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Iran: vers un espace public confessionnel? - Sciences Po

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cession étant désormais interdite, afin de dissuader les intermédiaires qui achetaient descarrés entiers pour en revendre les tombes au prix fort et, en quelque sorte, selon la terminologieconsacrée, de leur “ couper la main ”.Ce qu’il faut maintenant bien voir, c’est que le processus d’individuation, de bureaucratisationet de rationalisation de l’acte le plus <strong>un</strong>i<strong>vers</strong>el qui soit, celui de mourir — acte qui en <strong>Iran</strong>est à peu près <strong>un</strong>animement vécu dans des termes religieux — est constitutif de la formationde l’<strong>espace</strong> <strong>public</strong>. Nous en avons d’ores et déjà recueilli de multiples signes.Mais ce point mérite d’être encore <strong>un</strong>e fois précisé. Insistons tout d’abord sur l’investissementaussi bien affectif — cela va de soi — que social et économique dont la mort faitl’objet de la part de la quasi-totalité des <strong>Iran</strong>iens. Tous les jeudis après-midi, momentconsacré de la commémoration des déf<strong>un</strong>ts, et les vendredis, jour de repos, les famillesse pressent autour des tombes de leurs proches, ce rituel étant préparé à la maison etdans le quartier, notamment par la confection ou l’achat des mets et des fruits que l’ondistribue au voisinage et aux passants pour le repos des morts. Cette forme de sociabilitéreligieuse s’inscrit clairement dans l’<strong>espace</strong> <strong>public</strong>. L’<strong>un</strong>e de ses conséquences en estd’ailleurs de sérieux embouteillages sur l’autoroute qui mène de Téhéran à Qom. Ce àquoi il faut ajouter les commémorations spécifiques du troisième, du septième, du quarantièmejours et du premier anni<strong>vers</strong>aire du décès, et les différentes fêtes, y compris Noruz: chac<strong>un</strong>e de ces occasions est prétexte à distribution de nourriture et à réception, certainssalons de Behesht-e Zahra pouvant accueillir jusqu’à 5 000 convives. Or cettesociabilité f<strong>un</strong>éraire n’est nullement déconnectée des autres dimensions de la vie, pas plusque les jaleseh ne sont exclusivement des ré<strong>un</strong>ions religieuses : les je<strong>un</strong>es gens y échangentdes regards et les belles-mères potentielles y ourdissent des alliances matrimoniales; quant aux chanteurs (maddâh) qui célèbrent les vertus des morts et dont le talentse mesure à la quantité de larmes qu’ils arrachent à l’auditoire, ce sont ceux-làmêmes qui égaieront les noces, quitte à faire affaire à cette fin au détour d’<strong>un</strong>e tombe.Dans leur intensité, ces di<strong>vers</strong>es pratiques f<strong>un</strong>éraires inspirent <strong>un</strong> récitatif de plus en plusdense de la part des autorités. L’administration de Behesht-e Zahra s’apprête ainsi à diffusergracieusement ou à bas prix des <strong>public</strong>ations décrivant précisément et rationnellementles différentes étapes de la mise en terre dans l’espoir, dit-elle, de réconforter lesfamilles, de les réconcilier autant que faire se peut avec l’idée de la mort et de désamorcertout conflit éventuel avec ses futurs interlocuteurs. Elle souhaite de même encouragerla <strong>public</strong>ation de travaux <strong>un</strong>i<strong>vers</strong>itaires. L’acte de mourir relève ainsi de plus enplus de l’écriture, non seulement celle de l’enregistrement et de la statistique, mais encorecelle de la connaissance scientifique. Il doit maintenant faire bon ménage avec l’exigencede self-reflexivity inhérente à la globalisation 11 . Outre l’écriture, l’image y pourvoitégalement puisqu’<strong>un</strong> nombre grandissant de cérémonies sont photographiées et filméesen vidéo, au même titre que les mariages ou les fêtes du devoir. En outre, cette formationde l’<strong>espace</strong> <strong>public</strong> à tra<strong>vers</strong> les pratiques de la mort passe également par la médiationdu monde des entreprises (sherkat) dont nous avons vu qu’elles prenaient de plusen plus en charge les opérations f<strong>un</strong>éraires, conformément à l’évolution générale de lasociété, mais qui aussi sponsorisent des obsèques d’employés, de martyrs ou de deshéritésdans <strong>un</strong> esprit évergétique. Enfin, la gestion publique de la mort recoupe de11 Anthony Giddens, Modernity and Self-Identity. Self and Society in the Late Modern Age, Stanford, StanfordUni<strong>vers</strong>ity Press, 1991.Les Etudes du CERI - n ° 27 - juin 1997 23

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