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Revue Lespwisavann N°0

"L’intention qui accompagne ce recueil est simple : contribuer à enrichir la réflexion historique dans la Caraïbe." SOMMAIRE : - Historien Guadeloupéen ou Historien de l'Histoire de la Guadeloupe - Un point de vue sur la situation sociale actuelle en Guadeloupe - Entrevue avec Raymond B. GAMA

"L’intention qui accompagne ce recueil est simple : contribuer à enrichir la réflexion historique dans la Caraïbe."

SOMMAIRE :
- Historien Guadeloupéen ou Historien de l'Histoire de la Guadeloupe
- Un point de vue sur la situation sociale actuelle en Guadeloupe
- Entrevue avec Raymond B. GAMA

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I s t w a & S o s y é t é

Mars 2007 - N°0 - GRATUIT

Pour une

nouvelle histoire

caribéenne...

Historien Guadeloupéen

ou Historien de l’Histoire de

la Guadeloupe ?

Un point de vue sur la

situation sociale actuelle

en Guadeloupe

Entrevue avec Raymond B. Gama

In Lespwisavann, Istwa & Sosyété - Revue Online - ISSN : 1634 - 0507


Pou tou sa ki té sav,

pou tou sa ki pa sav

é pou tou sa ki vlé konnèt...


Lespwisavann

Istwa & Sosyété

Mars 2007 - N°0

POUR UNE

NOUVELLE HISTOIRE

CARIBÉENNE…

Quelques réflexions d’un descendant de fils d’esclaves

de Guadeloupe…


L’intention qui accompagne ce recueil est simple : contribuer à

enrichir la réflexion historique dans la Caraïbe.

Et, du coup on peut se demander si c’est vraiment une nécessité

et pourquoi ?

Tout d’abord, il s’agit de remarquer qu’il n’y a pas une sensibilité

caribéenne sur la question mais une grande diversité de situations

qui révèle que les distances (d’ordre physique) entre nos îles se

doublent d’écarts multiples, en sorte qu’entre " des frères et des

cousins " il n’y a pas obligatoirement des sensibilités communes.

Ce tour de force de la colonisation européenne dans la Caraïbe

est à peine interrogé.

Aussi, la question précédente se justifie bien souvent aux yeux

des plus sceptiques qui restent amarrés aux premières confluences

que leur offrent leurs parcours au sein des institutions officielles

de formation.

Nous sommes de ceux qui errent l’esprit balan dans l’univers à

peine sondé de la " caribéanité " en devenir.

Nous sommes de ceux qui ont gardé dans leur cœur le sentiment

d’avoir un frère inconnu dans chaque île de la Caraïbe…,

bien loin des tombeaux des soldats qui gisent sous les " Arcs de

Triomphe " enluminés de nombreux Etats d’Europe.

Nous sommes de ceux qui ne campent pas dans leur malheur.

Nous sommes de ceux qui s’enthousiasment de ce que nous

sommes : un défi à la création. Il y a donc un besoin réel qui

peut se faire jour chez tous ceux qui partagent cet optimisme

4


novateur. Ils se doivent de communiquer, de partager leurs questionnements

et tentatives de réponse. Une telle démarche peut

receler des ferrements constitutifs d’un monde aujourd’hui simplement

ressenti, potentiel et qui ne cherche qu’à éclore…La "

caribéanité " mérite–t–elle en ce sens de voir le jour ? Sans

aucun doute, puisqu’elle exprimerait ainsi la singularité qui tout

en balisant l’horizon de notre liberté, activerait notre créativité.

Le premier texte envisage de ramener le lecteur à la fin des

années 1970 lorsque de larges masses de travailleurs

Guadeloupéens s’interrogeaient sur la stratégie à mettre en place

à la suite d’un quart de siècle de Départementalisation 1 . Il nous

introduit dans la sphère qui parachève la prise de conscience individuelle

vers un engagement collectif…

Le second propose une vision globalisante de diverses formes

d’expression de la réalité sociale actuelle en Guadeloupe. Elle se

veut authentique et prospective à la fois. Nous pouvons nous

nourrir du monde comme il s’est nourri de nous…

Que tout ceci serve à multiplier les échos de nos actes fondateurs

!

1

Le 19 mars 1946, la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique et la Réunion (" les

quatre vieilles colonies françaises ") sont instituées " Départements d’Outre Mer "

"(partie intégrante du territoire national Français).

5


Illustrations : Luk...

6


1.

