l’<strong>Algérie</strong>, de<br />
croyances, de confessions différ<strong>en</strong>tes, d’<strong>en</strong>gagem<strong>en</strong>ts politiques<br />
différ<strong>en</strong>ts, ont appuyé le combat libérateur des<br />
Algéri<strong>en</strong>s. Francis Jeanson, H<strong>en</strong>ri Curiel, Chaulet, H<strong>en</strong>ri<br />
Alleg, Maurice Audin sans compter tous ceux qui ont<br />
dénoncé la torture, comme Vidal-Naquet, Pierre-H<strong>en</strong>ri<br />
Simon, H<strong>en</strong>ri Teitg<strong>en</strong>, H<strong>en</strong>ri Irénée Marrou, etc. La trajectoire<br />
de Jean Sénac ressemble à s’y mépr<strong>en</strong>dre à celle de Camus.<br />
Tous deux nés pauvres, tous deux europé<strong>en</strong>s d’<strong>Algérie</strong>, tous<br />
deux de mère femme de ménage, ils ont évolué différemm<strong>en</strong>t.<br />
Sénac est la meilleure preuve qu’un choix révolutionnaire <strong>en</strong><br />
faveur de l’indép<strong>en</strong>dance était tout à fait possible et même<br />
réel. Or, contrairem<strong>en</strong>t à Sénac, Camus ti<strong>en</strong>t <strong>en</strong> piètre estime<br />
le mouvem<strong>en</strong>t <strong>national</strong> algéri<strong>en</strong> et ses leaders. Intoxiqué par<br />
la propagande officielle, il croit que le Fln est inféodé à<br />
l’Egypte et qu’il déf<strong>en</strong>d la cause panarabe et panislamique. Or<br />
Camus partage les clichés et les stéréotypes de la gauche mollétiste<br />
sur le <strong>national</strong>isme arabe et l’islam. Quoi qu’il <strong>en</strong> soit,<br />
toute la philosophie anti-totalitaire de Camus l’exposait à se<br />
mépr<strong>en</strong>dre sur le s<strong>en</strong>s de l’insurrection algéri<strong>en</strong>ne. N’avait-il<br />
pas écrit : « Quand l’opprimé pr<strong>en</strong>d les armes au nom de la<br />
justice, il fait un pas sur la terre de l’injustice ». Souscrire à ce<br />
g<strong>en</strong>re de formule, c’est cons<strong>en</strong>tir à l’ordre colonial. Si les<br />
Algéri<strong>en</strong>s avai<strong>en</strong>t fait leur la vision du monde de Camus, ils<br />
serai<strong>en</strong>t <strong>en</strong>core sous le joug colonial qui a brisé des millions<br />
de vies humaines. L’humanisme dont Camus nous a rebattu<br />
les oreilles conduit à des tragédies aussi graves que les crimes<br />
stalini<strong>en</strong>s.<br />
O. M.