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Numéro 65 - Le libraire

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Normand Baillargeonest professeur ensciences de l’éducationà l’UQAM. Aussiessayiste, il estl’auteur du Petit coursd’autodéfenseintellectuelle, qui aconnu un franc succès.S ENS CRITIQUELA CHRONIQUE DE NORMAND BAILLARGEONessaiNormand Mousseau :Du gaz dans l’eauOn le sait : le nucléaire – voyez le Japon – présente d’énormes risques; le pétrole seraréfie et devient cher; le charbon est sale et polluant au possible. C’est dans ce contexteque se déroule sous nos yeux, un peu partout – en Amérique du Nord, mais aussi enEurope et en Asie, notamment en Chine – une véritable ruée vers le schiste, nouveleldorado énergétique.Gaz de schiste : il y a deux ans à peine, la plupart d’entre nous en ignorions jusqu’aunom. Et nous sommes encore en général, avouons-le aussi, toujours très ignorants destenants, des aboutissants et des enjeux – énergétiques, géolo-giques, politiques,scientifiques, écologiques, économiques, géostratégiques – de ce dossier, qui devientrapidement technique.Il faut donc saluer la publication d’un livre de Normand Mousseau,professeur de physique à l’Université de Montréal, qui apporte surces questions cet indispensable éclairage scientifique sans lequeldes décisions rationnelles et démocratiques ne peuvent être prises.L’information scientifique…Mousseau commence par nous rappeler qu’au sens strict, on devraitparler de gaz de shale et non de schiste. Querelle sémantiquepour géologues, diront certains : j’y vois plutôt aussi un indice queles choses sont rarement simples dans ce dossier, et qu’elles sontsouvent autres que ce qu’elles peuvent d’abord sembler (notonsque Mousseau se résout à employer la dénomination « gaz deschiste », devenue commune).LA RÉVOLUTION DESGAZ DE SCHISTENormand MousseauMultiMondes152 p. | 24,95$L’auteur traite son sujet en quatre étapes. Pour commencer, ildresse un panorama énergétique mondial dans lequel il situe le gaz naturel, qui « occupeune place à part parmi les hydrocarbures » puisqu’il se consomme très proprement, loindevant le pétrole ou le charbon. Il explique ensuite pourquoi la demande pour le gaznaturel croît et est appelée à croître. Mais, rappelle-t-il aussi, cette ressource est trèsinégalement distribuée sur la planète (« la Russie, le Qatar et l’Iran possèdent plus de lamoitié des réserves courantes »), ce qui force la plupart des pays à l’importer et les renddépendants de leurs fournisseurs. De plus, son transport est coûteux.Tous les pays qui n’ont pas gagné à la loterie du gaz naturel cherchent donc de nouvellesvoies pour s’approvisionner. <strong>Le</strong> gaz de schiste arrive à ce moment dans l’équation, ces paysapprenant qu’il existe dans leur sol des roches appelées shale qui contiennent un gazabondant et dont l’exploitation, désormais technologiquement possible, seraitéconomiquement viable.La deuxième partie de l’ouvrage dresse le portait scientifique de la révolution du schisteque tout cela annonce. Mousseau explique d’abord, très clairement, la géologie des shaleset rappelle comment cette roche très feuilletée se trouve gorgée de gaz naturel. Mais toutcela était depuis longtemps bien connu et si la révolution du schiste est à nos portes, c’esten raison d’une percée technologique très récente, que Mousseau rappelle ensuite la« fracturation hydraulique ». En gros, on injecte à haute pression de l’eau, du sable etquelques additifs profondément sous terre : les roches contenant le gaz sont fracturées,ce qui lui permet de remonter à la surface.Mousseau examine ensuite les risques environnementaux que présente cette pratique :dérangements pour les populations, risques pour l’eau (par la contamination des eauxsouterraines et par [mauvais] traitement des eaux usées) et, finalement, contribution auxchangements climatiques. Ce dernier aspect est crucial : car si la combustion du gaz naturelest, on l’a vu, bien moins dommageable pour l’environnement, son bilan écologique global,quand on prend en compte ce que génère de gaz à effet de serre son exploration, sonexploitation et son transport, « pourrait s’approcher de celui du charbon ».Convaincu que c’est sur la base d’une information la plus complète et objective possibleque le débat démocratique doit se tenir, Mousseau rappelle ensuite (troisième partie)divers modèles d’exploitation du gaz de shale (aux États-Unis, au Canada, et hors del’Amérique du Nord), avant de se concentrer (quatrième et dernière partie) sur les aspectséconomiques de leur exploitation, en examinant plus particulièrement les exemples de laNorvège, de l’Alberta et du Québec.Mousseau conclut que bien des avenues s’offrent au Québec, qui peut soit refuser cetteressource, soit se convertir au gaz naturel, soit opter, comme la Norvège, pour sonexploitation accompagnée d’un soutien aux énergies propres. Mais le Québec pourraitaussi « repenser l’ensemble de sa filière énergétique » et, refusant le simple calculéconomique, « porter le débat à un niveau supérieur qui tienne compte non seulementdes retombées à l’interne, mais également du reste du monde ».Avec ce livre, Mousseau apporte une précieuse contribution à la réflexion collective quecela exige.… au service de l’action citoyenne et de la démocratie, bien malmenéesHélas, pour le moment, trop d’indices donnent à penser que cette sereine réflexion n’aurapas lieu, confisquée qu’elle est par des margoulins et des élus à courte vue qui neconnaissent du vert que la couleur des billets. Car le fait est que nos institutionséconomiques ne laissent que bien peu de chances, voire aucune, à un tel débat.La gestion de ce dossier par le gouvernement en place a en tout cas été accablante et adémontré un extraordinaire déficit démocratique fait de coupables connivences et decadeaux mirobolants aux gazières, ces puissantes compagnies qui embauchent désormaisdes dizaines de lobbyistes pour chanter leurs louanges.<strong>Le</strong> percutant documentaire de Josh Fox, Gasland, qui porte sur l’exploitation du gaz deschiste aux États-Unis, contient d’ailleurs une scène qui vaut son pesant de pellicule. Uncitoyen qui a, comme des milliers d’autres Américains, vendu des droits d’exploitation duschiste sur son terrain – c’est le citoyen-propriétaire qui accorde ou non cette permissionaux É.-U., et non l’État, comme chez nous – ouvre son robinet puis approche la flammed’un briquet de l’eau qui coule. Pschitt : l’eau prend feu.Vous prendrez bien un verre d’eau pour faire passer ça?LE LIBRAIRE • JUIN-JUILLET 2011 • 37

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