13.07.2015 Views

Iran: vers un espace public confessionnel? - Sciences Po

Iran: vers un espace public confessionnel? - Sciences Po

Iran: vers un espace public confessionnel? - Sciences Po

SHOW MORE
SHOW LESS
  • No tags were found...

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

celles-ci racontent volontiers leurs rêves, interprètent et évaluent elles-mêmes les plussimples d’entre eux, ou sollicitent l’exégèse de l’autorité religieuse qui préside la ré<strong>un</strong>ion ;l’oratrice peut de son côté choisir <strong>un</strong> thème onirique comme axe de sa prédication. Autremanifestation de l’imaginaire dans les jaleseh : les descriptions du paradis et de l’enfer.Le rêve constitue <strong>un</strong> récitatif permanent de la pratique religieuse. Il n’est d’ailleurs pas étrangerà la religion savante : l’oniromancie est <strong>un</strong> savoir-faire reconnu au clergé, au mêmetitre que l’astrologie, même si les écoles théologiques sont divisées sur le bien-fondé deces disciplines et si celles-ci ne sont enseignées, par exemple, ni à Qom, ni à Mashhad.Les idéologues religieux de la République islamique, pour leur part, n’ont pas négligé ceregistre du rêve et du monde céleste : l’imam Khomeyni n’était-il pas apparu sur la facede la l<strong>un</strong>e lors de la Révolution ? Les familles des martyrs ne recevaient-elles pas les signesprécurseurs de la disparition de la chair de leur chair dans leur sommeil, quelques joursavant le jour fatal ? N’est-ce pas également par le rêve que le fils tombé au champ d’honneurcomm<strong>un</strong>ique avec les vivants ? Le cinéma iranien, et singulièrement le “ film deguerre ” (cinemâ-ye jang), ne situe-t-il pas le moment de la prise de conscience nationale,islamique et révolutionnaire de ses héros pendant leur repos ? Et la façon dont le présidentRafsandjani a échappé à tant d’attentats n’est-elle pas miraculeuse ?La dimension onirique et céleste donne lieu à de multiples échanges entre la religionsavante ou idéologique et la religion populaire. De ce point de vue, la bureaucratisationet la rationalisation ne s’opposent pas nécessairement à ce qui est souvent perçu commede la superstition : tel cadre du régime présentera sans sourciller la vraie photo duprophète Mohammad trouvée dans la chambre de l’imam Khomeyni après sa mort. Dansle même temps, cependant, les pratiques oniriques sont de nature à cristalliser des conflitsentre les autorités politiques ou religieuses et la population des quartiers. Après avoirrêvé et raconté leur songe, des femmes et des hommes se voient reconnaître des pouvoirsthérapeutiques particuliers ; et la foule de défiler à leur domicile pour obtenir guérisonou réconfort en leur confiant leur aumône. D’autres voient pendant leur sommeill’emplacement de la tombe perdue d’<strong>un</strong> saint ou s’entendent confier des vérités déplaisantessur le comportement de certains dignitaires religieux du régime. Le merveilleux suscitede vrais mouvements d’opinion qui indisposent naturellement les autorités, et politiques,et cléricales. Ainsi, <strong>un</strong> célèbre guérisseur de Téhéran, qui opérait dans les ré<strong>un</strong>ionsreligieuses et qui s’était entre autres spécialisé dans le traitement du cancer, a dû entrerdans la clandestinité et, dans la ville industrielle de Foulâd-e mobârakeh, à 50 km d’Ispahan,les Gardiens de la Révolution sont intervenus pour démanteler <strong>un</strong> réseau de médecineparallèle qui suscitait <strong>un</strong>e trop grande émotion populaire. La porosité entre le savant,le populaire et le politique est d’autant plus évidente que les forces de l’ordre sontparfois sollicitées par les habitants du quartier eux-mêmes, divisés et perplexes.Aussi doit-on constater que les pratiques oniriques sont <strong>un</strong> lieu de rencontre entre lapopulation et les autorités religieuses ou politiques, autant qu’<strong>un</strong> sujet de discorde entrecelles-ci et <strong>un</strong> véhicule d’autonomisation de la société civile : les opérations ponctuellesde répression n’excluent pas la poursuite d’<strong>un</strong> débat plus continu et très nourri par livres,revues et prêches interposés. Vus sous cet angle, les rêves favorisent aussi l’<strong>un</strong>ificationculturelle et l’intégration de la société. Il est par exemple révélateur que, à Téhéran ouprès d’Ouroumieh, certaines figures oniriques aient transcendé les clivages ethniques et<strong>confessionnel</strong>s : les musulmans s’intéressent aux visions et aux songes des Arméniens,Les Etudes du CERI - n ° 27 - juin 1997 27

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!