24territoires / InternationalLA TRIBUNE VENDREDI 14 décembre 2012le grandchantierSelon l’antique calendrier maya, la fin du monde surviendra le 21 décembre prochain. Optimistes malgré tout, lesMexicains en profitent pour faire tourner à fond la machine à attraper les touristes désireux de s’amuser en faisant« comme si ». Objectif de toute cette mobilisation : redynamiser l’économie mexicaine.Et vous, vous allez aussi passerla « fin du monde » au Mexique ?Frédéric Saliba, à mexicoÀl’aéroport deMerida, capitalede l’État mexicaindu Yucatán, unegrande horlogedigitale marque le décompte dutemps restant avant la fin de l’antiquecalendrier maya, prévue le21 décembre prochain. <strong>La</strong> supposéeprophétie de ce peuple légendaire,interprétée à tort comme ladate de l’apocalypse, a fait le tourde la planète. L’occasion pour lesÉtats du sud-est du Mexique, berceaude l’énigmatique culturemaya, de lancer une gigantesqueopération touristique. Objectif :attirer 52 millions de visiteurspour redynamiser un secteurminé par les crises internationales.Baptisé « Mundo Maya 2012 »,le programme des festivitésdébute ce vendredi 14 décembre.Cérémonies préhispaniques,spectacles folkloriques et autresateliers gastronomiques sont prévusdans une zone de plus de241 000 km 2 , où vivent encore lesdescendants de cette civilisationmésoaméricaine, née au troisièmemillénaire avant notre ère. <strong>La</strong>région maya comprend cinq Étatsmexicains (Campeche, Chiapas,Quintana Roo, Tabasco et Yucatán)et quatre autres pays (Belize,Salvador, Guatemala et Honduras),tous associés aux événementsorganisés autour du21 décembre.« Une fin de cycle, ce n’estpas une catastrophe ! »Un cycle de conférences sur lethème d’une « nouvelle ère » seraorganisé au musée d’anthropologiede Villahermosa, capitale del’État de Tabasco, pour mieuxcomprendre les mystères desMayas, réputés pour leursconnaissances en astronomie. Lelieu abrite la fameuse stèle qui ainspiré les spéculations sur la findu monde. Connue comme le« monument 6 d’El Tortuguero »,cette énorme pierre, taillée versl’an 699, relate la vie et lesbatailles d’un seigneur, faisantréférence à la date du 21 ou du23 décembre, selon les versions.Ce jour correspond à la fin d’undécompte long de 5 125 ans.L’Institut d’anthropologie de l’État mexicain du Tabasco a organisé une manifestation pour rappelerà la population que le calendrier maya ne prévoit pas la fin du monde le 21 décembre, mais lecommencement d’un nouveau cycle. Ici, la pierre qui porte des inscriptions relatives à la prophétie,dans le musée d’histoire de la capitale Villahermosa. [LUIS LOPEZ / notimex]« Les Mayas n’ont pas annoncé lafin du monde, mais juste la fin d’uncycle. Pas de catastrophe en perspective», explique Saul Ancona,ministre du Tourisme du Yucatán.Son État compte la plus grandeconcentration de sites archéologiques(17), dont celui de Chichén«Le modèletouristiquedu Mexique évolue.Il s’oriente versla culture et offreplus de bénéficesaux communautéslocales. »Alejandro Zendejas,spécialiste du tourismeà monterreyItzá patrimoine de l’humanitéavec son énorme pyramide deKukulcán. Le 21 décembre, jourdu solstice d’hiver, des milliers devisiteurs mexicains et étrangersdevraient affluer vers ce site dansl’espoir d’un événement magique.Un musée du monde maya seraaussi inauguré à Mérida aurythme des danses traditionnelles.Situé à 188 km de Chich’n Itzá,la ville de Cancún dans l’État deQuintana Roo est au cœur du dispositifavec ses 29 000 chambresd’hôtel. Des événements culturelsseront organisés sur ses plages etdans un musée. Le ministère duTourisme de Quintana Roo prévoit17 millions de touristes cetteannée, soit 3 millions de plusqu’en 2011. Des festivités cérémonielleset culturelles sont aussiprévues dans les États de Campecheet du Chiapas.Redresser la barre,redorer l’image du paysL’enjeu est de taille : « <strong>La</strong> récessionaméricaine de 2008, l’épidémiede grippe A (H1N1) qu’a connule Mexique en 2009 et l’actuellecrise européenne, ont fortementaffecté l’économie locale », raconteSaul Ancona qui précise que letourisme est le second secteur duYucatán et le premier du QuintanaRoo. Sans compter le déficitd’image du Mexique, provoquépar l’avalanche de crimes des cartelsde la drogue avec ses60 000 morts en six ans.Selon l’Association des hôtels duYucatán, la chute vertigineuse dela fréquentation de ses établissementsa entraîné, depuis 2008, lavente d’une cinquantaine d’établissements.