Historien Guadeloupéen

ou

Historien de l’Histoire de la

Guadeloupe ? 2

Raymond B. GAMA

Ce texte a été écrit en 1978 à l’attention d’un groupe de travail (constitué

de Barfleur Jean dit Baba, Hoton Claude, Sainton Jean–Pierre) afin

d’alimenter et d’investir le champ d’une réflexion sur l’histoire. Nous

poursuivions depuis environ deux ans un objectif émergé des nombreuses

préoccupations du mouvement étudiant guadeloupéen en France :

mettre l’Histoire au service de la lutte du peuple contre le colonialisme

français.

En produisant ce texte mon intention délibérée visait une mise en perspective

consciente de nos désirs de transformation de la réalité guadeloupéenne

à partir des acteurs eux–mêmes.

2

Ce texte est tiré du manuscrit et n’a subi aucune modification de fond en vue de

sa publication. Lorsque le souhait de proposer une expression nouvelle s’est fait

sentir nous le signalons en note.

7


De prime abord, une telle problématique peut paraître on koud

sab an dlo 3 . Pour ma part, je pense que non. Au contraire, c’est

on koud sab adan on chouk a kanpèch 4 . D’une façon générale, la

conception de l’Histoire, dans notre pays, se résume à quelques

principes acquis à l’École Coloniale. Pendant très longtemps nous

nous sommes contentés de cela, parce que figés dans l’admiration

des idées du maître. Quant au fond, nous refusons la voie,

difficile certes, de la création, de l’innovation, c’est-à-dire de la

découverte d’une méthodologie propre à une " historiographie

guadeloupéenne, caribéenne. "

Est-ce à dire qu’une nouvelle conception rejette, à priori, les

aspects positifs, voire universels, proposés par les travaux d’historiographes

étrangers (français ou autres) ? Absolument pas.

[Le nouveau naît d’une nouvelle vision des legs communiqués,

transmis par les générations successives. Et, qui dit nouveau

exprime la marque de la singularité née du migan 5 de la vie sous

ses multiples formes et spécifiquement interprété. Ce migan est

la saveur particulière qui s’affirme dans la relation de l’homme

autant avec le milieu naturel qu’avec les autres hommes qu’il rencontre

bien souvent au hasard avant et/ou pendant que ce hasard

se métamorphose en système. Il serait donc péremptoire de vouloir

rejetter quoi que ce soit…Toutefois, on peut affirmer ce que

l’on est devenu…voire en train d’être à partir de la période coloniale.]

6

Aussi, cette voie développe notre sens critique, donc moins d’imitations,

de singeries d’une part, elle nous oblige à considérer la

théorie comme une arme et non comme un moyen de plaisir personnel,

donc moins de simulacres d’autre part.

Le choix est donc clair. Si nous voulons que cela ne reste pas de

3

Trad. fr. : " Une action inutile, sans fondement. "

4

Trad. fr. : " Une action utile mais extrêmement difficile à conduire. "

5

Trad. : " mélange. " - 6 Ajout.

8


la phraséologie pure, il nous faut sortir carrément des chemins

déjà parcourus. Aussi, être prêt à résoudre la question posée,

c’est avant toute chose accepter d’agir, de faire en " contre-école

". En somme, prendre la voie d’une Ecole Guadeloupéenne

d’Histoire.

Nous développerons trois aspects de la présente ébauche de

réflexion :

- Le poids de l’École Coloniale ;

- Les éléments de résistance ;

- Pour une " nouvelle école. "

1 - L’HISTOIRE, c’est la FRANCE !

Quand il n’y a pas de LOUIS XIV (ou autres), de NAPOLÉON etc,

il n’y a pas d’histoire. Telle est la sainte vérité pour l’opinion commune.

[Aujourd’hui les choses semblent avoir changé mais,] le

fait est que des générations entières [de jeunes] ont été formées

à cette École en Guadeloupe. Même lorsque ces hommes se trouvent

face à des travaux signés par un chercheur d’origine guadeloupéenne,

l’image première, la re-présentation des schèmes de

valeurs qui empreignent l’œuvre n’échappe pas au phénomène

d’identification que nous appèlerons konlézot 6 . Nous définirons

donc le konlézot, comme étant un état propre à l’historien d’origine

guadeloupéenne qui ne produit que dans le champ de valeurs

exclusivement françaises, occidentales 7 .

