28Les idéesLA TRIBUNE VENDREDI 14 décembre 2012vivifier les territoires,clé de la compétitivité© DR© DRPierreLARROUYÉCONOMISTEPierreBENAÏMExpert enInnovationEn France comme en Europe, les défis de la relance économique exigeront del’innovation mais aussi une cohésion sociale forte. Selon Pierre <strong>La</strong>rrouy et PierreBenaïm, c’est en favorisant l’émergence d’initiatives territoriales fortes, aptesà refonder la confiance et le pacte citoyen, que pourra s’enclencher le processusvertueux de reconquête de la compétitivité.Compétitivité et confiance sontdevenues depuis quelquessemaines les mots-clés etconsensuels pour affronter lesenjeux majeurs d’un avenir économiqueet social dont chacun,en son for intérieur, avait bienmesuré qu’il exigerait des mesures difficiles. <strong>La</strong>présidentielle de 2012 s’est focalisée sur la dette.Mais le contexte appelle un supplément d’âme quipermet la mobilisation, la fédération des énergieset la révolte consensuelle.<strong>La</strong> confiancecomme « lubrifiant social »Compétitivité et confiance sont indissociables :« <strong>La</strong> confiance est un lubrifiant social », comme ledit K. Arrow, Prix Nobel d’économie 1972. Hélas,la période est peu propice. Comment ne pas mesurerla défiance citoyenne à l’égard du politique ?On ne peut donc se contenter de mesures gestionnaires.Il faut incarner, s’engager, porter un espoirdans un pacte citoyen mobilisateur. L’atout maîtreest que le citoyen est majoritairement mature,conscient, informé et en attente réaliste d’un projetqui l’associe.Le pacte de compétitivité présenté par le gouvernementsera complété par des accords sociaux, parune brique supplémentaire de la décentralisation,par la recherche d’un programme d’investissementsde croissance européen.Mais la réussite de toute politique publique en cesens repose sur un pacte citoyen permettant cetterelation fusionnelle confiance-compétitivité.une étroite relation entre stratégienationale et initiative territorialeEn Europe aujourd’hui les « grands travaux » sontautant de défis sociétaux : énergie et développementdurable, numérique et économiede la connaissance, santéet économie du vieillissement.«Les citoyenssontsceptiques face àdes initiatives quine leur paraîtraientpas totalementtransparentes. »Ceux-ci imbriquent fortementaxes de recherche fondamentale,de compétitivité et d’implicationcitoyenne. Ces grands travaux,que nous appellerons « travauxde génération » ont un fortimpact sur la cohésion sociale.Le projet de loi de décentralisations’avère d’autant plus stratégiqueque la plupart desréponses à ces travaux se trouvent au croisementde politiques nationales ambitieuses et d’initiativesterritoriales. Ce sont des territoires quenaissent les projets collaboratifs, la proximité étantun facteur clé de la fertilisationcroisée.Les collectivités ne s’y sont«<strong>La</strong> premièreinnovationest, sans aucundoute, à réaliseren matièred’organisationsociale. »d’ailleurs pas trompées,puisqu’elles portent des actionspolitiques fortes de soutien àleurs économies locales, avecnotamment des agences d’innovationou de développement,mais également des pôles decompétitivité, des « clusters » etdes dynamiques collectivesnouant recherche et monde économique.Le principe de subsidiarité et l’initiativeterritoriale doivent être au cœur de ce projet.<strong>La</strong> période exige donc une étroite relation entrestratégie nationale et initiative territoriale. <strong>La</strong> miseen place de règles qui en permettent l’épanouissementest essentielle. Le combat contre la crise estégalement un combat contre le temps.Ceci est visible avec les marchés au niveau de lacrise financière. Ceci est aussi vrai pour la reconquêteen matière industrielle et de compétitivité.Les grandes actions stratégiques nécessairesautour de l’innovation de rupture supposent dutemps. Les effets ne sont pas immédiats.des acteurs coordonnés,mais qui conservent leurs spécificitésLes effets connus par la science économiqueautour des multiplicateurs et accélérateurs del’investissement sont plus forts et plus rapidesdans la proximité et les circuits courts. C’est ce quiest visé dans la priorité donnée aux PME/TPE, cedoit être aussi le choix d’un soutien fort à l’initiativeterritoriale.Il semble que ces besoins soient pris en comptepar la création d’une Banquepublique d’investissement enassociation avec les Régions. Estcesuffisant ? Est-ce suffisant, enparticulier, pour obtenir le chocde confiance recherché ? Lescitoyens sont sceptiques face àdes initiatives qui ne leur paraîtraientpas totalement transparentes.