56... à l’action (dans le domaine de l’éducation)de l’approche proposée par Vijé Franchi : « les enfantsapportent chacun dans leur sac des cailloux ; ces caillouxqui les empêchent de vivre et de grandir, ces fameusesdiscriminations qu’ils ressentent, ces difficultés à grandir,tout le temps, ils nous déposent leurs cailloux. Alors onpeut dire : je les prends avec moi, cela te soulage ; etpuis au bout d’un moment le sac devient trop lourdalors on s’écroule avec. On peut aussi dire : non, cescailloux je ne les veux pas, prends les et débrouille toiavec, c’est ta vie après tout. ». L’enseignante ajoute «je pense que c’est ce que fait l’institution tant avec lesprofs qu’avec les enfants. On laisse l’enfant avec sescailloux et pour lui c’est une détresse absolue. Notreboulot c’est de prendre le caillou et de le digérer,le dissoudre avec les ingrédients qu’il faut et le luirenvoyer sous une forme assimilable. J’ai compris ceque tu vis, je te rends ton caillou, maintenant toi tupeux en faire quelque chose. Je l’ai pensé pour toi, jel’ai rendu pensable, assimilable en tant qu’éducateur.Et, c’est pour cela que nous avons besoin de soutienpour nous aider à digérer les cailloux des gamins, pourqu’on tienne debout et que l’on fasse notre boulotd’éducateur. »Aussi difficile que soit la restitution et l’explication decette méthode par un non psychologue, il est une choseindiscutable : cette approche a séduit un grand nombred’acteurs, au point que ces derniers, sous l’impulsionfédératrice de l’ACSé <strong>PACA</strong>, avec l’appui techniqued’Approches Cultures & Territoires et de l’AFRAPE,ont souhaité aller un peu plus loin. Un an et demi plustard, plusieurs équipes éducatives ont par conséquentsollicité l’intervention de Vijié Franchi en <strong>PACA</strong>.De l’analyse collectiveà un accompagnement taillé sur mesureConstruit autour de 2 journées, un cycle de formation,intitulé « Ethnicisation et violence à l’école » a permisd’éveiller chez les professionnels leur capacité d’analyseet de réactions concernant le traitement des causescachées de la violence à l’école. Devant le succès et lesatisfecit du premier cycle organisé en 2006 à Marseilleet Toulon, un deuxième suivra en 2007. « Ce sont àchaque fois 30 à 60 personnes qui ont participé » témoigneIsabelle Fouque.Un public constitué de parents d’élèves, d’acteursculturels, de travailleurs sociaux, de personnels descollèges, de directeurs d’écoles, de coordonnateursREP, de directeurs de centres sociaux, de jeunes animateursBAFA… Les enseignants, eux, furent présentsmais en nombre restreint, du fait de la non-reconnaissancede ces temps de formation par l’institution.Le contenu du cycle permettait de proposer une évolutionpédagogique au fil des deux journées. La premièreinterrogeait l’articulation entre les dynamiquesidentitaires de l’enfant et des professionnels, leurs vécuset leurs réactions face à la discrimination, mais aussiface à l’échec et au sentiment de désespoir. Elles abordaientles stratégies éducatives des enseignants et desparents afin de comprendre comment ces différentsfacteurs interagissent pour produire les contextes desocialisation ou de désocialisation des jeunes. A l’issuede ce « travail d’analyse », il s’agissait de proposer desaccompagnements d’équipes à la carte, de manièretrès localisée. L’école de la Major, dans le quartier duPanier à Marseille, et le collège Edmond Rostand dansle 13 ème arrondissement de la cité phocéenne souhaitèrents’engager dans l’expérience. « La première surle temps libre des enseignantes intéressées, précisionqui a son importance » souligne Damien Boisset.Dans les deux cas, les équipes éducatives étaient dansune situation partielle d’échec. Bénéficier d’une démarchecousue main, basée sur la compréhension desmécanismes discriminatoires à l’œuvre dans leur établissementet sur l’analyse de leurs propres pratiquespédagogiques s’avérait alors plus qu’intéressant :« Les équipes y ont immédiatement vu une manièrede mieux porter les enfants auprès desquels elles intervenaient» précise Isabelle Fouque.Le témoignage d’une enseignante de l’école de LaMajor - la même personne déjà citée par Damien Boisset- permet de mieux comprendre le contexte danslequel évoluait l’équipe éducative : « Rapports sociauxextrêmement durs, pas une journée sans insultes,chacun enfermé dans sa différence. Ce qui rassembleles élèves c’est uniquement leur misère sociale. Ilsse détestent parce qu’ils se ressemblent dans ce qu’ilsne veulent pas être et se sentent astreints à être quandmême. Cette atteinte à l’estime de soi est aussi une atteinteà la capacité à se projeter dans le futur donc àapprendre à grandir. […] »Et cette sous-estime de soi est telle qu’elle altère inévitablementl’image que porte l’équipe enseignante surelle-même – et sur ses pratiques – mais altère égalementle regard qu’elle porte sur les enfants. Les questionnementsqui préoccupaient alors les esprits del’équipe éducative parlent d’eux mêmes : « Commentpeut-on travailler avec des élèves que l’on a tendance àvoir comme de futurs délinquants, de futurs chômeurs… Comment dépasser ces terribles a priori, énormesfacteurs discriminatoires ? ». L’accompagnement, animépar Vijé Franchi, fût ainsi axé sur l’aide des équipeséducatives à penser les enfants différemment.
