p. 8Première page.Le Cantique des Cantiques — ce qui signifie le chant parexcellence selon la tournure hébraïque, comme le Seigneurdes seigneurs signifie le plus grand des seigneur — est unlivre à part. Jamais le nom divin n’y est prononcé, et jamaisDieu n’y parle. Il célèbre l’amour de deux jeunes gens.L’essentiel.Interrompu ici ou là par des voix plus ou moins hostiles (lescompagnons du bien-aimé ou bien la mère, les frères etles amies de la bien-aimée), tout le poème est un dialoguerythmé. Il est difficile d’en repérer la structure. Celle quiest ici proposée, en sept mouvements se veut pratiqueavant tout.Dans le premier mouvement, chacun chante la beauté del’autre, unique à ses yeux (1.2-2.7). Dans le deuxième, lebien-aimé est absent et la bien-aimée imagine que sa voixla contemple (2.8-17). Le troisième présente une rechercheéperdue du bien-aimé puis la rencontre des amants etl’entrelacement de leurs deux voix (3.1-5.1). Le quatrièmefrémit de la disparition subite du bien-aimé (5.2-6.3). Ilréapparait dans le cinquième pour décrire le corps de sabien-aimée (6.4-7.11). Dans le sixième, la bien-aimée inviteà s’ouvrir à la création (7.12-8.5). Enfin, le septième affermitleur passion et relance le chant : Pars vite d’ici, monbien-aimé… (8.5-14)L’histoire — un rêve, disent certains — ne s’enferme pasentre les murs d’une chambre, elle remplit l’espace de laterre d’Israël. Aérienne et sensuelle, elle est peuplée decolombes et de gazelles, de fleurs sauvages, de fruits, demiel et de parfums enivrants. Les thèmes et les imagesse succèdent. La poésie exulte. Les allitérations (desmots hébreux avec le même son) disparaissent en traductionmais les reprises et les refrains demeurent (réveil del’amour, paroles d’alliance) ainsi que le motif répété de larecherche éperdue. Les artistes sont sous le charme, tel lepeintre Marc Chagall (cinq toiles de 1957 à 1966), le musicienKrzysztof Penderecki (Canticum canticorum Salomonis,1973) ou le poète Leopold Sedar Senghor (Élégie pour lareine de Saba, 1978).Les rabbins ont hésité avant d’inclure le Cantique parmileurs Écritures. Dans le judaïsme, il est désormais lu lors dela fête de Pessah (Pâque) : le bien-aimé bondissant estune image de Dieu venant sauver son peuple. Dansle christianisme, c’est le Christ. Pour la bien-aimée, onhésite : l’Église, l’âme ? Les commentaires d’Origène, Grégoirede Nysse, Bernard de Clervaux, Hildegarde de Bingenet tant d’autres montrent finalement ceci : l’interprétationest multiple et n’est jamais fermée. Mais il est certain quel’amour humain est le plus beau chemin pour comprendrel’amour de Dieu. Il y a là une part de l’éternelle actualitédu Cantique. Une deuxième qui lui est liée est le regardbienveillant sur la sexualité, ses inquiétudes et ses joies.Pour aller plus loin.Le Cantique a des parallèles dans le Proche-Orient ancientels les poèmes d’amour égyptiens où la bien-aimée est appeléesœur. Quant aux mentions de David et Salomon — dontl’une des épouses était égyptienne, elles semblent plutôtlittéraires. Le vocabulaire mêle des tournures archaïques àun fond araméen, si répandu dans l’empire perse. Plusieursbiblistes hésitent alors pour une rédaction entre le 5 e et le3 e siècle avant JC.On a soutenu que l’auteur serait une femme — peut-être laseule de la Bible. L’hypothèse est débattue mais il faut reconnaitreque le Cantique privilégie la voix féminine. Quoiqu’il en soit, Dieu est ici plus que discret. Mais l’harmoniedu couple au milieu des paysages et de la ville, parmi lesarbres, les fleurs, les animaux, les saisons, la nuit et le joursuffit à faire entendre sa merveilleuse parole de Créateur !
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