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EDITO<br />
De l’étroitesse des frontières<br />
à l’ouverture des horizons<br />
PAR ADELINE JACOB<br />
Sa dernière mouture avait 20 ans et était plus que dépassée, le<br />
Programme directeur d’aménagement du territoire a donc été<br />
revu. Et le besoin de rectifier le tir était urgent puisque, depuis<br />
les années 1950, les décideurs luxembourgeois n’ont pu s’appuyer<br />
que sur des projections économiques et démographiques largement<br />
en-deçà de la réalité. Alors qu’en 2004 on prévoyait 395.000<br />
emplois au Luxembourg pour 2020, dans les faits on a dénombré<br />
475.000 postes ; alors qu’on estimait atteindre un nombre<br />
de travailleurs frontaliers compris entre 136.000 et 168.000,<br />
celui-ci s’est élevé à 200.000 ; et la population, qu’on imaginait<br />
fluctuer entre 511.000 et 561.000 habitants s’est finalement élevée<br />
à 626.000 âmes 1 . Des sous-estimations chroniques dues à<br />
une croissance économique fulgurante qui aurait donné le tournis<br />
aux économistes de l’époque et qui ont plombé les stratégies<br />
d’aménagement du territoire au fil du temps. Adopté le 21 juin, le<br />
nouveau PDAT définit la stratégie de développement territorial du<br />
Luxembourg à l’horizon 2035-2050 et le gouvernement y consacre<br />
une « toute nouvelle place » au renforcement de la consultation<br />
transfrontalière en raison de l’interdépendance croissante entre<br />
le pays et son aire fonctionnelle.<br />
En effet, ce débordement de prospérité contraint les dirigeants à<br />
lorgner ce qu’il se passe « extramuros » pour désengorger ce que<br />
les économistes de la Fondation IDEA ont identifié comme «des<br />
goulots d’étranglement du modèle économico-spatial luxembourgeois»,<br />
à savoir la pénurie de logements, la saturation des<br />
infrastructures de mobilité, la dépendance croissante à la maind’œuvre<br />
frontalière, la pollution, etc. « Ces externalités négatives<br />
interrogent sur la capacité du pays à poursuivre sur la même voie,<br />
mais aussi sur l’acceptabilité sociale à long terme d’une telle<br />
dynamique », soulèvent les mêmes experts. Alors que, de l’aveu<br />
du ministre de l’Aménagement du territoire Claude Turmes, le<br />
Luxembourg est resté « aveugle sur le transfrontalier » pendant<br />
30 ans, assurer un développement cohérent de toute sa région<br />
fonctionnelle semble aujourd’hui une condition sine qua non au<br />
renforcement de la résilience du territoire face aux défis actuels<br />
et futurs. Mais plus qu’aveugle, le Grand-Duché a été sourd; sourd<br />
aux demandes de compensations financières de certains de ses<br />
voisins lésés par l’attractivité luxembourgeoise, accentuant ainsi<br />
le déséquilibre et subissant les conséquences de la polarisation<br />
des activités sur son seul sol.<br />
Si les voisins belges bénéficient d’une compensation financière annuelle<br />
de 48 millions d’euros, les régions allemandes et françaises<br />
limitrophes font figure de « victimes collatérales » de la réussite<br />
économique luxembourgeoise. La concurrence salariale étant trop<br />
rude et, dès lors, le manque à gagner fiscal important, les localités<br />
frontalières françaises, par exemple, sont plus pauvres que la<br />
moyenne nationale et, privées de l’impôt sur le revenu de plus de<br />
115.000 travailleurs frontaliers, peinent à assurer leurs services<br />
publics. Pas plus tard qu’en février, des responsables politiques de<br />
la région frontalière franco-allemande avaient à nouveau demandé<br />
des compensations financières au Grand-Duché. Si leur fortuné<br />
voisin contribue tout de même au financement de certains projets<br />
d’infrastructures transfrontaliers, maintenant qu’il paraît vital de<br />
« penser le Luxembourg au-delà du Luxembourg » selon les mots<br />
du ministre de l’Économie Franz Fayot, le gouvernement semble<br />
considérer plus sérieusement la question et s’intéresser au modèle<br />
suisse. Là-bas, le canton de Genève reverse environ 30% du<br />
montant des impôts sur le revenu des travailleurs français qui y<br />
sont employés aux communes de l’Hexagone limitrophes ; ce qui<br />
n’empêche pas la Suisse de cofinancer par ailleurs des projets<br />
transfrontaliers!<br />
Le Luxembourg sera-t-il prêt à adopter une telle approche ? Les<br />
vœux de coopération transfrontalière tels que formulés dans le<br />
PDAT – qui ne peut que définir des objectifs politiques et des<br />
stratégies pour le territoire national et qui n’a d’ailleurs pas<br />
de caractère contraignant direct sur celui-ci, rappelons-le –<br />
sauront-ils coïncider avec ceux des voisins ? Ces questions ne<br />
peuvent être ignorées car l’interdépendance des quatre régions<br />
ne devrait cesser de croître dans les années à venir et risque<br />
d’engorger davantage les « goulots d’étranglement » à politique<br />
identique.<br />
1<br />
Prévisions du concept IVL (Integratives Verkehrs- und Landesentwicklungskonzept für Luxemburg) de 2004.