L’Histoire est une " science du passé ", tel est un autre aspect

particulier diffusé par l’Ecole Coloniale. Cela se traduit chez le

chercheur Guadeloupéen par une limitation aux seuls documents

d’archives et de leur production. La conservation officielle des

documents a été et reste le privilège des maîtres et de leurs suppôts

gouvernementaux 8 . Les archives dites " départementales "

ou " communales " restent la propriété de l’Etat colonialiste. En

réalité, cette source, lors même que nous la considérerions

comme importante, ne doit pas nous obstruer la mémoire. Un

homme de 85 à 90 ans aujourd’hui, [nous sommes en 1978] est

un petit - fils d’esclaves ; il ne s’agit pourtant que de notre

grand-père. L’esclavage, en l’occurrence, n’est donc pas si loin

6

Trad. fr. : " Imiter, singer… les autres ."

7

Dans le texte original il y avait l’expression : " extra - territoriales. "

8

Lors du Congrès International des Archives (1988) tenu à Paris, les archives ne

furent plus considérées en France comme étant les seuls documents écrits, mais

également des enregistrements (audio et audio - visuels) réalisés selon un certain

nombre de règles (voir l’influence de disciplines utilisant à une grande échelle l’enquête

de terrain, ainsi que la télévision). Les archivistes et historiens d’origine afri-

9


que cela. L’Histoire, en fait, n’est pas une science du passé ! Nous

tâcherons de le prouver en produisant sur le présent et en transformant

la vue étrangère que nous gardons sur les décennies et

siècles écoulés.

En définitive, ce que nous sommes décidés à montrer, c’est que

l’École Coloniale d’Histoire ne peut être, et ne sera jamais l’Ecole

Guadeloupéenne d’Histoire. Nous, Historiens Guadeloupéens, ne

deviendrons réellement Historiens tout en restant Guadeloupéens,

que si avec acharnement, nous rompons le fil qui nous conduit

sur le chemin de célèbres imitateurs, mais jamais de bons exemples

de créateurs.

2 - Résistance en Guadeloupe

Le sort promis à la mémoire populaire par le colonialisme français

a été contrecarré par la résistance de la " classe paysanne " 9

. Née de l’esclavage, celle - ci développe une vie nouvelle à la

campagne. La famille paysanne guadeloupéenne prend véritablement

son essor, se fortifie, s’organise non plus autour de " l’habitation

- sucrerie ", mais des " fonds ", des " hauts ", de la tè a

jaden 10 ... etc. Économiquement, la principale ressource reste la

canne à sucre 11 qui lie le paysan à " l’usine centrale ", mais, les

nouvelles dispositions au plan foncier créent le sentiment de la

propriété 12 . Même sous le poids écrasant de la rente foncière, le

paysan guadeloupéen s’enracine volontiers à la terre, apprend à

l’aimer et à se battre pour la garder. Psychologiquement, c’est un

homme nouveau en comparaison de l’esclave qui avait mille et

une raisons de haïr cette terre de souffrances. L’objectif du colonialisme

qui est de libérer civilement la force de travail en abolissant

l’esclavage, pour mieux l’exploiter, crée les conditions objectives

de la transformation des campagnes guadeloupéennes (terres,

habitats, hommes...). Le paysan guadeloupéen… naît de cette

évolution en ayant incrusté jusqu’au fond de son être l’héritage

de l’esclavage. Tout ce qui va être oublié ou conservé, changé ou

créé y trouve désormais sa racine. C’est aujourd’hui le plus solide

édifice de la mémoire populaire.

-caine ont joué un rôle éminent dans cette prise de conscience au sein des associations

de conservateurs à l’échelle internationale. Cf. A.N(Paris), Le témoignage

oral aux Archives , 1990, 100 pages.

9

Ces guillemets ne figuraient pas sur le manuscrit. Nous les avons ajoutés pour

marquer une certaine évolution de notre part sur la question " paysanne ", en

tous les cas depuis la réalisation de notre thèse d’histoire en 1997 qui nous a

permis de développer l’analyse de cette question.

10

Trad. fr. : " terre propice aux jardins. " - 11 Et aussi la banane, quoique cette

dernière soit singulièrement menacée. 12 Voir les multiples réformes foncières de

1958 à 1981.

10


Les descendants proches d’esclaves qui sont obligés de vendre

leur force de travail contre un salaire, et devant subsister essentiellement

de cet achat réalisé par les capitalistes - colonialistes,

verront leur nombre augmenter au fur et à mesure de la raréfaction

des terres disponibles et du développement des " usines -

centrales. " L’introduction d’un surplus de main-d’œuvre (d’origine

africaine et indienne) grossit encore leur nombre et catalyse les

premiers éléments qui font naître une conscience de classe prolétarienne.

