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Numéro 65 - Le libraire

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CES AUTEURS QUI TIENNENT LA ROUTER OBERTO~B OLANOLa littératureest dangereuseCe printemps, la parution du roman 2666 de l’écrivain chilien RobertoBolaño dans la collection Folio doit être considérée comme unévénement littéraire; celle-ci rend désormais accessible à un prixraisonnable l’un des premiers grands romans du XXI e siècle. Rien demoins. Parallèlement, Christian Bourgois éditeur poursuit la mise envaleur posthume de l’œuvre en éditant Entre parenthèses, unregroupement d’essais iconoclastes à l’image de l’auteur. Voici doncquelques mots subjectifs sur un écrivain qui conduit ma passionlittéraire à son paroxysme.ParIan Lauda, de la librairie <strong>Le</strong> FureteurAyant récemment accédé au Monde éternel — en succombant, en 2003, auxcaprices d’un foie rebelle —, Roberto Bolaño voit désormais son Œuvre(façon de parler...) susciter les éloges qui lui sont dus. Il est vrai qu’une œuvreachevée est plus facile à juger, mais nous connaissons également la grandetimidité de l’Histoire littéraire, dont les grands honneurs ne s’appliquentsouvent qu’aux morts…Celui qui attira d’abord l’attention en tant que membre fondateur de l’infraréalisme(un obscur mouvement littéraire des années 70, qu’il parodied’ailleurs dans son roman <strong>Le</strong>s détectives sauvages), s’est toujours considérécomme un poète, privilégiant cet angle d’approche avant de se convertirsérieusement au roman, au début des années 1990. C’est à cette époque,également, que la critique souligne enfin son œuvre; une reconnaissance quiculmine en 1999 avec le Prix Rómulo Gallegos (considéré comme la plushaute distinction littéraire de l’Amérique latine).Pour ma part, j’ai découvert l’écrivain grâce aux bons conseils d’un ami quia goûté aux éditions originales espagnoles. J’ai pourtant hésité à dépenserpresque 60$ pour ramener chez moi cette promesse d’insomnie en forme debrique qu’est 2666. Inutile de dire que ce doute fut vite oublié.Dans sa folie des grandeurs, le roman fait penser à Sous le volcan de MalcolmLowry. Plus de 1000 pages subdivisées en quatre sections (lesquellesauraient pu êtres éditées séparément, comme le laissaient entendre lesdernières volontés de l’auteur, qui souhaitait maximiser les revenus etassurer un héritage sérieux à ses enfants). L’unité du livre fut cependantconservée : heureusement, puisqu’elle ne fait aucun doute. Malgré lamultiplication des genres abordés, le style de Bolaño n’obéit qu’à ses propresnécessités et passe de l’intrigue amoureuse du roman psychologique au romanpolicier macabre, puis au récit de guerre — le tout ponctué d’une forte dose d’humournoir, qui uniformise le ton. Avec un peu de recul, on s’aperçoit que l’ampleur del’entreprise romanesque est si colossale qu’elle accentue ce vertige d’un mondelabyrinthique, mais complet.Malgré la multiplication des genres abordés, le style deBolaño n’obéit qu’à ses propres nécessités.Roman sur le cauchemar et l’horreur du Mal, comme son titre énigmatique l’indique,2666 a pour point central l’atroce série d’assassinats de femmes qui terrorise etmystifie depuis 1993 les habitants de la ville mexicaine de Ciudad Juarez, et qui fit àce jour plus de 1600 victimes, selon Amnistie internationale. Ces meurtres, dont laplupart n’ont jamais été résolus, passèrent rapidement de simples faits divers à uneforme de phénomène macabre, et hantèrent longuement l’écrivain à la fin de sa vie.C’est aussi de cet aspect inexplicable des évènements qu’a germé l’idée d’une forcemaléfique planant sur les évènements. Un mal invisible (ne l’est-il pas toujours?),dont l’absence de logique et de morale accentuent la véracité d’un récit basé sur desfaits. Roman sur l’invisibilité, donc, où l’excuse d’une intrigue (la recherche d’unécrivain mystérieux à l’image de Thomas Pynchon) est élaborée pour consolider lecanevas de l’histoire. <strong>Le</strong>s personnages de Bolaño ne sont que les acteursd’événements qui dépassent, en importance, les conséquences individuelles et dontl’ampleur est digne d’une saga où tout se croise et se déforme dans le kaléidoscopedes époques et des intrigues.2666, comme plusieurs livres de Roberto Bolaño, finit par faire partie de nous,tellement on y croit. Dans son discours d’acceptation du prix Rómulo Gallegos, quel’ont retrouve parmi les courts essais d’Entre parenthèses, l’écrivain évoque l’idée quela littérature, lorsqu’on s’y dédie corps et âme, est un métier dangereux.2666Folio1358 p. | 24,95$ENTRE PARENTHÈSES :ESSAIS, ARTICLESET DISCOURS(1998-2003)Christian Bourgois480 p. | 44,95$LE LIBRAIRE • JUIN-JUILLET 2011 • 67

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