Remacle vu par François Walthéry (1988) - © Bédésup / Walthéry Remacle vu par Eddy Ryssack (1962) - © Dupuis / Ryssack 10
Heureusement que l’on connaît l’esprit facétieux de Delporte et son sens du raccourci pittoresque : la référence au personnage de Barbe-Noire est évidente et le mot « satanique » est lâché : non seulement Remacle n’est pas commode, mais voilà qu’il fait peur à présent ! Devons-nous pour autant le diaboliser à notre tour, même par simple boutade ? Évidemment non : sauf dans certains cas extrêmes, il est ridicule et irrationnel de diaboliser qui que ce soit sans réellement le connaître. Efforçons-nous plutôt, témoignages à l’appui, de cerner l’homme au plus près sans verser dans la caricature. Son épouse Raymonde, qui partagea sa vie pendant près de cinquante ans, le connaissait évidemment mieux que quiconque : « C’était quelqu’un de têtu, dit-elle, râleur et en même temps très modeste, qui n’a jamais travaillé avec l’argent comme but principal, mais juste pour le plaisir de dessiner et de raconter des histoires. Il n’avait pas d’atelier, il travaillait sur la table du living pendant que j’étais occupée à autre chose. Les enfants étaient tellement habitués à voir leur père dessiner qu’ils n’y prêtaient pas beaucoup d’attention. Ils lisaient Spirou, bien sûr, mais ils ne faisaient jamais aucun commentaire. Moi j’aimais bien ses histoires, mais je n’ai jamais essayé de lui donner des idées. D’ailleurs il ne les aurait jamais acceptées ! Je me souviens qu’un jour je trouvais qu’il avait mis trop de noir dans un de ses dessins, et j’ai eu le malheur de le lui dire. Il m’a tout de suite répondu que je n’y connaissais rien, et ça a été fini, je ne me suis plus jamais occupée de son travail. Mais mon mari était surtout un homme très, très timide ! Ça lui a d’ailleurs joué de vilains tours parce qu’il avait presque toujours l’air sévère, mais il pouvait être rigolo, vous savez, et bouteen-train quand il se sentait à l’aise dans un petit groupe de personnes. » (15) Timide : voilà peut-être le qualificatif qui lui correspond le mieux et qui explique l’attitude peu engageante qui le caractérise. Il l’avoue d’ailleurs lui-même lorsqu’il évoque ses relations avec les ténors du journal Spirou : « On formait une grosse famille où je me sentais un peu complexé. J’étais très réservé. » (4) François Walthéry se souvient : « C’est un homme qui ne se montrait pas, un misanthrope d’après ce que j’ai pu constater les trois ou quatre fois que je l’ai rencontré. Je le connaissais, je parlais toujours un peu avec lui à la rédaction de Spirou au temps de Delporte, quand il venait livrer ses planches. Il était assez bougon et renfermé, c’était son caractère, il était comme ça, avec un air sévère qui le faisait ressembler à Barbe-Noire ! Barbe-Noire, son père et son grand-père c’est un peu Remacle à tous les âges, non ? » (17) Il ne croit pas si bien dire, l’ami François, comme en témoigne cette petite histoire savoureuse racontée par Remacle lui-même à un journaliste lors d’une interview : « Vous trouvez que je ressemble à Barbe-Noire ? Il m’est arrivé un jour une anecdote extraordinaire. Avec mon épouse, on habitait à Bruxelles, Charles Dupuis m’ayant demandé de me rapprocher de la rédaction du journal. Nous n’avions jamais parlé à nos voisins avant d’entrer en contact avec eux pour une histoire de colis à réceptionner pendant notre absence. Nous avons ainsi fait connaissance. Et quand il a appris mon métier, le voisin m’a dit : « Alors c’est vous qui dessinez… C’est fou ! Je suis abonné à Spirou. Et voilà deux ans qu’avec ma femme on vous surnommait Barbe-Noire ! » (4) 11