12L’enquêteLA TRIBUNE VENDREDI 14 décembre 2012tion ». Sylvia Pinel ne s’occupe nides PME, ni de la consommation(dont Benoît Hamon a hérité).Mais en tant que ministre plein,elle a droit à 15 conseillers, alorsque son collègue Cahuzac, qui doitassurer la lourde tâche du redressementdes comptes publics, n’en aque dix, puisqu’il n’est « que »ministre délégué. Dans les couloirsde Bercy, il se murmure que lesconseillers de Sylvia Pinel ne sontpas les plus occupés…Au-delà de ces incohérences, sepose la question de la ligne de politiquedéfendue par l’ensemble duministère. Pierre Moscoviciassume une ligne sociale-démocohabitationLe 139, rue de Bercy n’a jamais accueilli autant de ministres.Bercy : sept capitainLe contexte Michel Sapin avait théorisé unenouvelle organisation de Bercy. Patatras, c’estPierre Moscovici qui en a été nommé le patron.Tout était à repenser.Les enjeux Faute d’une ligne politiqueclairement définie et en l’absence d’un leadershipincontesté, nombreux sont les arbitrages quiremontent à Matignon, et souvent jusqu’à l’Élysée.Ivan BestEn ce 25 juin 2012, lescollaborateurs de SylviaPinel, fraîchementnommée ministre del’Artisanat, du Commerceet du Tourisme, débarquentdans les bureaux de Fleur Pellerin,en charge des PME et de l’Économienumérique, au quatrièmeétage du ministère, rue de Bercy.Objet de la visite : Fleur Pellerindoit déménager, et vite, car elleoccupe un bureau plus grand quecelui de Sylvia Pinel, au mêmeétage. Or, cette dernière vientd’être promue au rang de ministrede plein exercice, alors que FleurPellerin n’est « que » ministre déléguée– ce qui correspond en faitaux secrétaires d’État des gouvernementsprécédents, mais ce statuta disparu, leur traitement étantdécidément trop faible.les derniers arrivéssont au bout du couloirPas question pour Sylvia Pinel delaisser une collègue ministre d’unrang inférieur s’octroyer ainsi unsymbole de supériorité. FleurPellerin refusant d’obtempérer,l’arbitrage de ce douloureux conflitremontera… à Matignon. Jean-Marc Ayrault décidera de laisserles choses en l’état. Fleur Pellerinn’aura pas à déménager.Ainsi vont les gouvernements,ainsi va la vie à Bercy où septministres doivent désormais cohabiter.Du jamais vu. Pour lesbureaux, des solutions ont fini parêtre trouvées, dans le bâtiment desministres du 139, rue de Bercy, plutôtconçu pour accueillir trois ouquatre membres du gouvernement.Les derniers arrivés sontallés s’installer au bout du couloir,dans des locaux jusqu’alors destinésà des conseillers. Construit aumilieu des années 1980, le bâtimentest modulable. On a puOn s’attendait à ceque Pierre Moscovicidevienne le poidslourd de Bercy. Celan’a pas été le cas.agrandir les pièces disponibles…En outre, des négociations arduesont eu lieu sur le stationnementdes voitures des ministres, chacund’entre eux voulant, bien sûr, voirla sienne garée le plus près del’entrée du bâtiment.Mais la question dépasse celledes ego et du confort des sept hôtesde Bercy. Qui fait quoi ? Qui décidequoi ? Aujourd’hui, si les tâchessont a priori réparties, on seraitbien en peine de désigner lecapitaine du navire Bercy, et detrouver une cohérence à l’équipagetel qu’il a été constitué.Sur le papier, tout était pourtantsimple. Structuré. Proche de FrançoisHollande, Michel Sapin avait,peu avant la formation du gouvernement,théorisé une nouvelleorganisation de Bercy : à côté d’unministère chargé de l’Industrie, ilfallait rassembler en un seul pôlele ministère de l’Économie et celuidu Budget, séparés depuis 2002.