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Iran: vers un espace public confessionnel? - Sciences Po

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La plupart de ces innovations ont perduré après la guerre. D’<strong>un</strong>e part, parce que le cultedes martyrs continue d’être célébré et est devenu <strong>un</strong>e source non négligeable d’avantages,voire de privilèges sociaux, même si le sentiment amer de morts inutiles l’emportedésormais. D’autre part, parce que l’ensemble des f<strong>un</strong>érailles se calquent sur le modèleinauguré dans les années quatre-vingt : ainsi, le portrait du déf<strong>un</strong>t est souvent sculpté dansla pierre tombale, la pratique de la procession est reprise, la dernière demeure est abondammentfleurie ou arborée et visitée avec assiduité, le décès est rendu <strong>public</strong> par voied’affichage, de faire-part ou d’annonces dans les journaux.Chose remarquable, les femmes ne sont pas les dernières à “ bénéficier ” de cette évolution.Encore dans les années soixante-dix, il n’était pas habituel de les appeler publiquementpar leur prénom et, lorsqu’elles mouraient, les éventuelles condoléances — carl’usage n’en était pas si courant — étaient adressées à la famille sans que soit spécifiéel’identité de la déf<strong>un</strong>te. Le comportement de l’imam Khomeyni tranchait avec la norme,car les noms de ses deux filles ainsi que de son épouse étaient connus. Cette dernièredonna d’ailleurs <strong>un</strong>e interview après son décès, n’hésitant pas à évoquer certains épisodesde leur vie privée, tels que la demande en mariage et les critères de son consentement.De même, son fils Ahmad parlait dans son testament — publié dans la presse — de safemme “ Fati azizam ” (ma chère Fati), préférant utiliser ce diminutif intime à son prénomFatemeh. En revanche, la famille d’Ali Khamenei reste dans l’ombre, et même <strong>un</strong> HachemiRafsandjani, qui voyage volontiers avec son épouse et dont les filles se sont montréestrès actives sur la scène publique, préfère parler de “ notre famille ” pour désigner samoitié : “ Notre famille s’est jetée sur moi [pour me protéger] ”, déclara-t-il après la premièretentative d’assassinat dont il fut victime peu après la Révolution. Mais ces comportements,qui peuvent paraître plus convenables dans certains milieux, sont de moins en moins demise. Dans la vie courante, le prénom des femmes est connu et utilisé, y compris en politique.A fortiori, les épouses et les filles co-signent ou signent les condoléances à la manièreoccidentale, en donnant leurs prénoms respectifs, au même titre que les hommes,et sans plus se dissimuler derrière la formule “ la famille <strong>un</strong>tel s’associe à la douleur dela famille <strong>un</strong>tel ”. On leur adresse les messages de condoléances, quand ce ne sont paselles qui prennent l’initiative d’annoncer le décès de leur époux ou d’autres de leursproches. Dans les rubriques nécrologiques ou sur les tombes, le portrait des déf<strong>un</strong>tes peutêtre reproduit tout comme celui des morts de sexe masculin et, qu’on le veuille ou non,cette mise en image de la mort des femmes n’a été rendue possible que par le port duvoile qui a déplacé les frontières à la fois de la pudeur et du licite au sens religieux du terme.Hachemi Rafsandjani lui-même, que l’on a vu si traditionnel dans son comportementà l’égard de son épouse, a laissé publier des photographies de sa mère lorsque celle-cis’est éteinte fin 1995, et les f<strong>un</strong>érailles se sont déroulées sous <strong>un</strong> poster géant de lavieille dame, les caméras de télévision retransmettant l’émotion du Président de la République.Scène remarquable dans la mesure où la <strong>public</strong>ité donnée à la peine privée del’homme <strong>public</strong> contribuait à la formation de l’<strong>espace</strong> national : pour la première foisétaient organisées les obsèques officielles d’<strong>un</strong>e femme, au demeurant tout à fait ordinaire,à laquelle chac<strong>un</strong> pouvait s’identifier. Ce n’est que quelques mois auparavant quela presse avait fait état d’<strong>un</strong>e visite de Hachemi Rafsandjani à sa mère dans son villagede la province de Kerman : l’opinion avait alors pris connaissance des conditions modestesdans lesquelles vivait celle-ci, et le Président avait tiré <strong>un</strong>e grande popularité de la simplicitéde l’épisode.Les Etudes du CERI - n ° 27 - juin 1997 20

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