80Conclusion(s)d’autres termes de créer un « intéressement », moins àtravers la conviction morale à l’égard du thème que parla responsabilisation à l’égard d’un problème pratique.Fabriquer de la « communauté éducative ».Au-delà de la seule ouverture de la parole qui constituele problème, sa résolution implique des formes derégulation sociale des relations scolaires. Il y a sur ceplan un enjeu à travailler à confronter les points de vue,non seulement entre professionnels, mais au-delà. Il ya lieu d’imaginer des dispositifs mutuels de parole, quiassocient les professionnels, les parents, les enfants (ouencore les entreprises pour la question des stages) etconfrontent les regards, construisent une acceptationet une qualification mutuelle.11 Des dispositifs qui fabriquent,concrètement, la « communauté éducative »,autour des problèmes de discrimination, par exemple.Car « il y a beaucoup de décalage entre ce que disentles jeunes et ce que disent les adultes des jeunes. Aaucun moment il n’y a de lieu où la communauté éducativepeut se parler, où les difficultés de placement enstage peuvent se travailler… » (#2) Ce qui suppose deconcevoir la « communauté éducative » non comme undonné, mais comme un espace à construire, comme unerelation à fabriquer, qui trouve dans les « problèmes »une opportunité de se parler.12Une formation-action, comme espace de réflexivité.« Ce qui est une clé d’entrée, c’est la formation detous les acteurs ». La formation préalable est, de fait,commune aux différentes actions. Elle présente l’atoutde réunir diverses fonctions possibles : mobilisation,collectivisation, sensibilisation, analyse des pratiques,ressourcement, etc. - ce mélange n’étant pas sans risque,pédagogiquement parlant. Cependant, toute formationn’est pas équivalente. Les expériences conduitesplaident pour une approche visant à « créer unespace où les choses vont être dites », « admettre lesprésupposés ethniques et mettre de côté le discours“tout le monde est égal“ » (#1). « La formation intègrela question de l’écoute de l’autre, avec sa souffrance(…) Le service formation a acté d’un besoin de mettreen place une formation qui va plus loin sur la régulationdes conflits. » (#2)Un enjeu est d’introduire de l’espace – de la respiration,du temps, du recul – au sein des pratiques professionnelles,afin qu’une expertise professionnelleréflexive puisse se développer. « Ce qui est essentielpour les professionnels : [c’est d’] avoir un espaced’analyse des pratiques, pour poser les valises » (#1)Ceci est important a fortiori dans un contexte de travailmarqué par « une culpabilité, un sentiment d’échec(…) [un sentiment] d’atteinte à l’identité professionnelle,d’épuisement, d’impasse, un sentiment d’abandonpar l’institution ». (#1) « Il y a une forte valeurculpabilisatrice par rapport à ces questions. Il y a l’enjeud’un regard bienveillant dans la formation, la nécessitéd’une ouverture de la parole et d’une mise enconfiance pour autoriser. » (#2) Compte-tenu du déniqui organise le rapport à la discrimination, une telleformation doit placer au centre de la réflexion la questiondes défenses (psychiques), des résistances collectives,des stratégies de dénégation, d’occultation oud’évitement de la question, sans quoi elle ne rend paspossible de modifier un rapport au travail qui intègrela discrimination.Reconnaissance, autorisation, légitimation :la nécessité de l’institutionnalisation.Les conditions de reconnaissance institutionnelle sontessentielles : « la volonté institutionnelle est un élémentdéterminant pour mettre en place [un tel projet]; il y a la nécessité d’un affichage clair. » (#2) Sila tentation peut être de « bricoler dans son coin »,face aux difficultés de mobiliser l’institution et face àl’énergie à déployer pour cela, ce qui est en jeu estpeut-être d’abord de transformer un certain ordreinstitutionnel. Ce que les micro-projets déconnectésdes contraintes institutionnelles ne permettent pas.Institutionnaliser l’action signifie : construire des