« L’attrait suscité par lafin du calendrier maya va nous permettrede redresser la barre »,espère Saul Ancona. Une hausse de132 % du nombre de visiteurs estattendue en 2012 (22 millions en2011) dans les cinq États mayas.Pour atteindre cet objectif ambitieux,une coopérationétroite a donc été mise enplace entre les autoritéslocales et nationales.Début 2012, le gouvernementfédéral a lancéune campagne de communicationinternationaleprésentant le programme« Mundo Maya »dans les foires touristiques,de Londres à NewYork, de Berlin à Moscou.Affichages, spots radioset autres conférences, complètentcette stratégie marketing déclinéelocalement par les États du sud-estdu Mexique. Le tout en collaborationavec l’Institut national d’anthropologieet d’histoire (INAH)qui gère les sites archéologiques.Une nouvelle ère…touristique !« Nos efforts communs portentaussi sur le développement desinfrastructures hôtelières et routières», explique Saul Ancona. Sanscompter le renforcement des lignesaériennes, dont une entre Paris etMérida, récemment inaugurée.Bilan : depuis novembre, le taux22millions, c’estle nombrede visiteursaccueillis en2011 dans lescinq Étatsmayas duMexique. Ilsespèrent unehausse de132 % en 2012.Repères52 millions ( Le nombre detouristes attendus en 2012 dansles cinq États mayas du Mexique,grâce en partie à la fin du monde.200 ( En milliards de pesos,les retombées économiquesattendues sur l’année.200 millions ( <strong>La</strong> somme enpesos consacrée en 2011 par l’Étatde Quintana Roo à des projetstouristiques sur la Riviera maya.110 millions ( <strong>La</strong> somme enpesos allouée par legouvernement fédéral à unecampagne de communicationinternationale.25 millions ( <strong>La</strong> somme enpesos consacrée à la promotionnationale par les cinq États mayas.503 millions ( Le montant enpesos publics qui ont permisd’équiper l’État du Yucatánde 10 540 chambres d’hôtel, soit+ 19 %, en quatre ans.d’occupation des hôtels est de 90 %à Cancún, 64 % à Mérida. Maiscelui des réservations atteintpresque 100 % pour le 21 décembredans les deux villes Selon AlejandroZendejas, spécialiste dutourisme à l’Institut technologiquede Monterrey,« ce succès fait évoluer lemodèle touristique duMexique. Jadis cantonnéau concept “sol y playa(soleil et plage)”, ils’oriente vers la culture,offrant davantage de bénéficesaux communautéslocales. » Trois villagesd’écotourisme sont associésaux festivités dans leYucatán. « Le grand gagnant del’opération reste le secteur privé quia lancé des campagnes de promotion,jouant davantage sur l’ambiguïtéapocalyptique autour de laprophétie maya », souligne AlejandroZendejas.Au point que, début décembre,via son site officiel (www.usa.gov),le gouvernement américain adémenti les « fausses rumeurs »sur la fin du monde, après avoirreçu des milliers de lettres d’Américainspaniqués. Le 21 décembreprochain ne marquera pas la fin dumonde mais sans doute le débutd’une nouvelle ère touristique pourles États du sud-est du Mexique. q
