Remacle à 40 ans, dans le jardin de sa maison à Haltinne (1966) Un petit théâtre burlesque... © Dupuis / Remacle 44
plus : la campagne namuroise. « Plus tard, dira Raymonde, il a même voulu aller vivre dans les Ardennes, mais moi je ne voulais pas trop m’éloigner de mes enfants. J’aimais bien Bruxelles, mais mon mari ça ne lui plaisait pas. On l’avait un peu forcé d’y aller… » (15) Exit Hultrasson, Remacle va désormais consacrer tout son temps à Barbe-Noire. L’inspiration comique ne lui manque pas et il entend bien tirer parti de toutes les idées qui se bousculent dans sa tête. À presque 40 ans, il est à l’apogée de son savoir-faire et le journal Spirou va se remplir de ses dessins, y compris en première page puisque le magazine changera de formule en 1965, optant pour une grande illustration de couverture. Pendant la seconde moitié des années 60, sa production est telle qu’il parvient à publier pas moins de 7 grandes histoires en 44 planches qui, toutes, feront l’objet d’un album : « Le trois-mâts fantôme » (1965), « Hultrasson chez les Scots » (1965), « Les boucaniers » (1966), « Hultrasson perd le Nord » (1966), « Barbe-Noire et les Indiens » (1967), « Les commandos du Roy » (1968) et « Barbe-Noire aubergiste » (1970). Marcel Denis, Vicq et Maurice Tillieux lui sont bien sûr d’une aide appréciable, mais son rythme de travail n’en est pas diminué pour autant. « De temps en temps, dit-il, j’aime réaliser de courtes histoires sans fil conducteur mais où les gags sont nombreux. » (3) Les neuf mini-récits qu’il dessine de 1960 à 1965 démontrent en effet que le gag le séduit bien plus que l’intrigue proprement dite. La suite de sa carrière le confirmera d’ailleurs : pendant les vingt-cinq années qui suivront, Remacle va fournir à Spirou pas moins de 43 « courts-métrages » humoristiques consacrés pour la plupart aux déboires de Barbe-Noire et de son grand-père, tantôt sur terre, tantôt sur mer, tantôt derrière les murs d’un pénitencier dont ils ne cherchent qu’à s’évader. Le tout représente un total de 272 planches, dont plus de 80 % seront reprises en albums : « Les mésaventures de Barbe-Noire » (1969), « Les nouvelles mésaventures de Barbe-Noire » (1976), « Sous les voiles » (1979), « Barbe-Noire, Hercule et Cie » (1981) et « Barbe-Noire prend des risques » (1983). Preuve supplémentaire – et paradoxale vu l’image qu’il donne de lui-même – que Remacle est moins un conteur qu’un humoriste, ces historiettes constituent une espèce de soupape lui permettant de donner vie aux nombreux gags qui lui passent par la tête et qu’il n’aura jamais la possibilité d’inclure à ses grands récits. La bande dessinée et le cinéma sont deux modes d’expression que nombre d’exégètes ne se privent pas de mettre en parallèle tant leurs convergences sautent aux yeux. Mais quand on examine l’œuvre de Remacle, c’est plutôt le théâtre qui vient à l’esprit, un théâtre burlesque constitué de scènes davantage conçues pour focaliser l’attention sur la gestuelle et le texte que sur le montage et les effets de caméra. À l’exception des navires, toujours rendus avec beaucoup de réalisme, les décors se limitent souvent à de simples toiles de fond sans véritable profondeur de champ, devant lesquelles se meuvent les pantins d’une comédie sciemment codifiée. Ignorant la beauté corporelle, Remacle fait de ses personnages des caricatures de marionnettes aux attributs interchangeables, tant sur le plan physique que vestimentaire, comme s’ils étaient rangés dans une armoire, toujours prêts à être réassemblés au gré de ses besoins. Mais si ce schématisme disharmonieux confère à son dessin une incontestable raideur, il se révèle, en revanche, très efficace sur le plan de la lisibilité, particulièrement lors des scènes que lui inspire le dessin animé. 45