Les luttes sociales du début des années 1900 sont l’entrée

en quelque sorte de la classe ouvrière de Guadeloupe dans

l’Histoire. Ses intérêts fondamentaux opposés à ceux des capitalistes

- colonialistes contribueront pour une large part à maintenir

les liens naturels entre le paysan et l’ouvrier Guadeloupéens 13 .

Telles sont donc les deux classes 14 qui constituent les piliers pour

élaborer une historiographie de rupture d’avec le konlézot.

3 - Une École Nouvelle

De tout ce qui précède, nous tirons que l’objectif fondamental

d’une historiographie guadeloupéenne est de conduire l’esprit des

Guadeloupéens dans la voie d’une renaissance 15 . L’Historien

Guadeloupéen devra commencer par le développement du " penser

" et de " l’agir " guadeloupéens 16 . Pour être capable d’une telle

tâche, il est essentiel qu’il soit lié aux masses, paysanne et

ouvrière. C’est là le premier principe.

L’activité d’Historien Guadeloupéen se doit d’être scientifique.

Pour cela, nous devons cultiver trois qualités : l’observation, la

mesure et l’analyse. Ces trois éléments n’étant pas d’égale valeur,

en particulier du fait de l’impossibilité de la multiplication d’un

même élément soumis à l’observation ; il en est de même pour la

mesure avec comme avantage pour cette dernière que notre perception

entre en jeu à posteriori. Enfin, l’analyse, qui fait appel à

notre sens critique en même temps qu’à un choix délibéré au

niveau idéologique et politique. Tel est, le second principe.

L’Historien Guadeloupéen n’est pas à priori, un écrivain. Il s’agit

de trouver les nouvelles formes qui seyent à une société ou l’oralité

est devenue un élément de base de la relation entre les hommes.

C’est là, le troisième principe.

13

La question se pose aujourd’hui de savoir quelles sont les classes et catégories

sociales dépositaires de ce patrimoine. La paysannerie telle que définie aujourd’-

hui semble (dans ses couches supérieures) totalement assujéttie aux besoins du

marché européen (sucre, banane, melon…) et compte principalement sur les retomées

des subventions pour se constituer une trésorerie. - 14 Une nouvelle ananlyse

s’impose aujourd’hui compte tenu des évolutions qui affectent les activités agricoles

ainsi que les services. 15 Nous disions dans le manuscrit " révolutionnarisation.

" - 16 Cette idée fut émise d’abord par le musicien G. Lockel. -

11


La concrétisation de notre conception demande que nous agissions

dans le même temps vers la vulgarisation d’une part, vers

la recherche fondamentale d’autre part. Tel est notre quatrième

principe.

Notre activité doit faire appel aux multiples possibilités que nous

offrent d’autres activités scientifiques que l’Histoire. C’est là, le

cinquième principe.

Enfin, nous ne serons pas à même d’approcher la concrétisation

la plus élémentaire de ces différents principes si nous ne nous

consacrons pas d’abord à sentir, à percevoir (souffle et écoute,

j’entends !) de l’unique expression créatrice que la matière réalise

en chacun de nous. La forme la plus perceptible sur notre parcours

est de nature sonore. Nous sommes " enfants de la veillée

", et de la " veillée ", nés dans le berceau tissé de mélodies

savoureuses d’un mèt-chantè (Gaston Germain-Calixte)*.

La " Contre-École " que nous créons ainsi devra établir son exercice

en dehors des Institutions de Recherches Coloniales ; éviter

la publicité, jeter ses bases à la campagne, regrouper des patriotes

Guadeloupéens, et se mettre au service des paysans et

ouvriers Guadeloupéens.

D’accord pour une École Guadeloupéenne d’Histoire !!!

Alors, c’est que nous voulons trouver maintenant ensemble la

méthodologie propre à une historiographie guadeloupéenne 17 .

17

Ce texte qui date du mois d’août 1978 n’avait jamais été publié jusqu’à ce jour.

* Tous les enfants de la Caraïbe n’ont pas un parcours identique. C’est une évidence.

Il s’agit donc de mettre en lumière un parcours initiatique, de partager...

12


2.

" Un point de vue

sur la situation sociale actuelle

en Guadeloupe "

Texte d’une intervention de Raymond Gama

(Texte revu en mars 2002)

FORUM

Collège du Moule (O.M.A.C.S), 25 juin 1999

L’ année 1999 était particulièrement secouée par les mouvements sociaux. Alors

que le monde était en proie à de vives convulsions, en Guadeloupe les gens s’interrogeaient

sur la pertinence des luttes sociales conduites par l’U.G.T.G.