’estVENDREDI 14 décembre 2012 LA TRIBUNEterritoires / International 25Espagne : les banques sous la pression des élusnouveau etintéressantAprès le suicide de trois personnes sur le point de perdre leur logement, plusieurs maires ont pris des mesuresde rétorsion contre les banques qui veulent expulser les ménages surendettés.Grégory Noirot, À MADRIDEn Espagne, les expulsions delogement de propriétairessurendettés ont pris, ces derniersmois, une tournure tragique.Cet automne, trois personnes sur lepoint de perdre leur appartementont mis fin à leurs jours. Des dramesqui ont choqué l’opinion et pousséles collectivités à s’engager.Confrontés à la multiplication dessaisies immobilières, dans uncontexte de flambée du chômage,les maires ont dû faire face à dessituations d’urgence.Certains d’entre eux ont réagi enmettant la pression sur les banques.À l’image de José Manuel Bermudez,maire de Santa Cruz de Ténérife(Canaries), qui a retiré voiciquelques semaines le 1,5 milliond’euros que sa commune détenaitchez Bankia, quatrième banqueespagnole, afin de protester contrel’expulsion d’une mère de famille.Un geste d’autant plus remarquéque Bankia, en grande difficulté, n’aété sauvée qu’au prix d’une aidepublique de 24 milliards d’euros…Sur cette affiche, placardée lors d’une manifestation contre lesbanques, à Madrid : « <strong>La</strong> première victime mortelle des expulsions,José Luis Domingo, qui s’est suicidé (…) » [PEDRO ARMESTRE / AFP]À la suite de l’annonce du maire, uncompromis a d’ailleurs été trouvédare-dare et… la cliente de Bankiaa pu réintégrer son logement.le gouvernement veut Unmoratoire de deux ansFace aux caméras des chaînesnationales de télévision, JoséManuel Bermudez martèle : « Nousnous sommes réunis avec la banque,qui a refusé la solution d’un loyersocial. Nous avons donc retiré notreargent et deux jours après, noussommes arrivés à cette solution. Ilfaut éviter que les gens sans revenussoient jetés à la rue à cause d’un prêt<strong>immobilier</strong> qu’ils ne peuvent plusrembourser. »Souvent critiquée pour sa gestionde la crise immobilière, Bankia aune lecture différente : « <strong>La</strong> mairiede Santa Cruz de Ténérife, commen’importe quel client, peut modifierà tout moment ses comptes. <strong>La</strong>menace de retirer les fonds n’a rien àRepères20,6 % ( Les procéduresd’expulsion en Espagne ontaugmenté de 20,6 % en 2012. Ellesvisent aussi bien des logementsque des commerces.350 000 ( Le nombre de décisionsd’expulsion depuis l’éclatementde la bulle immobilière en 2008.Environ la moitié a été exécutée,selon la presse espagnole.25 % ( Le taux de chômage, à unniveau historique, avec près de5 millions de sans emploi, parmilesquels plus d’un jeune sur deux.voir avec la solution trouvée. » Bienentendu. Mais il n’empêche : sous lapression conjointe des associationscitoyennes et des collectivités, l’Associationespagnole des banques(AEB) a depuis annoncé le gel desexpulsions « dans les cas d’extrêmenécessité ». Consciente de l’impactnégatif dans l’opinion, Bankia a tenuà préciser : « Depuis 2009, Bankia arenégocié 80 000 prêts et, entre 2011et 2012, a accepté 4 300 dations enpaiement [le fait de rendre son logementpour solder sa dette, ndlr]. »L’affaire de Santa Cruz de Ténérife,très médiatisée, a inspiré d’autresélus. Ainsi le maire de Vigo, uneville de plus de 300 000 habitantssituée en Galice (nord-ouest), parailleurs numéro 2 de l’Associationnationale des maires, a prévenu lesbanques qu’il retirerait les fonds desa commune en cas de nouvellesexpulsions. Et le maire de Saragosse(700 000 habitants) aannoncé que la police locale ne participeraitplus à ces opérations. EnCatalogne, Tarragone (130 000habitants) pourrait suivre.Face à cette grogne qui se répandcomme une traînée de poudre, legouvernement a proposé un moratoirede deux ans des expulsions etla création de logements sociauxpour ceux qui se retrouveraient à larue. Mais la principale revendicationdes associations n’a pas étéentendue : elles exigent l’annulationdes crédits des personnes expulsées,car la plupart d’entre elles,même après avoir « rendu » leurlogement à la banque, doiventensuite continuer à payer le reste deleur dette… qOn en parle à BruxellesLe carnet de notre correspondante, Florence AutretPas pâtissière, pas banquier…Cl’histoire d’une