Rechercheà l’IRSST[Prévention au travail]Depuis quand l’IRSST s’intéress<strong>et</strong>-ilaux nanotechnologies ?[Claude Ostiguy] Des nanotubesde carbone ont été synthétiséspour la première fois dans un laboratoirejaponais en 1986, mais ce n’estqu’à la fin des années 1990 que desscientifiques ont commencé à se préoccuperdes risques potentiels desnanoparticules. Depuis le début desannées 2000, on assiste à une prise deconscience mondiale du potentiel derisque lié à leur utilisation. Des effortsde recherche structurés sont en coursafin d’évaluer les risques sur des animauxde laboratoire. Aujourd’hui, lamajorité des grands organismes derecherche en santé <strong>et</strong> en sécurité dutravail (SST) s’intéresse aux risques potentielspour la santé que posent lesnanoparticules, dont la production industrielledevient de plus en plus importante.L’IRSST se penche sur c<strong>et</strong>teproblématique émergente depuis 2003Qu’est-ce que c’est ? À quoi ça sert ?Actuellement, il n’y a pas de consensus sur la terminologie entourant lananotechnologie, les auteurs utilisant différentes définitions. Néanmoins…La nanotechnologieLa nanotechnologie est un domaine multidisciplinaire qui vise la conception<strong>et</strong> la fabrication, à l’échelle des atomes <strong>et</strong> des molécules, de structures solidesqui comportent au moins une dimension mesurant entre 1 <strong>et</strong> 100 nanomètres. Il y aun million de nanomètres dans un millimètre. Par exemple, le diamètre d’uncheveu humain fait normalement entre 20 000 <strong>et</strong> 80 000 nanomètres. L’intérêtdes nanomatériaux, issus de la nanotechnologie, réside dans le fait qu’ilspossèdent des propriétés particulières, souvent uniques <strong>et</strong> commercialementexploitables, <strong>et</strong> qui ne se trouvent pas dans les mêmes produits de plusgrande dimension.Les nanoparticulesDans le domaine de la nanotechnologie, ce sont les nanoparticules qui intéressentparticulièrement l’IRSST. Une nanoparticule est une particule dematière de dimension nanométrique. Ses propriétés sont basées sur deseff<strong>et</strong>s quantiques <strong>et</strong> sur un fort pourcentage d’atomes en surface. On trouvedéjà des nanoparticules dans des produits tels que les cosmétiques, lespeintures, les processeurs informatiques, les vêtements athlétiques antibactériens,les appareils ménagers, les cires, les isolants, les skis, les raqu<strong>et</strong>tes d<strong>et</strong>ennis, les bâtons de golf, <strong>et</strong>c. On prévoit de nombreuses autres applicationsdans tous les secteurs économiques, dont le domaine médical où d’importantsdéveloppements sont prévus, autant en matière diagnostique qu<strong>et</strong>hérapeutique.Des exemples de nanomatériauxLes entreprises québécoises actives dans le domaine des nanotechnologies nesont pas toutes répertoriées, mais prenons par exemple Raymor Industries,qui produit des nanotubes de carbone monoparois. C<strong>et</strong>te entreprise deMontréal est considérée par l’Association internationale de la nanotechnologie‘US’ comme un chef de file mondial parmi les sociétés publiques de cesecteur. Elle compte actuellement parmi les plus importants producteurs denanotubes de carbone monocouche au monde.Grâce aux nanomatériaux, la firme Prelco, de Rivière-du-Loup, a créé untype de verre anti-tache qui repousse l’eau <strong>et</strong> les poussières. Ce verre auxpropriétés uniques possède une résistance accrue aux éraflures <strong>et</strong> aux chocs.On compte l’utiliser non seulement dans la construction d’immeubles enhauteur, mais aussi pour les fenêtres d’autobus <strong>et</strong> de train de même que pourla fabrication de douches dont l’entr<strong>et</strong>ien sera facilité par des parois surlesquelles les résidus de savon n’adhéreront plus.dans le but de combler l’absence deconnaissances sur l’exposition des travailleursquébécois <strong>et</strong> sur les mesurespréventives à m<strong>et</strong>tre en place.[PT] Qui sont les travailleursà risque ?[CO] Au Québec, on estime qu’environ2 000 personnes sont aujourd’huipotentiellement à risque d’expositionaux nanoparticules. Et ce nombre necesse de croître. Pour le moment, c’estdans le milieu de la formation spécialiséequ’on trouve le plus grand nombrede personnes exposées à ces particules,notamment dans les laboratoires derecherche universitaire <strong>et</strong> en formationtechnique. Au moins neuf universitésquébécoises comptent une cinquantainede groupes de recherche sur lesnanotechnologies, composés de professeurs,d’assistants de recherche<strong>et</strong> de nombreux étudiants diplômés.Quatre cégeps donnent des formationsspécialisées dans différents domainesdes nanotechnologies <strong>et</strong> au moins troiscentres de recherche sont actifs dansce champ d’étude. Le Québec compteégalement une quarantaine d’entreprisesdans le secteur des nanotechnologies.Plusieurs sont en phase dedémarrage <strong>et</strong> l’on estime qu’elles emploientplus de 500 personnes. Ajoutonsque certaines entreprises introduisentdes nanoparticules dans la fabricationde différents produits de consommation.Dans ce domaine, on sait peu dechoses. Nous travaillons actuellementà identifier ces entreprises <strong>et</strong> les produitsqu’elles utilisent.