<strong>La</strong> première innovationest donc, sans aucun doute, àréaliser en matière d’organisationsociale.Les projets d’intérêt général, en particulier ceuxqui correspondent à des enjeux sociétaux, nécessitentà la fois une gouvernance publique garanteet responsable de cet intérêt général et du longterme et un mode d’organisation qui permette deprivilégier les complémentarités et la transversalité.Il faut tout à la fois s’aligner sur les compétenceset ne pas en être trop tributaire. À l’instardes pôles de compétitivité qui permettent unecoordination verticale de filière, les pôles d’économiecohésive* répondent à ce dessein. Ils assurent« l’être ensemble », la cohésionsociale et « le faire ensemble »d’acteurs coordonnés quiconservent leurs spécificités.Ce nouveau « mode projet »permet une transparence, uneresponsabilité claire et génèredonc une confiance forte. C’est lacondition du nouveau pactecitoyen à rechercher pour augmenterla confiance et donc lamobilisation source de compétitivité.Les politiques oseront-ilspasser à cette organisation qui permettrait auxterritoires de retrouver de la souplesse pour menerà bien des actions prioritaires ?« Investissez làoù vos enfants vivent »Plutôt qu’un livret d’épargne, thématique maisgénéral, ne pourrait-on passer à une mobilisationde l’épargne territoriale sur des projets plus identifiés? Cette épargne disponible et mobilisable enproximité est un atout fort pour la France. Le« mode projet » permettrait la levée d’une véritablefierté de contrer les marchés financiers en soutenantdes programmes de proximité d’intérêt général.Le succès de l’offre portée par le Livret Amontre que cela est possible et que l’on pourraitéviter que cette épargne n’irrigue pas suffisammentl’économie réelle.Au-delà de l’association des Régions au managementde la BPI, la loi de décentralisation pourraitêtre plus ambitieuse. Les territoires devraient pouvoirbénéficier de garanties de celle-ci pour créerdans la proximité un fonds d’investissement pourles grands projets d’initiative territoriale d’intérêtgénéral. Il constituerait un levier pour drainer uneseconde vague d’épargne, territoriale, autour d’unpacte citoyen fédérateur et mobilisateur<strong>La</strong> compétitivité à court terme repose sur cettemobilisation autour d’un patriotisme territorialdes énergies disponibles. Voici le sens de la subsidiarité: laisser s’épanouir ces énergies, raccourcirles circuits, favoriser les actions de terraincommunes.<strong>La</strong> compétitivité de court terme niche là, dans cetenthousiasme de proximité, dans cette reconquêtede la confiance citoyenne. q* Tract pour une économie cohésive, par Pierre <strong>La</strong>rrouy, éditionsFlorent Massot, 2008, 11,57 euros.http://www.latribune.fr<strong>La</strong> <strong>Tribune</strong>18, rue Pasquier, 75008 ParisTéléphone : 01 78 41 40 93.Pour joindre directement votre correspondant,composer le 01 78 41 suivi des 4 chiffresmentionnés entre parenthèses.Société éditriceLA TRIBUNE NOUVELLE. S.A.S.au capital de 3 200 000 euros.établissement principal :18, rue Pasquier, 75008 ParisSiège social : 10, rue des Arts,31000 Toulouse. 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Jean-Pierre Gonguet.latribune.fr( Rédactrice en chef : Perrine Créquy.réalisation R&A( Direction artistique : Anne Terrin.( Rédacteur en chef édition : Alfred Mignot.( Secrétaire de rédaction : Sarah Zegel.( Révision : Cécile Le Liboux, Francys Gramet.( Infographies : ASKmedia.ActionnairesGroupe Hima, Hi-media/Cyril Zimmerman,JCG Medias, SARL CommunicationAlain Ribet/SARL, RH Éditions/Denis <strong>La</strong>fay.ManagementVice-président en charge des métropoleset des régions Jean-Claude Gallo. Conseilleréditorial François Roche. Directrice Stratégie etDéveloppement Aziliz de Veyrinas (40 78).Directrice de publicité Clarisse Nicot (40 79).Directeur de publicité Guillaume de Carné(40 76). Directeur nouveaux médias ThomasLoignon. Abonnements Dorothée Rourre (44 22).Imprimeries IPS, ZA du Chant des Oiseaux,80800 Fouilloy. N o de commission paritaire :0514 C 85607.ISSN : 1277-2380.Un supplément gratuit LA TRIBUNE DESRÉGIONS est inséré dans cette édition.
