Psychologie Positive N°28
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PAROLES D’EXPERT<br />
pathologique. Si j’insiste sur l’importance de repenser<br />
le narcissisme, c’est parce que cela éclaire en profondeur<br />
notre société. Vivons-nous dans un monde où les gens<br />
s’aiment intensément, au point d’être devenus<br />
indifférents aux autres, ou vivons-nous une époque où<br />
les gens sont coupés d’eux-mêmes, exploités, au point<br />
de ne plus savoir qui ils sont, ce qu’ils veulent ?<br />
La définition du narcissisme n’a eu<br />
de cesse d’être confondue avec un acte<br />
de vanité égocentrique. En quoi cette<br />
faute de lecture, qui a atteint des<br />
sommets avec l’usage détourné et<br />
galvaudé de l’expression “pervers<br />
narcissique”, est-elle dramatique ?<br />
Tout d’abord, il est étrange que<br />
l’adjectif “narcissique” soit devenu<br />
le synonyme d’“égocentrique” et<br />
renvoie à une perversion, alors que<br />
Narcisse désigne la première fleur<br />
du printemps, celle du renouveau.<br />
Il est, depuis la haute Antiquité,<br />
le symbole de la jeunesse et de<br />
l’innocence. Tous les siècles, des<br />
penseurs ont réinterprété ce mythe<br />
qui a joué un rôle majeur dans<br />
l’Occident, mais toujours comme un<br />
mythe fécond et positif. Il suffit d’un<br />
peu de bon sens pour se rendre<br />
compte que l’expression “pervers<br />
narcissique” est incohérente. Elle est<br />
attribuée à des gens qui s’aimeraient<br />
trop alors qu’en réalité les personnes<br />
égoïstes ne s’aiment pas. Et, pour<br />
cette raison, elles manipulent les<br />
autres pour obtenir ce qui leur<br />
manque. Autrement dit, les pervers<br />
ne sont pas narcissiques, mais<br />
manquent de narcissisme de manière<br />
Ce défaut de narcissisme serait<br />
responsable de nouveaux maux<br />
de notre époque ?<br />
L’un des exemples majeurs de ces<br />
nouvelles souffrances est le burnout.<br />
Il touche des hommes et des<br />
femmes qui veulent tellement bien<br />
faire, qui s’identifient tellement à ce<br />
qu’on leur demande qu’à un<br />
moment ils ne peuvent plus se lever,<br />
se respecter. Ils ne sont pas<br />
paresseux ; ils sont engagés et<br />
exigeants. Or, on leur dit : « Vous<br />
n’avez pas assez géré votre stress,<br />
pas assez bien fait ça. » En bref,<br />
c’est votre faute. Cela me choque<br />
profondément. On devrait leur<br />
dire : « On ne vous a pas assez<br />
respecté ou considéré. » Il y a donc<br />
un décalage radical. Des millions de<br />
gens pensent encore que le burn-out<br />
est une forme de dépression. C’est<br />
faux. Les gens qui souffrent d’un burn-out n’ont pas un<br />
problème psychologique particulier, mais on les<br />
maltraite tant qu’ils en arrivent à l’épuisement.<br />
Un autre signe de cette autoexploitation est révélé par<br />
une enquête récente qui a montré que nous dormons<br />
40 minutes de moins qu’il y a dix ans. Nous ne nous<br />
laissons pas dormir. Est-ce parce que nous sommes trop<br />
narcissiques ? Ou parce que nous sommes si peu<br />
narcissiques que nous n’arrivons même pas à écouter<br />
nos propres besoins ? Soyons narcissiques et le monde<br />
PSYCHOLOGIE POSITIVE 93