CI-DESSOUS : PUBLICATION DE LA SUITE DU <strong>JOURNAL</strong> DE L'AMBASSADEUR <strong>HENRI</strong><strong>FROMENT</strong>-<strong>MEURICE</strong>:L'ANNEE 19702 janvierVisite de Ho Thong Minh.Nguyen Duc Khi, me dit-il, va à Saigon dans quelques jours. Il serait chargé (<strong>par</strong> qui ?)d’explorer la possibilité de convaincre Thieu de prendre Minh et Don comme Premier etVice-Premier Ministres. Cela me <strong>par</strong>aît avoir bien peu de chances de succès.Ho Thong Minh pense que c’est toujours la question du Gouvernement de coalition qui estau centre des difficultés et qu’il faut convaincre les Américains de l’accepter. Je ne lescrois guère disposés.Il dit aussi que les Américains cherchent une équipe de rechange, ou du moins voudraienten avoir une en réserve. Minh et Don leur <strong>par</strong>aissent fragiles et incapables de faire lepoids en face du Viet-Cong dans une négociation de paix. Peut-être ont-ils raison.En <strong>par</strong>lant une idée me vient : d’un côté, le GRP dit qu’il se refuse à <strong>par</strong>ler avec Thieu ;de l’autre Thieu dit qu’il refuse un gouvernement de coalition. Mais que se passerait-il siThieu acceptait un tel gouvernement ? Le GRP maintiendrait-il son opposition ? Ho TongMinh pense que le GRP serait dans une position difficile, mais pour qu’il accepte ilfaudrait aussi une formule du type Thieu – Minh – Don.Longue conversation avec Lipkowski. Il doit voir Pompidou le 6 et pré<strong>par</strong>e son entretien.Chine : il voudrait que nous entamions un dialogue plus actif. Mais Schumann n’y estguère favorable, craignant des répercussions fâcheuses sur nos rapports avec Moscou etWashington. A mon avis, il se trompe. Un dialogue avec Pékin nous valorise aux yeux desAméricains. Quant aux Russes, ils n’en prendraient ombrage que si nous le poussions trèsloin, ce qui est impossible.Je pense à des visites à Pékin : Duhamel, Giscard, Lipkowski, Chauvel.Nous pourrions aussi inviter un Chinois.VietnamLip pense que nous devrions être plus actifs. C’est tout à fait mon avis. J’ai depuis troissemaines en chantier un papier intitulé « initiative française ». Je le médite, pour la forme.Mais sur le fond, mon idée maintenant est faite. Nous devons sortir de notre réserve etagir. L’impasse actuelle nous offre un terrain favorable. Mais y assister impuissants nousrend solidaires de l’échec.J’écarte l’hypothèse consistant à proposer une Conférence type Genève. C’est plutôt enaccroissant notre activité dans les conditions actuelles que nous pouvons être utiles. Enposant des questions. En remettant un document.5 janvier 1970Conversation longue avec Ha Van Lau à l’Ambassade de Birmanie. Mai Van Bo s’éclipse.J’attaque sur le thème : 1970 sera-t-elle l’année de la paix ? J’y crois encore.Lui : Nous sommes là pour négocier.Moi : Je le crois.Je demande ce qui bloque la négociation à son avis.« C’est que Nixon n’a pas encore adopté un point de vue raisonnable. Il n’y a pas designes concrets. »Je cherche à savoir ce qu’il appelle des signes concrets, ce qui nous amène à <strong>par</strong>ler duGouvernement Thieu. Je demande si la liquidation est vraiment un préalable.Il s’en défend, car le mot le gêne, mais il admet que c’est tout de même la question la plusdifficile, puisque Thieu « ne veut pas négocier ». J’insiste : est-ce un préalable ? Il setortille un peu. Bref, c’est toujours la même chose : rien n’est possible avec Thieu.Je dis alors : « Mais vous rendez-vous compte que, selon toute vraisemblance, lesAméricains ne sont pas disposés à céder sur ce point ? Ils sont prêts à négocier, avecvous, Rogers nous l’a répété, et notamment sur la question du processus électoral, maisils ne vous offriront pas Thieu en sacrifice préalable. Dans ces conditions, commentvoyez-vous la suite des négociations ? Les Américains ne sont pas dans une position defaiblesse qui les oblige à céder. Alors les choses vont-elles durer ainsi, en 70, en 71, en72 ? » Ha Van Lau sourit un peu.Sur certains points, je le trouve assez embarrassé. Au fond de moi je me demande siHanoi n’avait pas spéculé sur un Nixon obligé de céder, pressé de le faire, éperonné <strong>par</strong>son opinion. Ils lui auraient alors facilité la sortie. Mais la situation est différente de cequ’ils escomptaient. Nixon a pour l’instant surmonté la vague intérieure.
