20territoires / franceLA TRIBUNE VENDREDI 14 décembre 2012DécentralisationQu’elle est loincette réformequi devaittout changer !Le texte tant attendu par les territoires s’annoncemoins ambitieux et beaucoup plus centralisateurque prévu. Le gouvernement n’est pasencore parvenu à lui donner un sens politiquefort. Retour sur quelques malentendusque les tentations jacobines ont entretenus.«Jean-Pierre GonguetNous sommesencore dansune période oùles partis sontprisonniers deleurs élus qui les empêchent d’allerplus loin, et l’État toujours prisonnierde son organisation administrativeet territoriale. » Clotilde Valter,députée socialiste du Calvados,résume ainsi la crise de tétanie politiquesur la décentralisation.Elle connaît les deux versants duproblème : haut fonctionnaire, rompueaux débats et conflitsavec la préfectorale (LionelJospin l’avait chargéedes questions de sécuritéà Matignon), mais aussiconseillère générale duCalvados et, depuis juin,députée. Haut fonctionnaireet politique. Elleétait rapporteur sur la loide création de la BPI et aainsi parfaitement vu lesincompréhensions entresocialistes sur la notion même dedécentralisation : « Lorsque Jean-Paul Huchon venait en commissiondire que la formation et l’emploiallaient être décentralisés, c’étaitfaux. L’État garde sa compétenceemploi et formation. C’est encoreplus évident sur la politique industrielle: ce n’est pas la Région qui faitou qui fera la politique industrielle,c’est l’État. Les Régions sont disparateset parfois trop petites, ce n’estpas à chacune d’elles de créer sesfilières industrielles. »45 %de l’activitéd’Oséo se situeen Île-deFrance. Lespetites etmoyennescollectivitésrestent encorepeu épaulées.Entre des élus, qui ont un peutrop attendu de la décentralisation,et la haute fonction publiqueil y a un grand fossé : « Lorsque,sur la BPI, des présidents deRégions viennent dire qu’ils neveulent pas de la présence du préfetde Région dans les comités d’orientationbudgétaire régionaux, on estoù ? » s’interroge la députée.Il est surtout questionde « modernisation »Clotilde Valter croit au rôle centralde l’État. Elle n’a jamais penséque les Régions « avaient vocationà devenir des Étatsnations» et elle a toujoursLes objectifs Si elle concerne au premier chef lescollectivités locales, la politique de décentralisation peuts’analyser comme une politique publique impulsée etconduite par le sommet de l’État. Les deux grands momentsde la décentralisation se sont concrétisés par l’adoption deslois Defferre en 1982-1983, puis la réforme constitutionnelleexpliqué que la BPI étaitun geste de déconcentration,pas de décentralisation.L’avant-projet de« loi de décentralisationet réforme de l’actionpublique » que MaryliseLebranchu, ministre de laRéforme de l’État, de laDécentralisation et de laFonction publique etJean-Marc Ayrault ont discutécette semaine avec les associationsd’élus a surpris le landernau socialiste,car il est profondémentimprégné, lui aussi, de cette logiquejacobine : il s’agit plus d’y réaffirmerle rôle stratège et organisateur del’État que de réaliser un véritablenouvel acte de décentralisation.Serge Morvan, directeur généraldes collectivités locales (et rédacteurde cet avant-projet pour laministre) avait d’ailleurs prévenuil y a quelques semaines. Pour rassurerdes préfets inquiets et pasforcément acquis aux bienfaits dusocialisme, il avait expliqué, enpetit comité, qu’il ne travaillait passur une loi de décentralisationmais, simplement, sur un texte de« modernisation de l’État ». EtManuel Valls, ministre de l’Intérieur,n’a pas dit autre choselorsque, face aux préfets et auxhauts fonctionnaires, il a, horsmicros et caméras, longuementexpliqué que « la France a plus quejamais besoin d’un État fort, d’unÉtat stratège ». Pour le ministredes collectivités locales, en matièrede sécurité comme en matière économique« le citoyen exprime unedemande forte d’État, une demandede protection en temps de crise ».