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Iran: vers un espace public confessionnel? - Sciences Po

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économique et marchand : l’achat raisonné d’<strong>un</strong>e parcelle à l’administration du cimetière.Dernier exemple, <strong>un</strong> fidèle qui a vu en rêve son père déf<strong>un</strong>t bloqué à <strong>un</strong>e frontière etmontrant sa valise vide se voit recommander par l’imam qu’il consulte de faire réciter lesprières d’<strong>un</strong>e année moyennant la coquette somme de 60 000 touman afin de permettreau mort d’accéder au paradis. Ainsi conseillé, il adoptera <strong>un</strong>e double réponse économique.D’<strong>un</strong>e part, il aura recours à <strong>un</strong> récitant qui lui facturera ses prières moins cherque la personne recommandée par l’imam. De l’autre, il se gardera désormais de relaterses songes à des religieux lorsque son père y figurera !L’anecdote, véridique, a l’avantage de nous rappeler que le processus de formation d’<strong>un</strong><strong>espace</strong> <strong>public</strong> <strong>confessionnel</strong>, largement relayé par les médias modernes, ne s’apparentepas à <strong>un</strong>e évolution linéaire. Il est incompréhensible si on ne le rapporte pas continuellementà des pratiques concrètes d’acteurs en situation et aux sites dans lesquels ils’affirme. En particulier, l’idée d’<strong>un</strong> <strong>espace</strong> <strong>public</strong> a beau être indissociable de l’idée nationale,elle s’incarne néanmoins d’abord dans les pratiques de quartier.Une dernière évocation de la sociabilité religieuse nous le confirmera. Sans reprendrela description des jaleseh, deux de leurs aspects méritent <strong>un</strong>e attention particulière. Enpremier lieu, ces ré<strong>un</strong>ions canalisent des flux financiers assez considérables, à l’instarde toutes les pratiques religieuses : les “ dames ” collectent les aumônes et les taxes religieusesque leur remettent spontanément les habituées de leur cercle ; elles peuventégalement, en toute légitimité, en appeler à la générosité des fidèles, que ce soit pour constituerla dot d’<strong>un</strong>e je<strong>un</strong>e fille nécessiteuse, pour aider <strong>un</strong>e famille frappée par la maladieou encore pour contribuer à la construction d’<strong>un</strong>e mosquée. Ces pratiques de don sontpartie intégrante des jaleseh : il n’est pas pensable de concevoir les <strong>un</strong>s sans les autres.La circulation des aumônes s’entoure de précautions : elles sont glissées dans des sacsen plastique qui spécifient bien leur destination, la croyante étant ainsi assurée de la réalisationde son intention religieuse. Cette dimension des ré<strong>un</strong>ions renvoie très directementà la subjectivité de la foi — aux sentiments personnels, à l’histoire des individus et desfamilles — et simultanément à la monétarisation de la société, d’autant que, rappelonsle,les jaleseh sont aussi <strong>un</strong>e occasion pour des transactions plus prosaïques, de type commercial.Ainsi comprise, la sociabilité des femmes entretient <strong>un</strong>e relation paradoxale avecles tenants de la religiosité idéologique et savante. D’<strong>un</strong>e part, elle répond à certaines deleurs admonestations en faveur de la charité et elle satisfait de la sorte à certains des besoinséconomiques du régime et du clergé, notamment en récoltant les taxes religieusesde plus en plus centralisées par le pouvoir. Mais, de l’autre, les jaleseh gèrent ainsi defaçon relativement autonome des sommes considérables, gagnent en conséquence <strong>un</strong>eindépendance croissante et relativisent d’autant la bureaucratisation de l’évergétismepoursuivie par le régime. De ce fait, le pluralisme islamique, que garantissait classiquementla di<strong>vers</strong>ité des sources d’imitation, se trouve perpétué ou même parfois renforcépar la différenciation résolue de ce qu’il faut bien nommer la structuration d’<strong>un</strong>e sociétécivile religieuse, sous réserve de la pertinence de ce concept.En deuxième lieu, on pratique dans les jaleseh le récit et l’interprétation des rêves, voied’accès la plus individualisée et la plus directe au surnaturel, au monde invisible et au divin.Les fidèles peuvent ainsi prévoir et, par le truchement de l’aumône, détourner <strong>un</strong>danger — ils acquièrent <strong>un</strong> certain pouvoir de divination. Même si les songes des femmessont réputés n’être jamais autre chose que la réalité à l’en<strong>vers</strong> (khâb-e zan tchappeh),Les Etudes du CERI - n ° 27 - juin 1997 26

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