...à l’action (dans le domaine du l’éducation) 57Quel avenir pour cette démarche ?Avec le recul chacun est d’avis que cette expériencefût incontestablement une réussite. « Toucher 150personnes en 2 années, avec deux suivis d’équipes, estdéjà une bonne chose » rapporte Damien BoissetD’un point de vue qualitatif, il suffit d’écouter le témoignagede Diatou N’Diaye, responsable de l’associationPasserelle - Tey ak Euleug (Aujourd’hui et Demain,en wolof) - dans les quartiers Sud de Marseille,pour être convaincu. « Personnellement je suis partiede la journée de formation en ayant l’impression queVijé Franchi s’était adressée à moi. Tout ce qu’elle disait,offrait des solutions à des problèmes que nousconnaissions sur le territoire ». D’ailleurs elle ne tarderapas à s’emparer de ces « préceptes » pour lestransposer sur son propre terrain d’action, et remobiliserles membres de son association (essentiellementdes parents) dans le cadre d’un projet REAAP (Réseaud’Ecoute, d’Aide et d’Appui à la Parentalité). Desconférences, auxquelles ont assisté des enseignants,ont ainsi permis d’entendre les différents sons de cloche.« Les parents comme les enseignants ont apprisdes uns et des autres, des choses nouvelles sur le comportementde « leurs » enfants. Les vécus de discriminationssont désormais mieux compris, les violencesqui en découlent mieux canalisées ».Néanmoins, plusieurs freins existent. Notamment la frilositéinstitutionnelle à l’encontre de cette formationd’un nouveau genre. En effet, il a été souligné à plusieursreprises la difficulté qu’il existait à développerce type d’intervention à partir d’un portage « quelquepeu bricolé », ou en tous cas non légitimé par leRectorat. Il semblerait que l’on ne parle pas toujourstrès aisément des discriminations au sein de l’EducationNationale. Preuve de cette « occultation », le PAF(Plan Académique de Formation), qui a la particularitéd’adapter les formations en fonction des typologiesde collèges mais aussi en fonction des problèmes propresaux établissements, ne propose pour le momentaucune entrée formelle qui ait un rapport direct avecles thèmes de « vécu de discrimination ».Aujourd’hui chaque initiateur de cette démarche n’espèrequ’une chose : que les équipes enseignantes fassentprogressivement remonter leur intérêt de manièreofficielle et non officieuse. « Une fois l’intérêt decette expérience connue et reconnue par l’EducationNationale, l’ACSé pourra alors lui donner une autreenvergure » commente Isabelle Fouque. D’ailleursl’agence ne reste pas inactive sur le sujet.Elle a décidé d’expérimenter la démarche sur unedeuxième Académie. Par ailleurs l’agence finance depuis2 ans un Diplôme d’Université (DU) conçu et portépar Vijé Franchi, auquel participe un certain nombre« d’expérimentateurs de terrain » déjà impliquésdans la démarche. Le but est de qualifier des personnesressources qui puissent ensuite faciliter la démultiplicationde cette démarche : Vijé Franchi n’a pas ledon d’ubiquité, et les besoins sont énormes pour faireévoluer représentations et pratiques !> contacts : isabelle.fouque@lacse.frdiatou.ndiaye@yahoo.frdamien.boisset@approches.fr(un peu +)« Approches Cultures & Territoires »(ACT) est une association à but non lucratiffondée en janvier 2005 à Marseille. Au traversla création en septembre 2006 d’un centrede ressources, elle intervient auprès desprofessionnels et des militants sur les questionsd’ethnicisation, de diversité et de discrimination.Elle est co-organisatrice des journées de formationanimées par Vijé Franchi.www.approches.fr> pour aller plus loin, téléchargez : ouvrage « Prévenir la violence au collège à travers ledispositif. Parlons tabou » (SCEREN-CRDP Amiens,collection Repères pour agir, 2005) :www.approches.fr/Vije-FRANCHIwww.approches.fr/L-ecole-et-la-diversiteculturelle l’école de La Major :www.approches.fr/Comment-agissent-les