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Iran: vers un espace public confessionnel? - Sciences Po

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parle couramment de “ pèlerinage et distraction ” 16 (ziyârat-o siyâhat) ou de “ pèlerinageet commerce ” (ziyârat-o tejârat). En d’autres termes, le processus de formation d’<strong>un</strong> <strong>espace</strong><strong>public</strong> <strong>confessionnel</strong> se mêle au processus de formation d’<strong>un</strong>e société civile “ bourgeoise”, d’<strong>un</strong>e société de consommation et d’<strong>un</strong>e société politique : il est difficile, pourl’analyste, d’isoler l’institutionnalisation d’<strong>un</strong> champ religieux différencié, où la rationalisationdes pratiques et leur inscription dans l’imaginaire concourent à l’individuation ducroyant, de l’ascension des sherkat, de la marchandisation de la vie quotidienne, de l’extensionde la participation politique ou plus spécialement électorale. La spécificité socialedu religieux est relative.Par exemple, les pèlerinages sur les tombes des saints fournissent aux femmes l’opport<strong>un</strong>itéd’“ être-en-société ”, notamment dans les milieux des classes moyennes : ellesse rendront désormais à Mashhad, à Damas, à La Mecque entre parentes ou entre“ amies ” (doust), ou encore en voyage organisé entre les gens du même cercle religieux,de la même école, de la même administration, du même lieu de travail ; elles y voient <strong>un</strong>eoccasion de se livrer à la dévotion de leur saint ou du Prophète, mais aussi de descendreà l’hôtel, de manger au restaurant, de faire du tourisme ou du shopping, d’être, à l’instardes hommes, les absentes attendues par leur famille et accueillies avec empressementà leur retour, d’avoir <strong>un</strong>e aventure à faire partager par le récit de leur voyage. <strong>Po</strong>ur continuerde paraphraser Peter Brown, la République islamique a désigné dans la sphère religieuse“ <strong>un</strong>e nouvelle classe de bienfaiteurs ” 17 , celle des femmes, dont l’activité charitableou évergétique est inlassable et se prolonge même, le cas échéant, sur la scènepolitique : elles ont été nombreuses à faire des dons au profit des combattants du frontou, lors de la visite de Yasser Arafat, en 1979, au bénéfice de la cause palestinienne, commel’a immortalisé <strong>un</strong>e caricature cruelle montrant le leader du Fatah se précipiter, lesourire triomphant, pour remercier son auditoire féminin et revenir avec <strong>un</strong> baluchon remplide bijoux en or. La présence massive des femmes dans les sanctuaires — des sanctuairesqui sont désormais des lieux non plus seulement de dévotion mais égalementd’innovation bureaucratique, de rationalisation économique, de participation politique —illustre leur intégration dans la cité.De même, les dissensions entre clercs ne traduisent pas seulement des divergencesthéologiques, factionnelles ou politiques. Elles portent souvent sur des conflits d’intérêtsmatériels, et plus fondamentalement sur des conceptions différentes du gouvernement,de la société, de la nation, de la foi des fidèles, de leurs pratiques quotidiennes, de la famille,des affaires, de l’Etat. On a souvent dit que la vie religieuse en <strong>Iran</strong> avait été dominéepar la dispute entre akhbâri et osuli au XIX ème siècle et par la victoire des secondssur les premiers. Ainsi la République islamique s’inscrirait dans la continuité de la suprématiedes osuli dont la principale source d’imitation, Morteza Ansari, sera d’ailleurs lemaître à penser de l’imam Khomeyni. En fait les choses sont plus compliquées et ne selaissent pas réduire à <strong>un</strong> affrontement aussi dichotomique entre deux écoles ou deuxmodes de croire bien tranchés. Il est vraisemblable que la bureaucratisation du champ16 A bien des égards, le développement du tourisme en <strong>Iran</strong> doit beaucoup à l'organisation, par les différentesinstitutions, des tours dits pèlerino-touristiques, siyâhati-ziyârati.17 Peter Brown, op. cit., p. 66Les Etudes du CERI - n ° 27 - juin 1997 31

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