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Fr-03-07-2013 - Algérie news quotidien national d'information

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Les lettres du mont Koukou<br />

A missed appointment<br />

Il est surprenant de<br />

découvrir depuis le dernier<br />

bricolage dans le week-end<br />

que descendre un samedi<br />

en ville n’est pas, en fin de<br />

compte, une mauvaise<br />

affaire.<br />

T<br />

out est ouvert, magasins, cafés,<br />

salons de coiffure, cybers,<br />

fleuristes, étalagistes clandestins,<br />

et cetera, sauf, heureusement,<br />

les édifices publics officiels,<br />

un peu les mairies le matin, mais les<br />

gens qui débarquent en ville ont la mentalité<br />

de la relâche qu’on ne risque pas de<br />

voir transparaître dans leur mine les jours<br />

ouvrables, surtout aux alentours des heures<br />

de pointe. L’évolution dans la rue et<br />

dans les infrastructures de gratification est<br />

comme imprégnée de douceur et de convivialité,<br />

peut-être parce que la gent féminine<br />

est beaucoup plus nombreuse à quitter<br />

la maison pour arpenter le pavé de la<br />

cité. On peut même y rencontrer les amis<br />

qui habitent les environs, s’ils ne sont pas<br />

allés en visite parentale ou dans une partie<br />

de pêche – le cinéma c’est de la vieille histoire,<br />

aussi mnésique que puisse l’être cette<br />

période de la vie simple et ordinaire d’appeler<br />

dans le fixe un adorateur de<br />

Sophocle, de Brecht ou Stanislavski pour<br />

aller débarquer à Port Saïd après un bon<br />

café à Tontonville afin de voir un Babor<br />

Ghraq, un Hafila Tassir, un Boualem Zid el<br />

Goudam ou un Voleur d’Autobus : le<br />

cinéma est dans la clé USB et le théâtre<br />

dans la presse écrite et dans les supports<br />

audiovisuels, en Algérie ou ailleurs. Dont il<br />

n’est pas difficile de donner au lecteur un<br />

échantillon.<br />

Je décide donc, pour une fois, de ne pas<br />

passer ce faux samedi chez-moi. Je dis :<br />

« Eltha bhamek », à mon fils aîné qui veut<br />

me déposer quelque part et je prends<br />

« wahda wahda » d’abord jusqu’à<br />

Chevalley, rond-point névralgique où l’on<br />

a déjà l’impression que des groupes de<br />

gonzesses se réunissent pour se diriger vers<br />

des sit-in ou vers des points de ramassage<br />

expédiant sur une excursion féministe. En<br />

tout cas, en gros, il n’y a que les femmes<br />

qui bougent, la caste masculine s’agglutine<br />

plutôt au pied de la bâtisse ou sur n’importe<br />

quelle protubérance pour se les<br />

poser et discuter, sans pour autant manquer<br />

de mater. Et c’est là où il faut comprendre<br />

que le hidjab dépasse de loin la<br />

valeur anthropologique de la foi. Je fais<br />

tant que je peux afin d’éviter le regard des<br />

maniacodépressifs qui, avant de serrer la<br />

main ou embrasser, ils sont tout hilares en<br />

prononçant des mots comme Neymar,<br />

Iniesta, ou encore celui des plus fêlés qui<br />

ne touchent pas un mot sur l’imminence<br />

de ramadhan mais qui veulent coûte que<br />

coûte savoir la qualité et le prix du « fric »<br />

que vous avez acheté pour l’occasion.<br />

Tenez ! Il y a quelques années, la dernière<br />

semaine de chaâbane, dans un autobus me<br />

ramenant d’un rendez-vous de boulot, en<br />

fait bien réussi, dans le sens où il s’est situé<br />

à contre-courant des idées que j’avais sur<br />

mon sujet de l’enquête, je suis assis à côté<br />

d’un monsieur de la cinquantaine agrippant<br />

entre les mollets des sachets de victuailles,<br />

dans le genre denrées de conserve,<br />

comme le pruneau, jaune ou noir, le raisin<br />

sec, l’amande, le confit de fruit raffiné ; je<br />

ne le connais ni d’Eve ni d’Adam mais il<br />

fait semblant, de temps à autre, de regarder<br />

quelque chose par la fenêtre dans le but<br />

que nos regards se croisent, pour me sourire.<br />

C’est fait, donc, au bout de la cinquième<br />

ou sixième tentative. « C’était juste<br />

hier, ramadhan, soubhan allah ! », qu’il dit<br />

Et c’est là où il faut<br />

comprendre que le hidjab<br />

dépasse de loin la valeur<br />

anthropologique de la foi.<br />

en soupirant, les mains instinctivement<br />

envoyées sur son ravitaillement. Je fais<br />

mine de soupirer aussi et je dis : « Eh, oui !<br />

C’est la loi de la vie mais koul ramdhan<br />

