" L’or du " El Terrible " (1964) © Remacle " Le trois-mâts fantôme " (1965) © Remacle " La prise de Canapêche " (1971) © Remacle 36
Le gag à tout prix Marcel Remacle possède une qualité que lui envieraient pas mal de ses confrères : il est ambidextre. Cela signifie que sa main gauche, ignorant ce que fait sa main droite (façon de parler), peut tenir un crayon avec autant d’habileté. Cette faculté ne lui permet cependant pas de travailler deux fois plus vite, et pourtant… Les années 60 seront de loin les plus fécondes de sa carrière : de 1961 à 1970, il aura publié 19 albums et fourni plus de 950 planches au journal Spirou, soit plus de la moitié de sa production totale. Faut-il pour autant conclure à une sorte d’âge d’or des aventures du vieux Nick ? Oui et non : Remacle produit beaucoup, mais il déconcerte. Habitué à ce que son magazine lui offre des aventures ayant pour héros des personnages auxquels il aime s’identifier, le lecteur de Spirou découvre une série burlesque bien éloignée des schémas humanistes et culturels qu’on lui sert à l’époque. Un phénomène de mode consiste de nos jours à railler les bons sentiments, voire à les considérer comme vulgaires, mais c’est loin d’être le cas dans les années 60, particulièrement dans un journal comme Spirou qui cultive l’esprit boy-scout sous l’impulsion de la très catholique famille Dupuis. Rien de cela chez Remacle, qui fait du « mauvais » le protagoniste central de ses histoires, prenant davantage plaisir à le ridiculiser qu’à le diaboliser. Situé aux antipodes d’un Rastapopoulos ou d’un Zantafio, Barbe-Noire affiche une nature puérile qui se traduit par des larmes, des colères capricieuses et des lamentations, au grand désespoir de bon-papa qui rêvait d’en faire le plus grand pirate de tous les temps : « Je fondais des espérances sur ma descendance. Je retombe de haut ! Mon petit-fils n’est qu’un plat de nouilles où circule du sang de navet !! » (« Le trois-mâts fantôme »). Les officiers de marine auxquels il se frotte ne sont d’ailleurs pas en reste : superbes de fatuité sous leurs perruques et jaloux de leurs privilèges, ils sont pour la plupart efféminés, lâches et incompétents, prêts à fondre en sanglots face à la moindre contrariété. Seul le vieux Nick reste digne et sérieux, trop sérieux même pour Remacle, qui s’en désintéresse et ne l’utilise plus que lorsque le scénario l’exige. Soutenu par son éditeur, Remacle se sent libre de mener sa barque comme il l’entend et choisit de faire de ses histoires une suite de gags – parfois très lourds, avouonsle – au détriment d’un scénario souvent réduit à une intrigue ténue surfant sur les automatismes et les redondances. La grande épopée de la marine à voile s’efface peu à peu devant la bouffonnerie la plus débridée et un comique visuel très proche du dessin animé. Le souffle de l’aventure n’y est plus, mais on rit. Après une avalanche de péripéties très drôles autour d’une énorme cargaison de lingots d’or (« Les mutinés de la Sémillante », 1960), le vieux Nick se retrouve « Dans la gueule du dragon » (1961) pour affronter une flottille de faux monstres marins, conçus et dirigés par Barbe-Noire pour couler les navires les plus puissants. C’est dans cet épisode qu’apparaît le personnage de Sébastien, naufragé revanchard d’un baleinier anéanti par le pirate. Maigre mais costaud, susceptible, chuintant comme le plus pittorechque des Auvergnats et redoutable dans le maniement d’un harpon qu’il ne quitte jamais, Chébachtien n’a chtrictement peur de rien ! Après les éphémères Thomas (« Le vaisseau du Diable ») et Sparadra (« Les mangeurs 37