21.07.2015 Views

LA LUTTE CONTRE LES DISCRIMINATIONS - CRPV-PACA

LA LUTTE CONTRE LES DISCRIMINATIONS - CRPV-PACA

LA LUTTE CONTRE LES DISCRIMINATIONS - CRPV-PACA

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

Des concepts... 19situer immédiatement les quartiers sur une « échellede Richter de l’exclusion » (Estèbe, 1999). La formuleen sera la suivante : l’indice synthétique résulte de lamultiplication de la population totale par les taux dejeunes de moins de vingt-cinq ans, de chômage et depersonnes sans diplôme, le tout étant divisé par le potentielfiscal de la commune et pondéré par un coefficienttenant compte de la présence d’autres « zonessensibles » sur le territoire communal15. On note quela proportion de population étrangère, retenue en1991, est remplacée par la « proportion de personnessorties du système scolaire sans diplôme ». Selonles statisticiens, sur un plan technique, « cela revient aumême ». Sur le plan politique, le gouvernement est, àl’évidence, d’un autre avis – il s’agit cette fois de choisiret non plus de « qualifier » des territoires, selonune procédure qui de surcroît sera rendue publique.L’immigration est alors occultée dans les travaux del’administration.Ce système de classement des quartiers mis au pointpar le PRV est toutefois loin, lui aussi, de bouleverserles choix issus de la négociation politique : « l’indice del’exclusion » n’est intervenu que dans le choix des ZFUet des ZRU (zones franches urbaines et zones de redynamisationurbaine) tandis que les ZUS, l’ensemble leplus vaste auquel se rattachent les emplois réservés auxhabitants, restent essentiellement liées aux périmètresdes procédures contractuelles16 ; si la composition del’indice est arrêtée selon une formule mathématique,le seuil à partir duquel les sites sont retenus est le fruitd’un arrangement politique visant à contenter à la foisBruxelles, Bercy et les élus locaux ; enfin, quand sonapplication s’est avérée laisser hors jeu des sites historiquesde la politique de la ville, des « rattrapages» ont été faits par la DIV pour ne pas mécontenter lesélus. Dans la ville de Garges où j’ai conduit une enquête,la zone franche était initialement circonscrite à unseul quartier. La mobilisation d’associations locales decommerçants, relayées par la ville, a permis d’étendreconsidérablement son périmètre.Ces développements montrent, me semble-t-il, que leterritoire n’est pas une catégorie d’intervention commeune autre. Il engage des faits sociaux collectifs et porteen cela une dimension symbolique et politique. C’estcette valence politique du territoire qui le fait résister auxefforts de rationalisation bureaucratique. Malgré une sophisticationapparente, les tentatives de construction del’espace en catégorie « ordinaire » de l’État providencen’ont jamais abouti. Plus de vingt ans après l’invention des« quartiers », on ne sait toujours pas ce qu’ils recouvrent :la pauvreté, la violence, l’immigration, l’habitat social.Ces incertitudes sont bien exemplifiées par des questionsde vocabulaire. La politique de la ville, ce sontdes actions prioritaires, sur des quartiers prioritaires,dans le cadre d’une politique elle-même prioritaire.La rhétorique de la priorité est, au début, une facilitéde langage empruntée par une démarche qui seconstruit, puis devient au fil du temps un code dansle langage politico-administratif, sorte de boîte noirequi dispense les institutions de définir l’objet de leuraction. Parallèlement, la notion de discrimination positiven’est jamais revendiquée, tout au plus évoquéemarginalement et de façon plus tardive, essentiellementpar des fonctionnaires de la DIV17.A la lumière de ces développements, on peut affirmerque, loin d’être un instrument de reconnaissance, leterritoire fonctionne, selon l’expression de PhilippeEstèbe, comme un nouveau voile d’ignorance déployépar l’État-providence. Ne faut-il pas voir là une des raisonsde son « choix » ? Comme le suggère Daniel Sabbagh(2003), le succès d’une politique est peut-êtrefonction de l’opacité qui l’entoure.Il me semble toutefois réducteur de ne voir la questiondes discriminations que sous l’aspect de l’accèsindividuel aux biens sociaux. Comme l’indiquent lesnotions de discrimination systémique, de racisme institutionnel,elle soulève aussi le problème d’une normesociale et culturelle qui imprègne le fonctionnementdes institutions. Elle donne à voir les hiérarchies symboliques– des façons d’être et des façons de penser,des pratiques et des représentations - qui, tout commeet avec les hiérarchies matérielles, structurent unordre social inégalitaire18. En attirant l’attention sur ladimension culturelle des phénomènes d’inégalité etd’injustice sociale, la lutte contre les discriminationspeut être un facteur de remise en cause de ces hiérarchiessymboliques.Et c’est précisément cette portée symbolique, culturelleet politique qui est en France oblitérée par l’usageterritorial lorsque les personnes discriminées en raisonde leur « race » ou d’une « origine » seront prises encompte en fonction de leur résidence. On peut se demanderen effet s’il n’y a pas un risque à ce que, mobilisésdans la lutte contre les discriminations, les « quartierssensibles » ne deviennent un écran à la perception desenjeux sociétaux, voire l’instrument d’un refus réitérédu pluralisme et de la dénégation des formes d’oppressionsymbolique qui structurent la société française.

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!