[PT] De quels types de risquesparle-t-on ?[CO] Il est actuellement difficilede déterminer avec précision quels sontles risques pour les travailleurs exposésaux nanoparticules. Nos préoccupationsportent principalement sur lessubstances qui demeurent insolubleslorsqu’elles pénètrent dans le corpshumain.Les données dont nous disposonsproviennent principalement d’étudessur des animaux de laboratoire. Lesrésultats démontrent que plusieurs deces nanoparticules sont très irritantespour l’appareil respiratoire. Ellespeuvent générer des stress oxydatifsrésultant en une augmentation des18 Prévention au travail Automne 2006
Illustration : Guylaine Régimbaldbiomarqueurs d’inflammation au niveaupulmonaire. Des granulomes ontété détectés dans les poumons d’animauxde laboratoire à la suite d’expositionsà certaines nanoparticules, parvoie pulmonaire. Par ailleurs, les étudesactuelles ne suggèrent pas une grandecapacité d’absorption cutanée.Aujourd’hui, au Québec,environ 2 000 personnessont potentiellementà risque d’expositionaux nanoparticules.Les risques potentiels pourraient êtrereliés aux très p<strong>et</strong>ites dimensions desnanoparticules <strong>et</strong> à leur biopersistance,c’est-à-dire à la durée de leur présencedans le corps humain. Certaines particulessont partiellement arrêtées par lesmuqueuses du nez, car elles se diffusentcomme des gaz, <strong>et</strong> seront captées dèsqu’elles toucheront à une paroi nasale.Par contre, à partir du nez, une partiede ces fines particules pourront emprunterles nerfs sensitifs <strong>et</strong> se rendredirectement au cerveau. Une autre partiedes nanoparticules qui réussiront àfranchir le nez pourront se déposer surles parois de la trachée <strong>et</strong> des bronches.Un ballon de soccerfuturiste ? Non.Il s’agit d’unfullerène, soitune moléculeen formede cagefermée,composéed’atomesdecarboneregroupésdansunestructureconstituéede pentagones<strong>et</strong>d’hexagones.Heureusement, à ce niveau, le mécanismed’ascenseur mucociliaire perm<strong>et</strong>de les éliminer efficacement <strong>et</strong>de les envoyer vers le système digestif.Une fois rendues dans le système digestif,une partie des nanoparticulesseront absorbées par l’intestin <strong>et</strong> pourrontainsi se rendre, toujours sousforme solide, au système sanguin, puiscirculer dans tout l’organisme. Notonsfinalement qu’à la suite d’une expositionpulmonaire, une partie des nanoparticulespeuvent se rendre aux alvéolespulmonaires. Trop p<strong>et</strong>ites pour êtreprises en charge par notre système dedéfense naturel au niveau alvéolaire— les macrophages les ignorent —,une fraction d’entre elles franchirontl’épithélium alvéolaire pour se rendreaux ganglions <strong>et</strong> au système sanguin.Une exposition répétée perm<strong>et</strong>traitd’accumuler des nanoparticules dansles alvéoles, augmentant de la sorte laquantité qui pourrait passer l’épithéliumpulmonaire. Plusieurs études ontégalement démontré que des nanoparticulesempruntant le système sanguinont été r<strong>et</strong>rouvées dans divers organes(foie, rate, rein…). Les fullerènes, uneclasse de nanoparticules, peuventfranchir la barrière placentaire d’animauxde laboratoire <strong>et</strong> se r<strong>et</strong>rouverdans le fœtus.Il a été clairement démontré queles phénomènes toxiques mesurés sontreliés à la surface de ces particules <strong>et</strong>non à leur masse. C’est donc dire que,pour une même masse de produit,plus la particule sera p<strong>et</strong>ite, plus ellerisque d’être toxique. Ainsi, plusieursétudes ont établi que la silice nanométriquedémontre un potentiel inflammatoirede 10 à 25 fois plus élevéque la silice plus grosse, de dimensionmicrométrique. Il faut bien comprendreque les risques pour la santéne sont que très partiellement connus.De très nombreuses recherches sonten cours partout dans le monde <strong>et</strong>l’étendue des nouvelles connaissancescroît rapidement. C’est d’ailleurs pourc<strong>et</strong>te raison que nous préparons actuellementune version révisée de notrerevue de littérature sur les risques pourla santé, laquelle devrait paraître trèsbientôt.Mais attention, les nanotechnologiesne comportent pas que des risques, loinde là. Par exemple, plusieurs étudesont clairement démontré qu’en plus deleurs propriétés exceptionnelles pourles usages industriels, certaines ont un<strong>et</strong>endance à s’accumuler autour des cellulescancéreuses, ce qui pourrait offrirun important potentiel thérapeutique« Le développement de nouvellesconnaissances perm<strong>et</strong>tra éventuellementde raffiner lesapproches de l’évaluation durisque <strong>et</strong> de stratégies visant àles gérer efficacement », affirmeClaude Ostiguy, directeur duService soutien à la recherche <strong>et</strong>à l’expertise de l’IRSST.Photo : Dominique Desjardins / IRSSTAutomne 2006Prévention au travail19