« Le redressement des comptes sefera par la croissance, disait Sapin.On ne peut donc pas séparer leredressement des comptes [le ministèredu Budget, ndlr] et celui de lacroissance [ l’Économie]. » Va pourun puissant ministre en charge del’Économie, des Finances et duCommerce extérieur, aidé notammentpar un ministre délégué encharge du Budget.Contrairement à ce qui étaitprévu, Michel Sapin n’aura pas leposte, ce sera Pierre Moscovici. Ons’attend alors à ce qu’il devienne lepoids lourd de Bercy.Ce ne sera pas le cas. Si la nomination,après les législatives, d’unministre du Commerce extérieurne dépendant pas de lui (NicoleBricq) ne joue qu’à la marge, laplace prise par Jérôme Cahuzaccompte sans doute plus. Jusqu’àl’affaire de son supposé compte enSuisse, sortie par Médiapart le4 décembre, Jérôme Cahuzac étaitprésenté comme l’une des révélationsde ce gouvernement. De sontitre de « ministre délégué » [aubudget], il a très vite enlevé, dansles faits, le mot « délégué ».Dans les faits, JérômeCahuzac s’occupe de toutSous la droite, les ministres duBudget étaient en charge desdépenses budgétaires, tandis queleurs collègues de l’Économieavaient la haute main sur la politiquefiscale. D’où des conflitsincessants et un schéma peu opérationnel.Pour en sortir, il étaitprévu que Pierre Moscovici définissela stratégie budgétaire et lapolitique fiscale, à charge pourJérôme Cahuzac de la mettre enœuvre. Dans les faits, ce derniers’occupe de tout. Jérôme Cahuzacest si peu « délégué » de PierreMoscovici qu’en cas dedésaccord éventuelentre les deux, l’arbitragedoit remonter àMatignon. Voire à l’Élysée.Cela a été le casavec l’affaire desPigeons, dans laquellePierre Moscovici estmonté au créneau pour faire reculerle gouvernement. Un peu vite,disent certaines mauvaises langues,dans les couloirs de Bercy.Cela a été le cas, aussi, quandJérôme Cahuzac, peu favorable au« choc de compétitivité », a militécontre la hausse de la TVA. Ilaurait préféré jouer sur la CSG, eta défendu cette position à l’Élyséecontre son ministre de « tutelle ».D’autres différends, sur des sujetsmoins cruciaux, sont arbitrés parle chef du gouvernement, alorsqu’ils devraient logiquement l’être© ERIC PIERMONT / AFPLe discret le bateleur Le boxePierre Moscovici S’il gagne de faitbeaucoup d’arbitrages, le ministrede l’Économie peine à imposermédiatiquement sa position.Arnaud Montebourg Le ministredu Redressement productif défend uneligne de gauche affirmée par sa volontéde nationaliser Florange.© THOMAS SAMSON / AFP© PHILIPPE HUGUEN / AFPau sein de Bercy. Ainsi, Sylvia Pineldéfend-elle le statut fiscal desmétiers d’art, auquel s’opposeJérôme Cahuzac… Jean-MarcAyrault devra trancher.En bonne logique, Sylvia Pinelaurait pu être « rattachée » à PierreMoscovici. Mais François Hollandea voulu donner un titre de ministre« plein » à cette représentante duParti radical de gauche, alors mêmeque son champ d’action est sommetoute limité. D’ordinaire, ce sont lesministres en charge des PME –Fleur Pellerin, aujourd’hui – quis’occupent de l’artisanat et du tourisme.Et l’habitude veut qu’on yajoute le dossier « consomma-Jérôme Cahministre déléguéla rigueur auxIl se bat aujourd’
VENDREDI 14 décembre 2012 LA TRIBUNEL’enquête 13Pas facile de savoir qui fait quoi dans un équipage pour le moins disparate.es pour un paqueboten faut, certes – qui ne développepas une vision industrielle de longterme. <strong>La</strong> politique économique,qui passe aussi par la politiqueindustrielle, elle se conçoit ausixième étage du bâtiment desministres, chez Pierre Moscovici,et non au troisième, chez ArnaudMontebourg, estime le ministrede l’Économie.crate, sur laquelle il emmène laplupart des ministres de Bercy,qu’il s’agisse de Benoît Hamon,Nicole Bricq, Sylvia Pinel… Mais ilpeine à exister vraiment, sur cettebase, médiatiquement et politiquement.Même s’il est capable deréunir au débotté 70 députéssocialistes à Bercy, et s’il a suplacer des proches au secrétariatnational du PS. Ses conseillersmettent en avant les nombreuxdossiers dont il a la charge :Banque publique d’investissement,réforme bancaire, etc., sans parlerdes dossiers internationaux. Ce quin’empêche pas le ministre de l’Économied’avoir du mal à convaincrede l’ampleur de la tâche accomplie.Il avait d’ailleurs récemmentprogrammé une conférence depresse, finalement annulée, destinéeà mettre en valeur six mois debilan. Le signe que celui-ci ne sautepas aux yeux de tout le monde.montebourg « agaceparfois » moscoviciEt surtout, il y a l’autre… l’autreministre qui compte, politiquement.Arnaud Montebourg, biensûr. Les relations entre les deuxapparaissent pour le moins complexes.