ménagère dontl’évier est bouché depuis des jours etqui demande à sa moitié de le réparer.Sans succès. Un soir, le mari rentre àla maison et voit que l’évier est réparé.Il demande combien a coûté l’intervention du plombier.Elle lui dit : « Il m’a demandé de lui faire une tarteou de le payer en nature ». « Et alors ? » demande lemari. « Je ne suis pas pâtissière », répond sa femme.Aux journalistes de L’Écho et du Tijd qui l’interrogeaientsur son rôle de président (non exécutif ) deFortis dans les années qui précédèrent le naufrage dela banque en 2008, Maurice Lippens a répondu : « Jen’ai jamais été banquier ». Lui non plus, la cuisinefinancière ce n’est pas son truc. Et pour la plomberie,il comptait sur d’autres pour s’en occuper. Mais lespertes ont débordé.Les actionnaires ont été faits cocus. Etil vient d’être inculpé par le parquet bruxellois dansl’affaire Fortis. « Il » : le comte Lippens, le même quiavait donné son nom au Code Lippens, traité debonnes mœurs pour entreprises du BEL20. Le pire,c’est qu’il n’a pas fait cet aveu sur ce qu’il n’a jamaisété à mes confrères belges comme on reconnaîtraitune faute. Il l’a dit pour sa défense. Il y a de toute évidencedes problèmes récurrents de conduite, de distributiondes rôles et de moralité dans le systèmebancaire. Le scandale du Libor au sujet duquel lessuperviseurs ont coupablement fermé les yeux pendantdes années a répandu ses vapeurs nauséabondesde la City jusqu’à Washington. <strong>La</strong> semaine dernière,on apprenait que Deutsche Bank aurait dissimuléjusqu’à 12 milliards d’euros de pertes pour échapperà un plan de sauvetage, donc à la curiosité et à l’autoritédes pouvoirs publics. Sans l’indiscrétion dequelques salariés lassés de dissimuler, la Securitiesand Exchange Commission américaine n’en auraitjamais rien su. Où étaient les hommes en gris descabinets d’audit pendant ces années ?Michel Barnier n’est pas plombier, mais il a comprisqu’il était risqué, pour la moralité du système, de sereposer uniquement sur les « spécialistes ». Il n’a pasl’intention de déléguer la tâche. Il s’y colle. « Je ne suispas sûr que les gens se rendent compte. J’ai 29 textes endiscussion en ce moment », m’a-t-il dit la semaine dernière.Le commissaire européen en charge des servicesfinanciers tient les trois clés de l’avenir du secteur danssa main : les règles de capitalisation, les conditions desupervision et les règles d’organisation (séparation ounon entre activités).Même si on l’a senti plus d’une fois sincèrement révoltédepuis qu’il a ouvert ces chantiers, il lui faut bien renoncerà l’option de la table rase, s’entourer de conseils etréformer. Or les tuyauteries sont complexes. Ennovembre, l’ancien commissaire Erkki Liikanen, gouverneurde la banque de Finlande, lui a remis un plan pourscinder les banques entre banques d’investissement d’uncôté et banques de dépôts, de l’autre. Le risque, jugentcertaines critiques, est qu’à scinder les deux conduiteson finisse par créer une bifurcation qui fasse transitertous les flux de marché par une poignée de banquesd’investissement essentiellement américaines. « Lemodèle de Liikanen, c’est de créer des banques moyennesde marché », me disait récemment le lobbyiste d’unebanque européenne. « Mais le marché est mondial. Lesbanques moyennes de marché, c’est un modèle économiquequi n’existe pas et qui n’existera jamais. Au final on finiraavec un Goldman Sachs européen ou rien du tout ».À qui se fier ? Quand Goldman Sachs recrute sonnouveau directeur exécutif en charge des affairesréglementaires au cœur même de la machine législativeeuropéenne, dans le staff de la commission desAffaires économiques et monétaires du Parlementeuropéen, et que l’ancien superviseur en chef belge,Eddy Wymeersch, se fait recruter comme conseil parle club des mêmes banques d’investissement, l’AFME,une chose au moins est sûre : l’expertise désintéresséene court pas les pages jaunes. q© DR