bkhirou ! »<br />

Il reçoit cette phrase comme du caviar,<br />

du béluga blanc, et en dix secondes, il me<br />

fait l’inventaire de tout ce qu’il a acheté<br />

pour préparer le mois sacré, ce qu’il avait<br />

sous son giron était la dernière tranche<br />

d’une liste de quarante kilos de denrées<br />

précieuses. « Macha’Allah ! », je rassure en<br />

expliquant que l’être humain ne doit pas se<br />

priver des bonnes choses quand il peut se<br />

les permettre. « Barak Allahou fik ! », et il<br />

va droit alors vers la question que j’attendais<br />

depuis qu’il donnait des œillades à la<br />

fenêtre. Il me demande donc si j’ai soigneusement<br />

pris mes précautions, si j’ai<br />

bien veillé aux provisions nécessaires et<br />

indispensables. Je dis non en haussant les<br />

épaules et il regarde mes pieds pour voir si<br />

je n’ai pas les chaussures trouées. Pour ne<br />

pas le décourager, je sors un portable de<br />

ma poche, assez cher en cette période où il<br />

y avait que le GSM – qui appartenait au<br />

patron du canard dans lequel je collaborais,<br />

pour ne pas dire que c’était le seul<br />

mobile dans tout le journal – afin de faire<br />

guise de regarder l’heure. Du coup, ça lui<br />

fait une ambiance intéressante et originale<br />

en même temps et il fonce dans le risque :<br />

« Tu as un mobile de quinze millions et tu<br />

ne veux pas profiter du ramadhan ? »<br />

Je remets l’appareil dans ma poche et je<br />

lui rétorque : « Je profite du ramadhan plus<br />

que n’importe qui puisque je le mange ! »<br />

Et je crois que c’est à ce moment précis<br />

qu’il a dû sentir mon double ricard. Et puis<br />

brusquement, il fait le geste pour ramasser<br />

ses emplettes et quitter son siège, mais<br />

l’autobus était bondé. Il s’est alors déporté<br />

vers la gauche pour s’asseoir sur à peine<br />

une fesse jusqu’à l’arrêt où il devait débarquer.<br />

Mais à El Biar vers dix heures vingt,<br />

vingt-cinq, je rencontre un ami qui ne va<br />

pas tarder à me faire revenir sur l’horreur<br />

des années 1990. Je lui promets depuis une<br />

bonne quinzaine de déjeuner avec lui<br />

avant qu’il ne retourne sur Paris reprendre<br />

son travail – dans son pays, il serait retraité<br />

depuis au moins une décade, selon la formule<br />

32/50. Il a foutu le camp exactement<br />

la semaine qui a suivi le massacre de Sidi<br />

Youcef, dans les environs de Béni Messous<br />

à Alger, en septembre 1997. Il ne dit pas<br />

qu’il l’a échappé belle, mais plutôt au<br />

« ghassel », il a dit qu’il a dû enjamber des<br />

corps égorgés, mutilés, éventrés, pataugé<br />

dans le sang encore chaud pour sauter de<br />

terrasses en murs et déguerpir loin de la<br />

boucherie pour se terrer parmi des<br />

immondices jusqu’au retrait des assaillants.<br />

« Je crois que l’essentiel en moi a succombé<br />

cette nuit-là ! », me dit Hocine,<br />

dans les yeux duquel transparaît cette sorte<br />

de filigrane d’amertume qu’on trouve dans<br />

le regard des grands blessés, à moins qu’il a<br />

fait semblant que ça paraisse ainsi. En tout<br />

cas, il raconte et en racontant, il marche et<br />

il s’arrête, avant de redémarrer en me<br />

tenant par le bras. Il était venu assister à la<br />

fatiha de la jeune sœur d’un collègue de<br />

travail et c’était un vendredi après la<br />

prière. La cérémonie terminée, les prétendants<br />

et les convives dînent mais Hocine,<br />

dans l’équipe qui assurait le service, devait<br />

le faire vers la fin après le départ des visiteurs,<br />

en tête à tête avec son camarade, qui<br />

va dans la demi-heure qui suit ne plus<br />

dîner dans ce monde. Ils sortent dans la<br />

cours pour préparer leurs couverts sur une<br />

petite table basse sous les étoiles, ils discutent<br />

en même temps boulot, « tout était<br />

calme et paisible, il sentait bon et il ne faisait<br />

pas bien chaud, sauf un peu de moustiques<br />

attirées par les odeurs de la bouffe.<br />

Je choisis la place contre le muret qui<br />

sépare du jardin potager pour m’adosser et<br />

adoucir ainsi ma fatigue, mais au moment<br />

où nous allions entamer le repas, on<br />

appelle mon ami de l’intérieur ; ça tombait<br />

bien car j’avais tant envie d’une cigarette,<br />

puis soudain des hurlements jaillissent de<br />

partout avec d’étranges bruits métalliques,<br />

comme si on faisait se percuter des ustensiles<br />

