Point de mire Quand la lumière prend le contrôle du cerveau Cibler des cellules individuelles et déclencher des processus – et ce, sans techniques invasives? C’est possible grâce à l’optogénétique qui permet de contrôler les activités cellulaires par la lumière. Même si le chemin vers une application à grande échelle en médecine humaine est encore long, les premiers résultats sont là. D r Johannes Oppermann, Enrico Peter, Rodrigo Gaston Fernandez Lahore, Prof. D r Peter Hegemann, Experimental Biophysics, Université Humboldt zu Berlin Photo: Wikipedia, Dartmouth Electron Microscope Facility, Dartmouth College 30 6/22 vsao /<strong>asmac</strong> <strong>Journal</strong>
Point de mire L’histoire de l’optogénétique a réellement commencé avec la découverte d’une protéine issue de l’algue unicellulaire Chlamydomonas reinhardtii. Ce petit organisme est capable de changer sa direction de nage en fonction de l’intensité et de la direction de la lumière incidente, garantissant ainsi en permanence les meilleures conditions possibles pour la photosynthèse. Des courants rapides et induits par la lumière, directement dérivés de l’algue, ont été identifiés dès le début des années 1990 comme étant à l’origine de ce comportement, suggérant que la perception de la lumière et la conduction ionique passive sont réunies dans une protéine [1]. L’identification de cette molécule, connue depuis sous le nom de canalrhodopsine (en anglais: channelrhodopsin), a certes nécessité dix années de travail supplémentaires [2,3], mais elle jette les bases du développement spectaculaire de l’optogénétique. Qu’est-ce que l’optogénétique? L’optogénétique consiste à introduire des gènes de protéines photoactivables (également appelés «outils optogénétiques» dans ce contexte) dans les cellules. Ces protéines peuvent ensuite être utilisées pour manipuler de manière ciblée des processus dans la cellule, un concept qui avait déjà été proposé par Francis Crick [4]. La lumière pouvant être contrôlée avec précision dans l’espace et le temps, il est possible de contrôler les processus cellulaires ciblés optogénétiquement avec une précision similaire. Il existe aujourd’hui une Isolement d’un gène Infection virale in vitro grande variété d’outils optogénétiques, mais l’outil le plus utilisé reste la canalrhodopsine conductrice de cations, issue de l’algue C. reinhardtii. La conduction passive des ions, activée par la lumière, en fait un déclencheur idéal de signaux électriques, par exemple dans les neurones ou les myocardiocytes. La dépolarisation des tissus ainsi initiée suffit généralement à induire des potentiels d’action. Et il y a d’autres avantages: souvent, les outils optogénétiques peuvent être introduits de manière ciblée et sans toxicité dans différents types de tissus. De plus, la lumière offre la possibilité de contrôler et d’étudier le processus examiné de manière non invasive. L’optogénétique n’est donc pas seulement avantageuse pour les expériences dans des lignées cellulaires cultivées, elle se prête aussi particulièrement bien aux expériences in vivo, souvent réalisées sur des souris, des vers, des mouches et des poissons-zèbres Recherche et application Le principe de l’optogénétique a été appliqué pour la première fois en 2002 dans le laboratoire de Gero Miesenböck. Trois protéines issues du cycle visuel de la mouche drosophile ont permis de contrôler l’activité de neurones en culture [5]. Peu de temps après, l’utilisation de la canalrhodopsine [6,7] a considérablement simplifié cette méthode, ce qui a permis à l’optogénétique de se diffuser rapidement et de répondre à des questions de recherche fondamentales, tout d’abord dans le domaine de la neurobiologie. in vivo Stimulation Inhibition Comportement En optogénétique, des gènes de protéines photoactivables provenant d’organismes microbiens (ici une algue verte) sont introduits par des virus dans des cellules excitables comme les neurones. Cela permet de stimuler ou de réprimer des potentiels d’action in vitro et d’étudier le comportement qui en résulte in vivo. t V Une coopération fructueuse entre différentes disciplines scientifiques a ainsi vu le jour. En essayant de comprendre la canalrhodopsine au niveau moléculaire, les biophysiciens modifient de manière ciblée les propriétés de la protéine. De nombreuses variantes de la canalrhodopsine ainsi développées sont à leur tour utilisées par les neurobiologistes comme outils optogénétiques pour des questions de plus en plus détaillées. Ces dernières années, les bio-informaticiens ont en outre multiplié les recherches dans les bases de données métagénomiques afin de découvrir des outils optogénétiques jusqu’alors inconnus. La découverte de canalrhodopsines conductrices de potassium est certainement la plus grande étape à ce jour [8]. Celles-ci permettent, contrairement à la canalrhodopsine stimulante de C. reinhardtii, une suppression efficace des potentiels d’action neuronaux, inspirée du système (animal) naturel. Outre les neurosciences, l’optogénétique trouve désormais des applications dans de nombreux autres domaines de recherche [9], et grâce aux percées réalisées dans la recherche fondamentale, elle offre également un potentiel en tant qu’outil thérapeutique. Outre un défibrillateur optogénétique [10] et un implant cochléaire optique [11], il est particulièrement intéressant de noter qu’il a été possible récemment d’aider une personne devenue aveugle suite à une rétinite pigmentaire à retrouver une vision rudimentaire [12]. Un regard vers l’avenir En tant que thérapie, l’optogénétique aurait théoriquement une longueur d’avance sur les méthodes classiques de neuromodulation. L’utilisation de la stimulation électrique ou magnétique, surtout si elle est non invasive, ne permet qu’un contrôle spatial minimal, car toutes les cellules sont stimulées dans le champ généré [13– 15]. Les thérapies optogénétiques, en revanche, permettent un contrôle spécifique au type cellulaire et même subcellulaire [16]. Elles ont par exemple permis de traiter de manière fiable les canalopathies [17]. Le traitement des maladies neurodégénératives pourrait également être facilité, et on pourrait même envisager de le combiner avec des psychothérapies similaires aux procédés de stimulation cérébrale conventionnels [18]. Il existe cependant des obstacles importants à l’utilisation d’outils optogénétiques dans le système humain [19]. Il faut d’abord une méthode de thérapie génique vsao /<strong>asmac</strong> <strong>Journal</strong> 6/22 31