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Numéro 65 - Le libraire

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Si un événement a marqué les esprits en 2011, c’est bien le séisme, et le tsunami le talonnant, qui a frappé le nord-ouest du Japon. Alorsque les habitants de Fukushima et des environs se sont réfugiés dans des lieux qu’ils espèrent plus sûrs, la menace, elle, plane toujours.Cette menace d’explosion radioactive, les experts la situent entre les tragédies de Tchernobyl et de Three Mile Island. La secousse du 10 marsaura duré à peine deux minutes, mais elle restera gravée dans la mémoire collective et dans l’esprit de tous les citoyens du monde, quipartagent avec le Japon peur et douleur.ParOok ChungJaponGambatte!J’ai vécu au Japon jusqu’à3 ans et y suis retourné àl’âge de 31 ans. Ça a été lecoup de foudre, si on peutemployer cette expressionpour décrire l’état amoureuxd’un amnésiquequi retomberait en amouravec une femme qu’il aperdue et qu’il retrouve encroyant la voir pour lapremière fois! À partir duCanada, j’avais peu de choses à me mettre sous la dent. Des bluettes. La mélodie dufilm Merry Christmas, Mr. Lawrence, Kitchen de Banana Yoshimoto, Love <strong>Le</strong>tter d’IwaiShunji avec sa magnifique bande sonore musicale.Quelque chose de violemment beau s’est emparé de moi quand je suis rentré auJapon en 1993. Mon moi de cendres s’est senti renaître comme un phénix.Inoubliable, ce soir d’été sur une colline de Hiroshima à regarder scintiller les lumièresdu centre-ville au loin. Magnifique, le bleu profond de la mer contre les remparts depierre de Kōbe. Et Nara, l’inénarrable Nara, ses nuits comme du velours, ses matinsde satin comme la poudre des ailes de papillon.Je ne suis pas un coureur de musées, de monuments historiques, de culture et detraditions académiques. Mes moments de plus grande satisfaction sont ceux où jeme sentis fondre dans le quotidien japonais, à une table de café. J’adore fréquenterles depaatoo, leurs grandes surfaces aseptisées, les escaliers mécaniques qui montentet descendent, les postes d’écouteurs du rayon de musique où on échantillonne destubes de l’heure, comme cette chanteuse de J-pop que je n’ai jamais réussi à identifieret dont les vers me hantent (« Dance with me… for eternity ») ou des classiquescomme « Moon River », chanté par Audrey Hepburn.Et bien sûr, j’aime fréquenter la librairie Kinokuniya, autant pour son rayon desmagazines que pour ses livres sérieux. Venez avec moi. Montons dans l’ascenseur.C’est le cinquième, on sort. Si vous ne lisez pas le japonais, suivez-moi vers le rayondes livres anglais et français au fond, à gauche. Si vous vous intéressez au Japonica,vous trouverez en traduction : <strong>Le</strong> fleuve sacré, d’Endo Shusaku, Jeux de famille etBerceau au bord de l’eau de Yu Miri, <strong>Le</strong> jeu du siècle de Oe ¯ Kenzaburo, ¯ La danseused’Izu de Yasunari Kawabata, Traversée de la neige de Miyazawa Kenji, <strong>Le</strong>s bébés de laconsigne automatique et Bleu presque transparent de Murakami Ryu, ¯ et lesincontournables <strong>Le</strong>s amants du Spoutnik, La ballade de l’impossible, Danse, danse,danse et Chroniques de l’oiseau à ressort de Murakami Haruki.© Josée LambertIl y a ce mot en japonais, « Gambatte » (qui signifie « Bon courage »). En ce temps decatastrophes que traversent actuellement les Japonais, il prend tout son sens. En lisantsur Internet la notice biographique de Miyazawa Kenji, j’apprends que l’année où ilest né, il y eut un tsunami (20 000 morts), un tremblement de terre, et d’autresdésastres ravageurs. Je l’ignorais. Mais j’admire la spiritualité de Miyazawa, samodestie qui nous fait renouer avec les valeurs élémentaires et essentielles de la vie,comme les fruits de Cézanne dont nous parle d’outre-vie Marie Uguay. Et si je préfèrel’écriture du Nobel Oe ¯ Kenzaburo ¯ au style brillant et virtuose de Mishima, c’est parceque Oe (que j’ai un jour croisé au septième étage du grand magasin Takashimaya deShinjuku) a traversé le désastre, a traversé le feu, pour en sortir tel « un hommedebout ». Sa réflexion va à l’essentiel de ce que signifie l’être humain. Des titres? Notesde Hiroshima, Une famille en voie de guérison, Dites-nous comment survivre à notrefolie, Une affaire personnelle, Une existence tranquille. J’ai beaucoup aimé son recueild’allocutions réunies sous le titre Moi, d’un Japon ambigu, qui paraphrase le titre d’undiscours de Kawabata, opposant deux époques, deux conceptions (l’éthique contrel’esthétique, pour simplifier).<strong>Le</strong>s Japonais forment un peuple qui a traversé beaucoup de tragédies, certainesprovoquées par sa propre idéologie (impérialisme, annexion militaire) mais d’autres,tout à fait indépendantes de sa volonté. Qu’il y ait eu des militaires sadiques ou fous(classe A des criminels de guerre), ce sont presque toujours des innocents qui enpaient le prix. Je pense à la jeune Sadako qui est morte avant d’avoir fabriqué samillième grue de papier.Murakami Haruki, que j’admire pour sa façon de m’intéresser à une recette de cuisine,a aussi consacré un livre à Kōbe dont le titre français est Après le tremblement deterre. Je ne l’ai pas lu, mais j’ai un ami japonais qui a perdu une amie dans cetremblement de terre dévastateur. Il a aussi écrit Autoportrait de l’auteur en coureurde fond. L’éthique du romancier est aussi, dans son cas, l’éthique du marathonien quidoit traverser une épreuve dont peu de mortels sont capables.Une partie du Japon doit se reconstruire. Renaître de ses cendres, de ses décombres.Mes amis japonais sont en sécurité, heureusement. Courage!Né au Japon de parents coréens, Ook Chung est un écrivain que les terres canadiennes ontadopté alors qu’il n’avait que 27 mois. Détenteur d’un doctorat en littérature française, il enseigneactuellement cette matière au Cégep du Vieux-Montréal. Son plus récent ouvrage, Contes Butô,est paru en 2004 à l’enseigne de Boréal, et il fut pour cette œuvre qualifié par La Presse de« virtuose de la fabrication littéraire ». Auteur émérite (prix John-Glassco pour la traduction de <strong>Le</strong>champ électrique de Kerri Sakamoto, et Prix littéraire Canada-Japon 2002, pour Kimchi), il publieracet automne La trilogie coréenne, autofiction relatant son expérience en tant que Canadien d’originecoréenne. Outre l’écriture, Ook Chung mentionne que sa principale passion reste son fils de 5 ans.LE LIBRAIRE • JUIN-JUILLET 2011 • 41

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