de cuisine et des seaux. Et les cris se<br />

mettent à se rapprocher jusqu’à atteindre<br />

la proximité même de la maison, les cris de<br />

femmes et d’enfants surtout, du côté du<br />

muret je n’entendis rien, je me redresse à<br />

l’instant où deux membres de la famille<br />

sortent dans la cour en courant et hurlant ;<br />

tout devient alors noir dans ma tête tout<br />

en étant sûr que l’endroit courait un danger<br />

de mort, je saute le muret en m’appuyant<br />

de mes mains mais les deux bonhommes<br />

ont pris vers une sorte de baraque<br />

dans le coin pour grimper dessus et de là<br />

certainement monter sur la terrasse du<br />

voisin, et puis j’entends derrière moi des<br />

pas et des femmes qui pleurent en haletant<br />

; c’était gravement lâche de ma part de<br />

ne pas m’être retourné, mais j’étais absolument<br />

sûr et certain que ma vie tenait à<br />

quelques secondes et je fonce dans le jardin<br />

où je ne voyais presque rien, les deux lampes<br />

dans la cour n’éclairaient pas au-delà<br />

du mur. Tout au fond du jardin, il y avait<br />

comme un très haut remblai, impossible à<br />

franchir sans l’aide d’une échelle, je cours<br />

à gauche au hasard et je tombe sur une<br />

masse abrupte qui ressemble à une dorsale<br />

d’habitation. J’essaye de ne pas m’évanouir<br />

quand les hurlements derrière moi deviennent<br />

insupportables et je grimpe le mur<br />

par des morceaux de bois qui dépassent.<br />

Ensuite, d’une terrasse, je descends dans<br />

une cour un peu éclairée par une lampe<br />

allumée au loin, dans une chambre entrouverte<br />

sur le seuil de laquelle deux corps,<br />

gisant noyés dans leur sang… » Là, je<br />

résume une demi-heure de récit jusqu’à ce<br />

qu’il trouve un amoncellement de sacs<br />

poubelles et s’engloutir à l’intérieur, après<br />

moult cadavres frais sanguinolents enjambés.<br />

Nous croisons une vieille personne<br />

revenant du marché, qui pose son couffin<br />

en hissant une barbe blanche broussailleuse<br />

sur Hocine. Ils se passent les bras<br />

autour des épaules et je prends la ruelle<br />

transversale qui coupe l’avenue vers le<br />

boulevard sur le chemin de Djenan El<br />

Mithaq. Le temps de tirer quelques taffes,<br />

le 40 Place Audin arrive. Je monte par la<br />

porte arrière et je vais droit contre la vitre<br />

du coin extrême pour ne pas risquer une<br />

connaissance capable de se rappeler aussi<br />

quelque massacre à rapporter. Je paye le<br />

receveur sans me retourner et au moment<br />

où j’empoche le ticket et la monnaie mon<br />

portable sonne.<br />

L’écran marque un ami qui a été aux<br />

avant-postes dans la lutte pour le rétablissement<br />

de la sécurité durant la période de<br />

la guerre civile. Il sait que le week-end je ne<br />

quitte pas la maison, sauf pour le marché<br />

et la randonnée crépusculaire obligatoire<br />

dans l’environnement. Allo ! salut, il dit<br />

qu’il a un rencard intéressant avec une<br />

maire, si ça me chante. C’est une maire,<br />

précise-t-il, qui a dirigé une commune de<br />

quelque 200 000 habitants. J’allais lui dire<br />

qu’il n’existe pas de commune algérienne<br />

de ce calibre, Baraki, qu’il connaît bien, je<br />

lui signale, ne dépasse pas les 150 000<br />

âmes, il ajoute qu’elle vient d’être nommée<br />

par la reine Elisabeth, membre de l’Ordre<br />

de l’Empire britannique. Il dit qu’il est<br />

dans un salon en face du siège du RCD et<br />

que l’édile doit arriver d’une minute à l’autre.<br />

Mon ami n’est pas un homme à parler<br />

par des allégories, c’est un criminologue,<br />

un être des faits, de l’essentiel. Dix minutes<br />

plus tard, je suis face à lui, mais la dame<br />

n’est pas là. Il sourit et il dit qu’elle est retenue<br />

dans une réunion importante à<br />

Tipasa. Je m’assieds et je dis que cette belle<br />

contrée ne renferme pas plus de 30 000<br />

habitants, mais se réunir un samedi, quand<br />

même, est une preuve de bonne volonté. Il<br />

me montre l’écran de son beau portable<br />

montrant la photo d’une maire britannique,<br />

une mayor, en tenue officielle, avec<br />

chapeau à cornes et tout le reste. C’est une<br />

Algérienne qui vit à Londres depuis une<br />

vingtaine d’années, me dit-il en caressant<br />

sa moustache<br />

N. B.

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