LYON PEOPLE
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<strong>PEOPLE</strong> STORY<br />
NICOLAS FAFIOTTE<br />
« Se souvenir des belles choses »<br />
Les souvenirs de Max Chaoul, styliste de génie, se bousculent dans la tête de son ex-poulain.<br />
Propos recueillis par Jocelyne Vidal - Photo © Saby Maviel<br />
Le créateur iconique de l’univers du<br />
mariage et des fabuleuses pièces<br />
couture des défilés « Live Show d’Etam<br />
Lingerie » et Miss France est d’autant plus<br />
bouleversé par la disparition de son mentor<br />
qu’il lui avait récemment proposé de le<br />
rejoindre… « Tu aimerais créer des collections<br />
avec moi, si quelqu’un rachète ma société ? »,<br />
m’a-t-il demandé un jour de novembre.<br />
Nous avions projeté de déjeuner avec<br />
Clémentine. Un mois plus tard, j’apprends<br />
l’horrible nouvelle, au hasard d’une visite<br />
médicale à la Clinique du Parc où<br />
j’étais soigné pour une déchirure<br />
de tendons. Au lendemain de ses<br />
obsèques, précédées d’une veillée<br />
en famille à laquelle j’ai participé,<br />
j’ai réalisé qu’en dépit de nos vrais<br />
conflits, je ne me souvenais plus<br />
que des choses positives. Max<br />
avait certes son caractère et ses<br />
crises, liées au stress, en aucun<br />
cas à la méchanceté. Je pense<br />
toujours à lui avec son sourire,<br />
sa bonhomie. Ne plus jamais le<br />
croiser, je n’imaginais pas que<br />
cela puisse arriver. »<br />
PREMIÈRES ARMES<br />
CHEZ MAX<br />
« Mes débuts chez Max sont marqués par<br />
le centenaire du cinéma ! Pour célébrer<br />
l’invention des Frères Lumière, il avait été<br />
demandé aux créateurs lyonnais de réaliser<br />
une robe sur le thème du 7 ème art. Elève<br />
d’Esmod, je décide de plancher sur un<br />
modèle inspiré de Marlène Dietrich. J’étais<br />
fasciné par le côté masculin-féminin de la<br />
star de L’Ange Bleu et par ses sublimes<br />
smokings. Je fonce sur le concept, bosse<br />
dessus pendant trois semaines. Et voilà qu’à<br />
huit jours de l’événement, Isabelle Gleize,<br />
alors directrice d’Esmod, m’apprend que<br />
Max Chaoul travaillait lui aussi sur Marlène<br />
Dietrich !<br />
Retour à la case départ. J’oublie Marlène<br />
pour réaliser deux robes inspirées de<br />
Marilyn Monroe dans le film Bustop : l’une<br />
très glamour, l’autre plus borderline avec<br />
body et fourreau échancré sur bas résille.<br />
Le jour « J » du défilé arrive. Renard noir<br />
sur les épaules, une copine qui venait d’être<br />
élue Miss Lyon, arrache son fourreau pour<br />
révéler la finesse de mon body corseté.<br />
« Qui a aidé votre élève à faire ce corset ? »<br />
demande Max à Isabelle Gleize. « Il a<br />
travaillé seul. Pour vous prouver sa bonne foi,<br />
il peut venir en stage chez vous », rétorque la<br />
directrice d’Esmod. Aussitôt dit, aussitôt fait.<br />
« En stage en juin chez Max, j’adore tellement<br />
travailler avec lui que je continue en juilletaoût.<br />
« Je voudrais vous garder », me dit-il à la<br />
fin de l’été. Je m’entends encore lui répondre :<br />
« Vous serez obligé de m’attendre, j’ai ma<br />
3 ème année d’études Esmod à suivre à Paris ».<br />
Loin de se décourager, Max demande à son<br />
assistante de me trouver des tissus pour<br />
mon défilé de fin d’études. Venu y assister<br />
un jeudi, il me lance « Vous commencez<br />
lundi ! » Sorti premier de promo, j’étais le<br />
seul à avoir décroché un job aussi vite ! »<br />
LE CAUCHEMAR DES VITRINES<br />
« Avec Max, on partageait le même idéal<br />
de beauté des choses et des robes, mais il<br />
avait un côté plus baroque, plus XVIII e que<br />
moi. Faire ses vitrines m’était insupportable.<br />
Un vrai cauchemar de galérer des journées<br />
entières pour empiler 50 000 chaises dans<br />
une vitrine avec des robes tenues par des<br />
bouts de ficelles. Et ne parlons pas des<br />
défilés dans la rue que je n’ai jamais aimés,<br />
tant il est impensable pour moi de mettre la<br />
couture dans la rue ! »<br />
Ces divergences n’excluent pas une<br />
belle complicité entre Nicolas et Max,<br />
très fier de présenter son poulain au<br />
final d’un éblouissant défilé au Palais du<br />
Commerce.<br />
Signataire de lignes de Prêt-à-Porter pour<br />
le styliste lyonnais, Nicolas est de toutes les<br />
fêtes, celles qui ouvrent les salons parisiens<br />
et les célébrations privées, tel le 50 ème<br />
anniversaire de Max, fêté au Château de<br />
Bagnols, dans une tour débordante de fleurs.<br />
« À 25 ans, je me suis retrouvé sur<br />
une autre planète, j’en garde des<br />
souvenirs impérissables ». La crise<br />
née de la seconde guerre du Golfe<br />
va mettre un terme en 2002, à<br />
sept années d’une collaboration<br />
seulement interrompue par un<br />
passage remarqué de Nicolas<br />
Fafiotte chez Ungaro.<br />
DE LA CO-CRÉATION<br />
À LA RIVALITÉ<br />
« Après mon licenciement, il me<br />
fallait rebondir en montant ma<br />
propre boutique, je l’avais récemment<br />
expliqué à Max qui avait<br />
alors eu l’impression, selon ses<br />
termes « de s’être fait faire un enfant<br />
dans le dos ! » Allez savoir si je ne<br />
travaillerais pas aujourd’hui encore avec vous,<br />
si vous ne m’aviez pas licencié », lui ai-je confié,<br />
lorsque nous nous sommes croisés il y a un<br />
mois à Lyon. De la co-création à la rivalité, il<br />
y a cependant un pas vite franchi par les deux<br />
créateurs qui se retrouvent à l’avant-scène<br />
du défilé d’Affaires de Mode en 2004, à la<br />
Halle Tony Garnier. « Max me demande de ne<br />
pas présenter de robes de mariées. Qu’à cela ne<br />
tienne. J’envoie la couleur en impressions laser<br />
de fleurs et strass sur des robes-corolles, je fais<br />
numériser des bouquets d’Amaryllis et joue la<br />
carte de Buren sur d’énormes manteaux ouverts<br />
sur des jupes flashées de noir et blanc... Max m’a<br />
confié un peu plus tard que mon défilé l’avait<br />
séché ! » Bien d’autres souvenirs émaillent<br />
les conversations de Nicolas avec Fabien,<br />
l’illustrateur de Max, Maria, sa comptable,<br />
Fabiène Gay Jacob Vial, sa biographe.<br />
Depuis son départ, conclut Nicolas, « Max<br />
revient dans nos têtes, il semble nous inviter<br />
à former autour de lui une chaîne d’éternelle<br />
amitié. »<br />
lyon people • janvier 2021 • 40 •