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LE JOURNAL D'ASIE par HENRI FROMENT-MEURICE ... - Geopolitis

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sérieux. Deux lignes s’affrontent : celle de Manac’h qui, de Pékin, plaide pour la continuitéde la politique gaulliste, recommande que nous prenions nos distances vis-à-vis de LonNol, quitte à subir des difficultés sérieuses dans l’immédiat et continue de jouer lescommunistes vainqueurs à terme ; celle de Dauge qui, de Phnom Penh, plaide pour quenous ne rompions pas avec Lon Nol, fait valoir nos intérêts au Cambodge et rappelle quenotre politique est de soutenir la neutralité du Royaume, actuellement agressé <strong>par</strong> le Viet-Cong.La ligne de Dauge a été rejetée, mais celle de Manac’h n’est pas entièrement acceptée.Sur un télégramme de Pékin, Schumann a écrit : « L’acharnement de nos Ambassadeurs àdemander l’impossible est vraiment étrange. Ils pleurnichent », et cela continuait <strong>par</strong> : «Ils savent bien pourtant que notre politique est de ne pas prendre position. »En fait, Schumann n’a pas instinctivement la politique du Général sur l’Indochine. « Jedemeure foncièrement anticommuniste », a-t-il dit à Beaumarchais qui a commenté : « Cen’est pas la politique française. » C’est <strong>par</strong> raison et <strong>par</strong> fidélité (forcée à mon avis) queSchumann se rallie à la politique gaulliste.Dès lors tout devient compliqué et risque de <strong>par</strong>aître ambigu. Pékin et Hanoi exercentsurtout une pression terrible pour que nous lâchions Lon Nol, ce qui complique les chosesdans la mesure où nous avons l’air de céder aux communistes.Chaque jour m’apporte son lot d’épreuves. Jeudi arrive une délégation cambodgienne.L’Ambassadeur, un brave type, vient me voir pour me demander audience pour elle.J’obtiens de Schumann que nous ne la recevions pas. L’Ambassadeur très digne encaisse.Mais je suis obligé de me réfugier derrière les massacres de Vietnamiens pour justifiernotre attitude. Sinon que dire à cet homme qui vient plaider pour son pays victime du Viet-Cong et rappeler l’amitié, l’appui de la France au Cambodge et à sa neutralité ? Lui direque Lon Nol et sa bande ont fait une sottise ? Bien sûr. Mais cela justifie-t-il notre refusd’aider ce pays ? Non. Est-il attaqué ? Oui. Et pourtant je sais bien qu’en tout état decause, massacres ou pas, il faut refuser d’envoyer des armes. Mais c’est dur. Noussommes bien contents de trouver ces cadavres vietnamiens pour justifier cette dérobade.Pour obtenir de Schumann une suspension des fournitures d’armes et de munitions, celan’a pas été simple non plus.Quant à Pompidou, il fait dire qu’il souhaite maintenir notre politique, qu’il constate desglissements tant en Indochine qu’au Proche-Orient. Il a lu ma note sur le redressement dela situation vis-à-vis de Hanoi et ses gestes témoignent de son accord. Il a dit à Ballangerque Hanoi aurait sa centrale thermique. Il a accordé l’autorisation pour la manifestationsur le Vietnam du 10 mai. Il a accepté de lever l’interdit sur deux revues chinoises queMarcellin prohibait. Mais jusqu’où veut-il aller dans la réédition du discours de PhnomPenh ?Schuman prononce mardi un discours au Parlement. Il m’avait demandé un projet. J’yavais fait figurer deux passages essentiels : l’un rappelant texto le discours de PhnomPenh, y compris le fameux passage sur le rapatriement des troupes américaines dans undélai convenable et déterminé, et un éloge de Sihanouk, cet ami de la France. De soncôté, il avait pré<strong>par</strong>é un texte où il n’y avait rien de semblable. Mercredi, il m’appelle : «Je suis prêt à reprendre toutes les idées de votre texte, mais vous allez trop loin. Je n’aipas besoin de reprendre le texte de Phnom Penh. Il suffit de dire dans l’esprit et la lettre.Je <strong>par</strong>lerai de Sihanouk, mais surtout de sa politique, et c’est le plus bel éloge que jepuisse faire de lui. Vous savez, il y un réveil de la vie politique et <strong>par</strong>lementaire enFrance. »Je note aussi ce point <strong>par</strong>ticulier. Faisant mon mea culpa, je lui dis que la phrase sur lacréation d’un Sud-Vietnam véritablement indépendant et neutre dans la déclaration du 1eravril pouvait donner à penser que nous ne nous placions plus dans la perspective de laréunification, en conséquence qu’il fallait ne <strong>par</strong>ler que des Accords de Genève. Il dit : «C’est pourtant bien ce que nous voulons, mais je suis d’accord, nous ne pouvons pas ledire. »Et il ajoute : « Je vais vous dire plus. Il y a pour moi une considération morale : nous nepouvons tout de même pas avoir l’air de courir après Pékin et Hanoi. »Il s’agit donc bien d’un des épisodes les plus importants de la guerre de successiongaulliste. Pompidou comme Schumann dérivent naturellement vers les Etats-Unis, maisPompidou a des sursauts plus violents que Schumann, car il est moins sentimental et nese pose pas le problème du communisme comme Schumann.Pour moi, je maintiens que la déclaration du 1er avril a été une audace. Couve dit : uncoup d’épée dans l’eau, Manac’h une erreur. Celui-ci a raison s’il s’agit de « real politik »avec la Chine, mais je ne crois pas à une « real politik » avec la Chine ; cela pourra venirplus tard, mais la France ne fait pas le poids et les Chinois nous utilisent. Couve a raisonaussi : cela n’a rien donné et ne pouvait rien donner.Pour ma <strong>par</strong>t, j’éprouve la satisfaction d’avoir un peu rompu avec le charme gaulliste.Nous avons, c’est vrai, légèrement infléchi notre position. Nous <strong>par</strong>lons désormaisd’interventions étrangères et nous insistons sur la neutralité de toute l’Indochine. En faittous les Asiatiques non-communistes sont avec nous, mais dans le petit univers <strong>par</strong>isien,

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