« Arnaud l’agace parfois »,ont pu dire des collaborateurs duministre de l’Économie. Il est vraiLes cinq bâtiments qui abritent le ministère de l’Économie et des Financesportent tous des noms de serviteurs de la royauté française : Colbert, Vauban,Turgot, Sully et Necker… Ici, le bâtiment Colbert. [BERTRAND GUAY / AFP]ur <strong>La</strong> bosseuse <strong>La</strong> diplomate Le bon élève L’indépendanteuzac Grand sportif, leau Budget a su imposerautres ministres.hui contre Médiapart.© ERIC PIERMONT / AFPNicole Bricq <strong>La</strong> ministre du Commerceextérieur se consacre pleinement à sa tâche.Si elle soutient Pierre Moscovici, elle évitede se mêler aux affrontements.© ERIC FEFERBERG / POOL / AFPFleur Pellerin <strong>La</strong> ministre des PMEparvient à bien s’entendre avec son ministrede tutelle, Arnaud Montebourg, mêmesi elle est plus proche de Pierre Moscovici.© FRED DUFOUR / AFPBenoit Hamon Venu de l’aile gauchedu PS, le ministre délégué à l’Économiesociale et solidaire s’entend pourtantbien avec Pierre Moscovici.que Pierre Moscovici a été particulièrement« agacé » par la communicationd’Arnaud Montebourgautour du plan compétitivité. Leministre du Redressement productif,le MRP comme on l’appelleà Bercy, a vendu l’idée qu’il avaitgagné les arbitrages, qu’il avaitdonc inspiré le plan et obtenu descontreparties au crédit d’impôt.Cette communication a fonctionnéquelques jours, mais lavérité a fini par apparaître : decontrepartie, il n’y en avait pasvraiment. D’où la sortie de PierreMoscovici, dans Le Figaro : « Je netiens pas à polémiquer, mais je vaisêtre très clair : j’ai été, dans ma© ERIC PIERMONT / AFPSylvia Pinel <strong>La</strong> ministre de l’Artisanat,du Commerce et du Tourisme est l’unedes trois représentantes du Parti radicalde gauche au sein du gouvernement.fonction, au cœur de la préparationde ce dispositif. […] Je me consacreà mon travail à Bercy en pleineconfiance avec le président de laRépublique et le Premier ministre.Cela suppose une certaine discrétion.Pour plus d’efficacité. »Les mots sont choisis, l’attaquen’en est pas moins rude : discrétionmoscovicienne contre médiatisationéchevelée côté Montebourg.Efficacité contre agitationimproductive. Quand il se veut untout petit peu plus aimable – àpeine –, Pierre Moscovici fait passerun autre message. Il voit enArnaud Montebourg un ministrespécialiste des canards boiteux – il« on fonctionne commeune équipe de campagne »Qu’importe si cela n’est pas toutà fait exact, l’argument faitmouche. Car Arnaud Montebourgse consacre de fait aux secteursd’avenir, avec sa ministredéléguée aux PME et au numérique,Fleur Pellerin. Il multiplieles visites sur ce thème. Mais,d’un point de vue médiatique,cela ne percute pas. Les attributionsdu ministre, qui ne disposecomme administration que d’unmorceau de feu le ministère del’Industrie, n’aident pas au développementd’une vision stratégiquede l’entreprise d’avenir :« Un ministre de l’entreprise quin’a compétence ni sur leur financement,ni sur le développementde leurs ventes à l’export, quelleest la logique, que peut-il faire ? »s’interroge un haut fonctionnaire.En outre, contrairement àla plupart des ministres de l’Industrie,qui peuvent le caséchéant s’appuyer sur le Medef,Arnaud Montebourg ne disposepas du soutien des grandspatrons.« Le problème », poursuit l’un deses collègues, « c’est que Bercyfonctionne un peu comme l’équipede campagne de François Hollande.Plusieurs groupes travaillentparfois en même tempssur des sujets similaires, sans lesavoir, et c’est le chef qui s’assurede rassembler le tout, de faire letri. Ça marche dans un parti, unpeu moins au niveau d’un pôleministériel. »Et si le vrai ministre de l’Économieet des Finances avait sonbureau à l’Élysée et s’appelaitFrançois Hollande ? À l’écouterlors de sa conférence de pressedu 13 novembre, c’est l’impressionqui se dégageait. « Ministrede l’Économie ? Surtout ministrede la Fiscalité », répond un hautfonctionnaire, soulignant le goûtdu chef de l’État pour les sujetséconomiques, mais surtout fiscaux.« Toujours est-il que FrançoisHollande a tout fait pour queBercy puisse se constituer en forteresse.» De ce point de vue, il aplutôt réussi. q