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Numéro 65 - Le libraire

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Nouveautésconstitue une vie posthume du passé, la dimensionmythologique du roman de Michel Soukar donne unepossibilité nouvelle d’interpréter la confession d’ÉlieAuguste comme un testament. Destiné à irriguer lamémoire collective, le sang d’une jeune primiparesacrifiée au pouvoir et à l’amour du père, en vertu duchiasme entre le mensonge et la vérité, ne saurait êtreque le sang glacé du lecteur.Dire qu’en typographie, on appelle « corps mêlés » uncaractère d’imprimerie qui sert de support à une figurehumaine, qu’enfin, en chimie, par opposition aux corpsélémentaires, des corps qui par affinité agissent les unssur les autres, c’est dire que la révélation de Corps mêlésest à la hauteur d’un puissant désir d’écriture, magnifiéchez Marvin Victor. Ce dernier est un jeune plasticien etréalisateur, qui signe là, à 28 ans, le premier roman duséisme, dont le long incipit initiatique revêt, en une seulephrase sinueuse et haletante, une fonction anaphoriquede répétition, en reprenant la thématique du récit denaissance, tombé de la bouche d’une sage-femme : « Parune nuit de décembre, un vendredi, comme d’autresentrent au Séjour des morts, me raconta un jour mamarraine, ma tante, elle, la sage-femme par excellence,je sortis des entrailles peureuses et gluantes de ma mèreque les gens du pays de Baie-de-Henne donnaient pourune mule – cette bête hybride, issue de l’accouplementd’une jument et d’un âne et qui, selon eux, met bas soitdes mouches , soit des abeilles – considérant qu’au boutdes nombreuses liaisons qu’ils lui prêtaient, elle neparvenait pas à tomber enceinte. »« Il fut un temps, un heureux temps, écrit Willliam Marx,où l’on pouvait faire poésie de tout, parce que tout étaitpoétique, potentiellement. Même le désastre. » Niché aucœur du pays de Baie-de-Henne, – le nom de ce lieu hanteles pages du roman comme l’homonymie lancinante d’unclimat de mornes secs et de haine recuite –, embusquéderrière « une haie de vétiver », le désastre, on le sentait,on le pressentait, courant dans « la savane » sous la légèrebrise du Nord-ouest. <strong>Le</strong> désastre donc, « celui d’une mèredans la perte de son unique enfant et de soi ».Tel un livre d’images oniriques, le roman nous proposeune plongée introspective et libératoire dans laquelle nuiturbaine et vie intérieure se recoupent et interagissentpour mettre en lumière le destin d’une femme, née desoeuvres taboues d’un frère et d’une soeur, devenue mèreet dépossédée d’elle-même. Lorsqu’elle perd sa fille,écrasée sous une dalle de béton lors du séisme, UrsulaFanon, pauvre hère, extravaguant au milieu dedécombres cérémoniels, bascule dans la déraison – « Jesuis en train de devenir folle! », s’exclame-t-elle. Elle partà la recherche de Simon Madère, un homme qu’elle aconnu jadis, il y a trente ans, qui au temps de sa jeunesse,jouait « du feu que le volume et la parfaite symétrie de[ses] seins attisaient dans le regard des hommes ».Dans un élan vers son dépassement par la parole, loind’adhérer à sa chute vers la condition infrahumaine quil’entoure, elle lui raconte – dans l’écart créé par l’absenceet au nom de la mémoire affective qui les unissait – ceque l’amour aurait pu faire d’eux. De lui, sorte de divinitédes carrefours, elle aurait aimé obtenir la protectioncontre les esprits malfaisants de la répétition. À lui seul,qui tournait le dos alors qu’elle désirait tant lui parler, elleaurait aimé avouer : « Ici, je ne dirai pas le nom de monpère. Son nom restera à jamais caché au plus loin de lamer hennoise, dans le cœur des Sirènes, et emporté avecla voix de ma mère. »Corps mêlés est un acte de deuil et d’amour. C’est aussiun acte de guerre et de haine envers les morts qui semêlent aux vivants, qui les assaillent et avec qui ilspartagent le même espace, et qui leur rappellent leurcondition de mortels. De cette irréductible ambivalence,Marvin Victor tire une messe funèbre et grandiose qui faitdu corps humain un absolu que le désir ou la mort révèle.Saluons la découverte d’un écrivain doué d’une écriturevenant des facultés supérieures de la prose, qui tient têteà ce pays-cimetière, avec ses phrases habitées,longuement flexibles, somptueuses et faites pourétreindre l’horreur la plus indescriptible et la représenterà ceux qui ne l’ont point connue.Joël Des Rosiers porte plusieurs chapeaux, et cet hommede lettres et de passion le fait avec brio. Chirurgien, psychiatre,poète et essayiste, il est né en 1951 aux Cayes, à Haïti. À 10ans, il déménage au Canada, avant de partir étudier àStrasbourg. Il s’impliquera alors dans différentes causes,comme celles des réfugiés clandestins et des sans-papiersd’Alsace. Ses idées, ses préoccupations, de même que sapassion pour la littérature et l’architecture se reflètent dansses œuvres, pour la majorité primées. En effet, le verbepassionné qu’on lui connaît sied parfaitement aux idées qu’ildéfend. Grâce, notamment, à Vétiver et Théories Caraïbes :Poétique du déracinement, Des Rosiers participe à l’édificationd’une littérature de qualité, au Québec comme dans toute lafrancophonie.www.editionsfides.comromanOn est le 8 août 1988.Félix <strong>Le</strong>clerc vient de mourir.Tandis que le Québec salue celuidont « les souliers ont beaucoup voyagé »,une femme boucle ses valises.Marité VilleneuvePour un dimanche tranquille à Pékin312 pages27,95 $ROMANhistoire1929-1939La décennie qui engendrale Québec moderneYvan LamondeLa modernité au Québec vol. 1La Crise de l’homme et de l’esprit 1929-1939334 pages29,95 $HISTOIREbien-être au travailPréface de Josée LavigueurManon Blondin<strong>Le</strong> travail, c’est du sport !168 pages24,95 $BIEN-ÊTRELE LIBRAIRE • JUIN-JUILLET 2011 • 43

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