Gong 34 - Association Francophone de Haiku

La factrice cueille|une fleur de la couleur|de sa bicyclette.Matin immobile|juste le temps que l’oiseau|choisisse son chantEt si, dans les 137 écrits, on en trouve une dizaine qui ne s’oublieront pasun an plus tard, quelle joie !LA JOLIE RIVIÈRE COULE ET PUE, HAÏKU DÉNATURÉS, CONSTANTIN KAÏTERIS, ATELIER DUHANNETON, 2011 LES PRESLES, 26300-CHARPEY 16€Ces haïkus dé - naturés abordent la réalité de notre environnement, dé -naturé lui aussi.Goût de fraise sans fraises,|savon à la pêche,|pêche au savon, art de l’hallucination.Je croque encore une pomme|toujours pas de ver.|Qu’il est loin le verger de l’enfance.Usine déménagée dans la nuit|et pas en retard|ce matin l’ouvrière, après trente ans.Le caddie du supermarché|chacun le pousse|comme son rocher de Sisyphe.Tu creuses encore vieille taupe|et dans ton tunnel|passent en rêve les clandestins.Dans le parking aveugle,|un cri narquois|jaillit d’un nid caché d’hirondelle.Un livre à lire en urgence pour s’assurer que le haïku peut aussi mettre seslignes dans le cambouis moderne !UN CORPS EN AUTOMNE, ISABEL ASÚNSOLO, ÉDITIONS CORPS PUCE, 2011, AVECDES PHOTOS DE MAGALI LAMBERT 8€Certes, ce recueil propose des poèmes libres (pourrait-on dire) mais leprojet de l’auteure qui veut, par le poème, éprouver le paysage qui l’environne,sans un mot, juste à travers son corps, est bien un projet de haïjin(l’auteure se présente comme « d’abord et avant tout poète et haïjin »)Me rouler dans le blé d’hiver qui lève|j’en ai toujours rêvéLe projet est fixé dès la première ligne et commence en hiver, avec cestendres pousses vertes du blé qui s’élèvent de la surface brute du sol. Ensuite,on passe au maïs d’octobre, puis au passage des moissonneuses,remontant les saisons. Oui, il s’agit d’éprouver « directement » le monde :« dans l’espace exact/entre automne et hiver », c’est à dire entre lesmots, car : « Les saules n’ont/ni raison ni tort quand ils secouent/leurs têtes,et qu’un « moineau mort/avec une goutte de sang », en anglais, ce seraitdifférent : « sparrow in a furrow », mais la réalité serait pourtant la même.D’où une défiance à maintenir vis à vis du langage, alors que la relationdirecte par le corps n’en serait pas entachée. C’est d’une certainefaçon le rapport au langage qu’entretient un haïjin : le moins de motspossible pour le plus de monde possible. Le mieux étant le silence. Le livre3444