Cependant, ce qu’il y a de bien avec Ha Van Lau, c’est qu’on peut <strong>par</strong>ler sérieusementavec lui, et <strong>par</strong>ler de la négociation elle-même. Il donne vraiment l’impression d’un hommequi voudrait négocier.Je lui demande pourquoi il ne se met pas en face de Habib pour <strong>par</strong>ler. « Je n’ai riencontre Habib. Mais à quoi cela servirait-il aussi longtemps que les Etats-Unis ne montrentpas de façon concrète leur volonté de finir raisonnablement cette guerre ? »Retour à ces fameux signes concrets. Il y a déjà le Gouvernement de Saigon. Mais si celane marche pas, y-a-t-il autre chose ?Ha Van Lau me <strong>par</strong>le alors du retrait des troupes. Je dis que malgré tout Nixon acommencé à en retirer. « Oui, mais à quel rythme ? Il veut toujours en laisser. » Ilm’explique alors, et ceci me <strong>par</strong>aît assez concret, qu’il faudrait que les Etats-Unis fassentune déclaration <strong>par</strong> laquelle ils s’engageraient à retirer rapidement toutes leurs troupes.Je lui fais préciser qu’il s’agirait seulement d’une déclaration d’intention, le retrait effectifdevant s’effectuer dans le cadre d’un accord. Il confirme que c’est au plan des principesque la déclaration aurait son importance et qu’il faut distinguer principes et applicationsconcrètes. Je demande alors ce qu’il adviendrait des troupes vietnamiennes. PourquoiHanoi ne donnerait-il pas alors des précisions sur ses propres retraits ? Ne pourrait-on,<strong>par</strong> exemple, s’attendre à ce que, si Washington faisait une telle déclaration, Hanoi enferait une de son côté ? Ha Van Lau ne s’est pas montré négatif. Il m’a dit : « Ce serait àvoir. » Je l’ai pris <strong>par</strong> l’épaule pour lui demander : « Est-ce que cela veut dire que quelquechose se passerait ? » Sérieusement il m’a répondu : « Cher ami, on nous trouveratoujours raisonnables s’il y a un sincère désir de négocier en face. »Je suis passé alors à la question du règlement politique, posant d’abord le problèmecomme je le voyais : le point central est l’organisation des élections ; un accord tacitesemble exister pour que celle-ci ne soit assurée ni <strong>par</strong> le GRP, ni <strong>par</strong> le Gouvernement deSaigon, mais <strong>par</strong> un tiers pouvoir ; la divergence commence là : Gouvernement decoalition ou Commission. Ha Van Lau se dit d’accord sur cette analyse. Je lui rappelle queRogers s’est dit prêt à discuter du processus électoral. Lau critique la Commission et lacompétence de Saigon, déclare que, s’il existe encore un Gouvernement de Saigon, celuiciexercera avec son armée, sa police, son administration, des pressions. J’objecte : dedeux choses l’une ; ou bien il y a une négociation et à ce moment, d’après votre proprehypothèse, le Gouvernement de Saigon a changé, Thieu a été remplacé et donc vous avezà Saigon un Gouvernement en lequel vous avez confiance, et pourquoi alors ne pasenvisager de constituer avec lui une Commission au lieu d’un Gouvernement de coalition ;ou bien le Gouvernement n’a pas changé à Saigon, donc il n’ y a pas de négociation, doncil ne peut pas plus y avoir de Gouvernement de coalition que de Commission.Ce raisonnement ne me <strong>par</strong>aît pas le laisser indifférent. « Je vois, je vois », dit-il.Là-dessus, saisissant sur la table du buffet quelques amandes salées, je les disposedevant nous. Une à gauche pour le GRP, une à droite pour le Gouvernement de Saigon. Etje me mets à jouer avec les hypothèses. L’une : GRP et Saigon forment un gouvernementde coalition, mais quel Saigon ? Si c’est le Saigon de Thieu il faudrait donc que le GRPaccepte de traiter avec lui en échange de l’acceptation <strong>par</strong> Thieu d’un Gouvernement decoalition. L’autre : Saigon change, le GRP renonce au Gouvernement de coalition, mais ily a un organisme mixte.Ha Van Lau suit avec intérêt. Il rit, me dit : « Oui, on peut discuter des modalités. » Il medemande si je crois que les Américains sont capables d’accepter un Gouvernement decoalition. Je ne sais : peut-être si Thieu reste. Et Thieu ?Autre remarque de Lau : pas de contrôle international des élections. Ce serait contraire àl’autodétermination.Enfin, je demande à Ha Van Lau s’il pense que la France a un rôle utile à jouer. «Certainement, me dit-il. C’est d’ailleurs pour cela que nous avons choisi Paris pour siègede la Conférence. »6 janvierVu Lucet. Pré<strong>par</strong>ation du voyage Pompidou à Washington. Lucet, évidemment craint toutaccrochage. Il préférerait que Pompidou laisse Nixon attaquer le premier sur le Vietnam.Soit. Mais si Pompidou se borne à écouter, si Nixon lui demande d’avaliser sa politique,qu’en résultera-t-il ? Aux yeux de tous, et d’abord des Vietnamiens, la France aura avaliséla politique vietnamienne de M. Nixon.Au fond, beaucoup de gens, maintenant que le Général est <strong>par</strong>ti, voudraient que nousnous désintéressions de cette affaire du Vietnam. On la considère comme un jouet duGénéral, une machine qu’il avait trouvée pour embêter les Américains. Laissons-les doncfaire maintenant ! Fichons leur la paix. Et puisqu’ils disent vouloir s’en aller, n’est-ce pastrès bien ainsi !Et surtout, demande Lucet, ne suggérez pas qu’on balance Thieu.Schumann, à son avis, a commis une grosse erreur à Washington en septembre quand,d’entrée de jeu, il a suggéré de remplacer Thieu <strong>par</strong> des neutralistes et cité Tran Van Huu.