<strong>La</strong> gauche jacobine et centralisatrice,celle de Manuel Valls, deBercy ou, assez étrangement, deMatignon, a pour l’instantemporté, du moins avant le débatparlementaire, la première manchesur le nouvel acte de la décentralisation.L’éternel affrontemententre les gauches jacobines etgirondines a même fait des dégâtsau sein du cabinet de MaryliseLebranchu. Son directeur de cabinet,Serge Bossini, a sauté débutoctobre. Plus politique que technique,plus ouvert aux idées nouvellesque patient face à l’inertie dela haute fonction publique, pasforcément enclin à travailler avecles élus, il a perdu bon nombre deses arbitrages, puis, logiquement,son poste lors de cette intense rentréede septembre. Gérard Collomb(avec la création des eurométropoles)a parfaitement comprisque la méthode Hollande était trèsfavorable aux lobbyistes de touscrins. « Pendant dix ans, expliquele maire de Lyon, nous noussommes opposés aux réformes desgouvernements de droite. Maisjamais nous ne nous sommes misd’accord entre nous, entre socialistes,entre élus, sur ce que nousvoulions. » Résultat : en 2012, c’estle chacun pour soi, chaque élu,chaque association d’élus allant àMatignon, à l’Élysée ou chezMarylise Lebranchu arracher unmorceau de texte. Et comme lecadre n’est pas fixé fermement audépart, le dernier élu qui parledéfait ce qui a été construit laveille. Tous sont socialistes, personnen’est d’accord et chacun acherché à gravir le perron élyséen.Et, naturellement, en découvrantl’avant-projet de loi, certainssont tombés de haut. Le maired’une grande ville qui avait ainsipassé beaucoup de temps à crapahuterdans les couloirs ministérielsces dernières semaines s’estécrié : « Mais, ce n’est absolumentpas ce sur quoi nous nous étionsmis d’accord ! » Le sujet ? Lesmétropoles. Un cas d’école. Lesmaires de grandes villes et lesprésidents de communautésurbaines demandaient un systèmerelativement souple : ils voulaientse constituer en métropole nonpas en fonction de leur nombred’habitants, mais en fonction deleur dynamisme. Ils avaient réagiau fait que les premières versionsdu texte comportaient une liste devilles qui pouvaient prétendre à
VENDREDI 14 décembre 2012 LA TRIBUNEterritoires / france 21focusDes préfets réticents<strong>La</strong> décentralisation coûte plus cher que la centralisation.C’est en tout cas le point de vue exprimé par l’Associationdu Corps préfectoral et des Hauts Fonctionnaires duministère de l’Intérieur dans une note à MaryliseLebranchu et Manuel Valls du 4 octobre. L’associationque dirige Daniel Canepa, préfet de l’Île-de-France(nommé par Nicolas Sarkozy), défend une double idée :s’il « est difficile d’affirmer que les deux précédents actesde décentralisation ont montré leur efficacité et que lespolitiques actuellement décentralisées sont gérées plusefficacement que si elles l’étaient par un État déconcentré »,il paraît « utile de démentir cette contrevérité que le fonctionnementde l’État dans son périmètre actuel coûte pluscher ». Et l’Association, après avoir cité moult rapports,estime qu’aucune décentralisation ne sera économe si« elle n’est pas accompagnée d’une réduction du coût globaltous services publics confondus en évaluant les coûtsdirects en personnel de part et d’autre, les coûts induits parle travail en partenariat et les coûts induits par les excèsde normes ». Les préfets admettent la réorganisation deleur corps, la suppression de certains d’entre eux, de souspréfecturesou des services, mais à condition que les élusen fassent autant, voire plus ! Le corps préfectoral, trèspeu modifié depuis le 6 mai, est sur cette ligne et ladéfend. « <strong>La</strong> non-volonté de chasse aux sorcières deFrançois Hollande est assez ahurissante, estime un préfetproche des socialistes. Si l’on veut mettre en place de nouvellespolitiques publiques, il faut de nouvelles têtes. Maisen dix ans, Nicolas Sarkozy qui a surveillé toutes les nominations,y compris la plus infime, a modelé un corps préfectoralet une haute fonction publique très proche de lui.C’est aussi l’une des raisons de la faiblesse de l’actuel textesur la décentralisation : le corps préfectoral a été malmené,il ne sait plus où il va, et beaucoup ont été nommés quin’auraient jamais dû l’être. » q J.-P. G.Avec « l’avant-projet de loi de décentralisation et réforme de l’action publique », Marylise Lebranchu, ministrede la Réforme de l’État, et Jean-Marc Ayrault ont réaffirmé le rôle organisateur de l’État. Un rôle de « stratège »que Manuel Valls, ministre de l’Intérieur, a confirmé devant les préfets. [JACQUES DEMARTHON / AFP]en 2003. Elles marquent la volonté politiqued’opérer une redistribution des pouvoirsentre l’État et les collectivités locales aveccomme objectifs une meilleure efficacité del’action publique et le développement d’unedémocratie de proximité.