processus(réitérés) d’information, de discussion, de validation,de communication. Ceci, dans une logique quivise à inscrire de plus en plus en profondeur le projet,à le diffuser aux différents niveaux de pratiques. Pourla formation, par exemple : « [une participation] aubon vouloir des enseignants » n’équivaut pas « uneprésence au titre de la formation professionnelle ».L’enjeu est de passer d’une logique du volontariat àcelle des normes professionnelles instituées, car lorsque« [c’est] un choix personnel : entre midi et deuxou après quatre heures ; c’est connu de tous mais pasreconnu. » (#1) Et, en l’absence d’une reconnaissanceet d’une autorisation institutionnelle « on laisse toutle monde se débrouiller, [au mieux] sous l’égide dela bienveillance » ; « Le travail est bricolé, pas reconnupar l’institution » (#1) Et l’ordre discriminatoire semaintient.Inscrire l’enjeu au niveau de l’organisation collective.L’institutionnalisation en elle-même est insuffisante.Parce que l’institution peut très bien reconnaîtreun problème et, dans le même temps, en déléguer laresponsabilité à certains de ses agents. Le déni de ladiscrimination indique un retournement des stratégiespsychiques de défense des collectifs de travail faceaux difficultés de sa condition. Le déni vise à ce quel’on « tienne » au travail par le maintien d’une fiction
Conclusion(s) 81de celui-ci, fiction qui devient la norme, et qui maintient àl’écart la représentation de ce qui pose problème (la discrimination).Face à la formation d’une telle « idéologiedéfensive », « ceux qui chercheront à s’écarter seront isolésvoire persécutés. »13 Sur ce plan, les projets présentésreposent souvent sur la désignation dans l’institution de «personnes-ressources » ou de « référents ». Cette organisationvise, on le comprend, à diffuser des pratiques dansun contexte où il n’est pas d’emblée possible de concernertout le monde. Mais cette individualisation de l’actionpose diverses questions : quel risque d’isolement ? Quelstatut pour légitimer d’intervenir ? Et donc, quelle capacitéà transformer ? On peut penser ici que l’entrée individuelle,si elle est choisie, ne devrait être que transitoire.Ceci, à la fois parce qu’elle représente un risque pour lesprofessionnels concernés – celui d’incarner aux yeux desautres le problème et de constituer une cible collective deviolence – et parce qu’elle représente la possibilité pourl’institution de biaiser en réduisant la question à une thématiqueparmi d’autres.#1 : fait référence à des interventions entendues à Miramas#2 : fait référence à des interventions entendues à Talence( * )Fabrice DHUME est chercheur-coopérantà l’ISCRA-Est (Institut social et coopératif derecherche appliquée). Il travaille depuis unedizaine d’années sur plusieurs problématiquesde recherche et d’intervention : les formes decoopération interinstitutionnelles (partenariat,travail en réseau...), les discriminations ethnico-raciales,la santé mentale et la souffrancesociale comme terrain de rencontre entre lesocial et le médical et enfin, les catégorisationsethniques à l’école.Chargé de cours à l’Université Paul ValéryMontpellier III – sur l’évaluation des politiquespubliques, dans le Master intermédiationsociale -, Fabrice Dhume a précédemmentco-dirigé une unité d’enseignement sur lespolitiques sociales en Maîtrise de sciences del’éducation (UHA, Mulhouse). Il est égalementformateur en travail social ancien formateuraux CEMEA.Il a notamment publié :> Racisme, antisémitisme et “communautarisme“? L’école à l’épreuve des faits(éd. L’Harmattan, 2007)> Liberté, égalité, communauté ? L’Etat françaiscontre le “communautarisme”(éd. Homnisphères, 2007)> La coopération dans les politiques publiques.De l’injonction du travail ensemble àl’exigence de commun (éd. L’Harmattan, 2006)> Du travail social au travail ensemble. Le partenariatdans le champ des politiques sociales(éd. ASH, 2001)> RMI et psychiatrie : deux continents à ladérive ? (éd. L’Harmattan, 1997)> contact : fabrice.dhume@iscra.org> www.iscra.org