VENDREDI 14 décembre 2012 LA TRIBUNELes chroniques 29et si on arrêtait de cacherles miettes sous le tapis ?© DRFrançoisLeclercAncien conseillerau développementde l’AgenceFrance-PresseIl tient la chroniquede « L’actualitéde la crise » sur leblog de Paul Jorion.Il est l’auteur deFukushima, lafatalité nucléaire(éditions Osez laRépublique Sociale !,octobre 2012, 11 € ).au cœur de Puisque pour régler le problème de l’endettement en Europeni la carte de l’inflation, ni celle de la restructuration ne sontla crise possibles, pourquoi ne pas recourir à la dette perpétuelle, uneformule qui a autrefois fait ses preuves ?Cela ne date pas d’hier : les financiersont, en leur temps, inventéle mouvement perpétuel pourgérer la dette du même nom, quel’on appelait alors la rente. Évacuéedu paysage financier, la detteperpétuelle pourrait revenir parla porte de derrière, David Cameron y ayant mêmedernièrement fait référence. Un ballon d’essai pourl’instant sans suite. Mais il est vrai qu’à forced’allonger la maturité des émissions – certainesdésormais de 50 ans – et de faire rouler la dette enla finançant par de nouvelles émissions, on n’en estpas si loin. Entre la dette qui se perpétue et la detteperpétuelle, la frontière devient difficile à discerner.Très proches de cette dernière, il existe déjà destitres subordonnés à durée indéterminée (STDI),considérés comme des titres hybrides, des quasifondspropres.À l’ordre du jour du prochain G20 :moderniser les systèmes d’endettementPour l’instant, on n’en est pas encore là. <strong>La</strong> FEDa multiplié les programmes d’achat de titres hypothécaireset de dette souveraine et en lance unnouveau ; la Banque du Japon pourrait la suivredans la foulée des prochaines élections législatives ;la Banque d’Angleterre se retient encore de le faire ;et la BCE y a mis des conditions qui ne devraientpas tarder à être remplies par l’Espagne. Lesbanques centrales font feu de tout bois, ce qui faitdire un peu prématurément quela carte de l’inflation a été tirée,afin de résorber une dette qui nepeut pas l’être autrement.Les choses ne sont pas sisimples. <strong>La</strong> présidence russe duG20 annonce mettre à l’ordre dujour de sa prochaine réunion, enoctobre 2013 à Saint-Pétersbourg,« la modernisation des systèmesd’endettement public et de gestionde la dette souveraine ». Une révisiondes clauses d’action collective(CAC) est déjà en chantier en Europe, afin de rendreplus facile l’agrément des restructurations de detteen abaissant la majorité qualifiée des créanciers quila rend obligatoire pour tous (un alignement sur lesÉtats-Unis). Le sauvetage de la Grèce a conduit àfranchir le Rubicon en procédant à deux fois à unerestructuration de la dette du pays et à annoncer unetroisième à venir.Tout se passe comme s’il y avait deux fers au feudevant les nouveaux choix impossibles qui se«Entre la dettequi seperpétue et la detteperpétuelle,la frontièredevient difficileà discerner. »dessinent, une situation fréquemment rencontréeces derniers temps. Le FMI vient de mettre en gardeles États-Unis à propos du risque de perdre « leurleadership dans le monde » s’ils ne parvenaient pas às’engager sur la voie de leur désendettement. De soncôté, l’Europe expérimente avec la Grèce la panopliecomplète de la restructuration de la dette enespérant que cela ne sera pas qualifié de défaut, aprèsavoir effectué le transfert de la dette souverainedétenue par les banques auprès d’une BCE promueau rang de « bad bank ». Au Japon,la diminution des exportationsmenace le financement de la detteet implique le recours à grandeéchelle de la banque centrale, déjàtrès sollicitée, afin de ne pasdevoir affronter le marché internationalet consentir des taux plusélevés et inabordables.De deux choses, l’une… la troisième,disent parfois les philosophes.Et pourquoi pas les financiers? Si ni la carte de l’inflation,ni celle de la restructuration ne sont possibles,pourquoi ne pas revenir à une formule ayant faitses preuves, la dette perpétuelle ? Car si les États-Unis peuvent encore espérer, en souvenir de Roosevelt,le succès d’un cocktail de mesures s’appuyantsur le maintien d’un taux d’intérêt plus bas que lacroissance nominale (croissance plus inflation) del’économie, il n’en est pas de même ailleurs. Y a-t-ilune meilleure manière de mettre les miettes sousle tapis ? q© DR © DRMichelSudarskisSecrétaire Généralde l’INTA(AssociationInternationaledu DéveloppementUrbain)DidierLourdinDirecteur dudéveloppementdurable et destransports del’EPAD <strong>La</strong> défenseSeine archechanger de regard sur la Ville Intelligenteau cœur desterritoiresBien que de nombreuses initiativesde villes intelligentes soient encours à travers le monde, la plupartdes villes prennent (trop) lentementconscience de leur potentielde développement à être mieuxintégrées et mieux connectées.C’est regrettable, si l’on considère ce que le numériquepeut apporter aux problèmes de gestionurbaine : performance des réseaux d’énergie, desurveillance ou de transport, amélioration desconditions de travail, de formation ou de santé,contrôle des rejets atmosphériques…Un des premiers freins se trouve sans doute dansla compréhension même de la notion de ville intelligente,souvent réduite à une approche technique,utilitaire et technocratique. <strong>La</strong> ville intelligente nesaurait se résumer à une simple juxtaposition desolutions technologiques ! Trop souvent encore,elle est considérée par ce prisme qui laissed’ailleurs songeur sur le modèle de société futureque certains présentent comme inéluctable. <strong>La</strong>ville intelligente n’est-elle pas d’ailleurs perçuecomme une mégalopole grise et froide, ultraconnectée,ultra-contrôlée, déshumanisée par unetechnologie omniprésente ?Il n’est pas question pour autant de minimiserl’apport des technologies dures de l’information. LesUne simple juxtaposition de solutions technologiques nesuffira pas. Il faut définir un projet de société qui vise à offrirune meilleure qualité de vie urbaine.grandes entreprises ont bien compris tout le potentieléconomique de la technologie appliquée à lagestion des collectivités locales. Elles offrent depuisplusieurs années des services clés en main auxcollectivités : réseaux intelligents d’énergie, Internethaut débit, bâtiments à énergie positive. Certainesvont un cran plus loin en proposant de construiredes villes hyperintelligentes, comme Songdo enCorée, ou PlanIT au Portugal.Plus qu’une révolution technologique,une révolution sociétaleRendre les villes plus intelligentes ne se réduit pasà l’écriture d’algorithmes complexes, ni à mettre enplace une solution simplement technique. <strong>La</strong> villeintelligente peut répondre aux enjeux du développementde demain, à condition qu’elle soit le fruitd’une vision partagée de l’avenir. Ce qui importe n’estpas la technologie, mais le regard neuf que l’on peutporter sur les grandes questions : changement climatique,travail, loisirs, mobilité… Comment fairefructifier par le numérique le capital humain, spatialet culturel des territoires ? C’est avant tout un projetde société complexe, qui vise à offrir une meilleurequalité de vie aux habitants et usagers, et ce, dans lerespect de l’environnement et de l’équité.L’engouement des entreprises pour le développementdes villes intelligentes contraste avec le scepticismedes pouvoirs publics en la matière. Plusqu’une révolution technologique, la ville intelligenteest une révolution sociétale. Révolution socialed’abord puisqu’elle place l’individu au cœur del’action grâce à Internet et aux réseaux sociaux.Révolution économique ensuite, quand elle place lesservices au cœur de la logique de croissance. Révolutionécologique enfin, car elle favorise les comportementset modes de vie durables.Plusieurs grandes villes internationales ont déjàfranchi le pas d’une cité plus intelligente, mieuxconnectée, avec des projets d’aménagement urbainmêlant nouvelles technologies et développementdurable : associer numérique et qualité de vie – Tokyo,Barcelone, Helsinki, New York ; intégrer l’usager dansla démarche – Amsterdam, Barcelone, New York,Helsinki, Tokyo, Manchester ; rechercher l’efficiencedes infrastructures – Amsterdam, New York, HongKong, San Francisco ; mener une politique d’innovationet d’emplois dérivée du numérique – Manchester,Helsinki, Barcelone, New York, Amsterdam.<strong>La</strong> ville intelligente est une promesse : celle d’unesociété plus équitable, plus durable et plus participative.Cette promesse sera tenue à conditionque la ville intelligente soit conçue et mise enœuvre avec une gouvernance partagée et cohérente.Ce projet, seuls les acteurs publics ont lalégitimité et la capacité de le penser et de le porter.Ils pourront ensuite travailler en étroite collaborationavec les entreprises pour trouver lesréponses technologiques à des défis avant toutéconomiques, écologiques et sociaux tout en garantissantla place de l’homme. q