être des métropoles européennes(Lille, Lyon et Marseille), uneavec un statut indéfini (Paris) etd’autres (Bordeaux, Toulouse,Nantes, Nice, Strasbourg, Grenoble,Montpellier et Rouen) quiauraient pu être des métropolesurbaines. Question : pourquoiRouen et pas Rennes, pourquoiNantes et pas Metz ? « Favorisonsplutôt des communautés qui ontenvie de se constituer en métropolesparce ce qu’elles sont dynamiques», a plaidé Michel Destotle président de l’Association desgrandes villes. Peine perdue :Marylise Lebranchu a suppriméles noms, mais introduit un seuild’habitants pour se constituer enmétropoles (450 000 habitantsdans une première version,400 000 dans la dernière).Si les eurométropoles (Lille,Lyon et Marseille) ont bien obtenula compétence économiquequ’elles visaient, les métropolesurbaines ne l’ont pas, elles, de pleindroit. À quoi sert de se constitueren métropole, geste politiqueimportant, s’il faut, en plus,demander la permission à laRégion pour aider les entreprises ?la règle du « celui quipaie décide » prévautLe mode de création de cesmétropoles est un peu étonnant,relève un vieil habitué desréformes territoriales : « <strong>La</strong> définitiondes eurométropoles et communautésmétropolitaines est quasiidentique à celles des Communautésurbaines, d’agglomérations oude communes. Cela correspond trèsL’avant-projet de loi dedécentralisation et de réforme de l’actionpublique a fait l’objet d’ultimes arbitragesà Matignon le 10 décembre, et à l’Élysée, le 11.Il sera transmis début janvier au Conseild’État et en conseil des ministres le 6 février.mal au principe affiché de rayonnementnational et européen, etjustifie mal la création de ces deuxcatégories supplémentaires, sansvéritable valeur ajoutée quant àleur fonction sur le territoire nationalou au-delà. » Comme si le gouvernementavait rogné les ailes desmétropoles avant même qu’ellesdécollent. Pour le dire autrement :les élus sont en train de découvrir,à travers cet avant-projet, un texteoù l’État veut surtout en lâcher lemoins possible et contrôler la pluspetite innovation (la métropole) !Le texte respecte ainsi la promessede campagne de François Hollandede créer un « Haut Conseil desTerritoires ». Mais, rien n’obligel’exécutif à le saisir…En revanche, nul n’avait parléd’une loi de finances pour lescollectivités locales. Il semble bienque ce soit Claudy Lebreton, leprésident de l’Association desdépartements de France qui l’ait« vendue » à François Hollande enseptembre. Mais comme « l’Étatn’a plus d’argent, explique un présidentde conseil général, il atrouvé avec cette loi un magnifiquemoyen de contrôler, via le Parlement,celui des collectivités », doncil a repris l’idée.Nul non plus n’avait parlé d’un« schéma stratégique national dudéveloppement économique pourune durée de cinq ans », dans lecadre duquel les Régions vontdevoir bâtir leur propre schémarégional de développementéconomique et d’innovation et leurstratégie d’aides aux entreprises.C’est la version jacobine du « pactede confiance » que l’Élysée souhaitaitétablir avec les collectivités,pour ceux qui auraient cru qu’unpacte de confiance était un pacteoù l’on faisait confiance à son partenaire…Cette absence deconfiance affichée s’est avancéemasquée mais elle transpire aussibien dans le texte sur la décentralisationque dans les débats sur laBPI. Dans les deux cas, l’État veutcontrôler l’intervention publiqueéconomique. Comme le souligneClotide Valter à propos de la BPI,« la présidence d’un comité d’engagement,ce n’est pas la place d’unélu ». Et elle rajoute, « celui quipaie décide ». Or, les Régions nepaient pas…Avec ces textes, il apparaît en faitque les seules collectivités quipourront être un peu autonomesseront les plus riches. Comme lafuture Eurométropole lyonnaiseou la future région Île-de-France(à moins, bien sûr, qu’une Eurométropolesolide se constitue autourde Paris, ce qui est actuellementassez peu probable). Elles onttoutes deux la taille politique etéconomique pour discuter endirect avec les banques et les entreprises,sans que l’État les importune.45 % de l’activité d’Oséo est,par exemple, en Île-de-France, etla banque travaille en parfaite harmonieavec la Région : elles subventionnent,bon an mal an, unedizaine de milliers d’entreprises.BPI ou pas, décentralisation oupas, elles continueront à en faire deplus en plus. En revanche, lespetites, moyennes ou grandesintercommunalités, grandes perdantespour l’instant du nouvelacte de décentralisation (le gouvernementn’a pas voulu heurter lelobby des 36 000 maires deFrance) sont aussi peu épaulées etpeu libres de leurs mouvementsqu’auparavant. L’inégalité territorialepeut s’en trouver renforcée. q