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VLADIMIR/SPUTNIK/SPUTNIK VIA AFP<br />
À partir des<br />
années 1960,<br />
l’Université<br />
de l’amitié<br />
des peuples<br />
Patrice<br />
Lumumba,<br />
à Moscou,<br />
a accueilli<br />
des dizaines<br />
de milliers<br />
d’étudiants<br />
africains.<br />
Visite près<br />
du Kremlin,<br />
en 1963.<br />
QUAND WAGNER FAIT L’ÉLOGE DE SANKARA<br />
Antoine Glaser voit dans la recherche par la Russie de<br />
positions d’influence en Afrique « une vraie stratégie, avec une<br />
répartition concertée des tâches avec la Chine. À la Russie, la<br />
sécurité et l’armement, à la Chine, les infrastructures ». Une<br />
stratégie qui s’accompagne souvent du refus, lors des votes au<br />
Conseil de sécurité des Nations unies, de condamner tel ou tel<br />
pays africain pour des manquements aux droits de l’homme…<br />
Au Soudan, la Russie a appuyé jusqu’au bout le régime<br />
d’Omar el-Béchir, finalement renversé sous la pression<br />
populaire en avril 2019. Moscou s’est ensuite rapproché des<br />
putschistes qui, en octobre 2021, ont confisqué la révolution<br />
soudanaise. Pari gagnant : le nouveau régime militaire a donné<br />
son autorisation pour la construction d’une base navale russe<br />
sur la côte de la mer Rouge, à Port-Soudan. La première sur le<br />
continent, qui plus est non loin de Djibouti : une perspective qui<br />
donne des sueurs froides au Pentagone… Moscou a également<br />
signé, mi-2021, des accords de coopération militaire avec deux<br />
poids lourds du continent : l’Éthiopie, ancien allié du temps<br />
de Mengistu (1974-1991), mais aussi, plus inattendu, le Nigeria…<br />
Washington estime qu’au total 3 000 à 5 000 contractants<br />
militaires russes seraient présents en Afrique. Une estimation<br />
aussi floue que les agissements de la société militaire privée<br />
Wagner, avec laquelle le Kremlin s’obstine à démentir toute<br />
relation… mais qui intervient en Ukraine. Déjà, des mercenaires<br />
ont quitté la brousse centrafricaine pour se déployer<br />
dans les steppes slaves.<br />
À l’occasion, des Russes actifs sur le continent arguent<br />
des relations passées des indépendantistes avec l’Union soviétique<br />
pour convaincre les Africains de se tourner vers Moscou.<br />
Alexandre Ivanov, officier proche de Wagner, a annoncé le<br />
24 janvier sur Twitter – au lendemain du putsch à Ouagadougou<br />
– être « prêt à partager l’expérience des Russes en République<br />
centrafricaine si le Burkina Faso en fait la demande »,<br />
tout en mentionnant le capitaine révolutionnaire burkinabé<br />
Thomas Sankara (1983-1987), qu’il surnomme « le Che Guevara<br />
africain ». Le patron officieux de Wagner, Evgueni Prigojine,<br />
homme d’affaires et ami de Poutine, a assimilé les putschs<br />
au Mali et au Burkina Faso à « une nouvelle ère de décolonisation<br />
» sur le réseau social russe VKontakte (VK) : « Tous ces<br />
soi-disant coups d’État sont dus au fait que l’Occident essaie de<br />
gouverner les États et de supprimer leurs priorités nationales,<br />
d’imposer des valeurs étrangères aux Africains, parfois en se<br />
moquant d’eux. »<br />
Une partie de la jeunesse du continent est sensible à cette<br />
opération de séduction, comme en témoignent les portraits de<br />
Vladimir Poutine ou du compositeur allemand Richard Wagner<br />
vus dans des manifestations en Afrique de l’Ouest. À Bamako se<br />
vendent même des T-shirts où « Mali » est écrit en cyrillique ! Les<br />
discours tiers-mondistes des barbouzes de Wagner paraissent<br />
cependant bien opportunistes, leurs affinités politiques allant<br />
à l’extrême droite : le fondateur du groupe, Dmitri Outkine,<br />
arbore ainsi des tatouages nazis et l’a baptisé Wagner en hommage<br />
au compositeur favori d’Adolf Hitler…<br />
Aussi, la Russie – des tsars à Poutine, en passant par les bolcheviks<br />
– n’a jamais cessé d’être une puissance impérialiste. Au<br />
XIX e siècle, les tsars ont conquis et colonisé les sultanats musulmans<br />
d’Asie centrale, exactement comme les puissances européennes<br />
en Afrique ou le Japon en Asie. En 1939-1940, l’Union<br />
des républiques socialistes soviétiques (URSS) a agressé la<br />
Finlande, annexé les trois minuscules pays baltes et – suprême<br />
infamie ! – s’est partagée la Pologne avec l’Allemagne nazie.<br />
Pendant la Guerre froide, les Soviétiques ont soumis toute l’Europe<br />
de l’Est derrière un rideau de fer. Enfin, en 1994 puis<br />
en 1999, la Russie a écrasé les velléités indépendantistes de<br />
la Tchétchénie, nation musulmane du Caucase, lors de deux<br />
guerres d’une férocité inouïe. Et l’armée occupe toujours des<br />
pans entiers de la Moldavie et de la Géorgie. Clairement, derrière<br />
l’affichage anti-impérialiste, la Russie a bien un dessein<br />
impérial, qu’elle déploie en Afrique.<br />
AFRIQUE MAGAZINE I <strong>427</strong> – AVRIL 2022 37