N’était-ce pas le moment de tenter d’écouter, de déchiffrer un " monde " qui

n’hésitait pas à se dire en " crise. "

13


Un échange de sentiments partagés au sujet de la situation

actuelle en Guadeloupe entre des collègues et, hop, l’idée naît.

Demandons un avis argumenté à l’un d’entre nous ! Réunissonsnous

!

Bien souvent les bonnes choses commencent ainsi. Nous voilà

réunis, à l’O.M.A.C.S, pour le premier de nos FORUMS.

Être quatre à avoir eu cette idée et une bonne vingtaine à la

partager ! C’est déjà une réussite.

Introduction

1 ère partie - Du " détour philosophique " à la découverte du

nous - mêmes.

I - François Jullien et le concept de " crise "

a) La Grèce antique

b) La Chine : un autre monde !

II - L’esprit " Savann " : un point de vue...

2 ème partie - La situation sociale actuelle en Guadeloupe

I - La situation actuelle est préoccupante ! Qu’est - ce à dire ?

II - Vers un changement de perspective.

a) Stratégie et tactique pour une île de la Caraïbe

b) Comprendre les derniers actes constitutifs de la situation

actuelle

c) En guise de prospective

Conclusion

14


Introduction

" Crise économique ", " crise sociale ", " crise politique ", " crise

des valeurs ", bref, la notion infeste nos propos les plus divers.

L’impression première est qu’il s’agirait d’une sorte, d’excès de…,

de manque de…, de tourbillon impromptu, qui de temps en temps

se manifeste à la manière des séismes, des éruptions volcaniques.

Ainsi, le phénomène en question est rendu à ce point coutumier

par le langage qu’il semble échapper à notre entendement.

C’est sans doute d’abord ce fait qu’il faut interroger. Pour ce faire

je vous propose deux détours : l’un par la Grèce, l’autre par la

Chine. Aussi, dans un premier temps je vous ferai part des idées

du philosophe sinologue français, François Jullien, concernant une

double approche conceptuelle de la " crise " : le point de vue

occidental et le point de vue chinois 17 .

Je vous rassure, nous reviendrons dans l’espace caraîbéen et

tout particulièrement en Guadeloupe. De là, examinant notre

situation sociale actuelle comme vous je m’interroge. Mais, si je

vous propose le détour du philosophe c’est parce que depuis une

vingtaine d’années j’analyse nos idées, nos actes et je m’engage

dans la résolution de nos difficultés en fonction d’une démarche

singulière : la quête d’une nouvelle vision des hommes et des

phénomènes. De ce point de vue, qui pourrait être lui - même

mis en question, ici je vous entretiendrai de l’aspect principal de

la situation actuelle en Guadeloupe, me semble-t-il de l’ordre

d’une secousse tout à la fois politique, économique, sociale et culturelle.

1 ère partie – Du détour philosophique à la découverte du

nous–mêmes.

I – François Jullien et le concept de " crise. "

François Jullien est un ancien élève de l’École Normale

Supérieure, agrégé de philosophie. Dès la fin de ses études, il

choisit de séjourner en Chine. Il y reste entre 1975 et 1977.

Comme il le dit lui-même, " j’ai souhaité trouver un point de recul

pour pouvoir ré-interroger la philosophie 18 . " De cet angle de vue

17

En 1999, je n’avais pas encore visité l’Afrique (Bénin).

18

Voir " Le détour d’un Grec par la Chine ", Entretien recueilli par Richard

Piorunski et Bill Gater ( Tôkyô, le 25.01.1998).

Ouvrage important : Le détour et l’accès ; stratégies du sens en Chine et en Grèce

, Ed. Grasset, 1994, Paris.

15


je ne pouvais que lui accorder la plus grande attention. Ajoutons

qu’il a " guidé les négociations de grands groupes occidentaux

avec des partenaires asiatiques. "

Que dit François Jullien à propos de la " crise " ?

a) La Grèce antique

La conception occidentale de l’idée de crise provient " de la distinction

effectuée par les Grecs entre deux sortes de maladies :

les maladies chroniques et les maladies aiguës ". Cette prime

catégorisation ouvre la voie à une double vision de la durée : " le

temps périodique et le temps convulsif. " Ainsi, les deux frères

Chronos et Kairos symbolisent dans la mythologie grecque cette

dualité.

La pensée grecque, selon François Jullien, qui reprend à son

compte des conclusions de Jacques Brunschwig, en est venue à

désigner par crise " ce qui se juge, ce qui se tranche ". Pour le

philosophe, ce qui se juge, c’est ce qui se voit, ce qui signifie que

" la crise est événement et correspond à ce moment saillant où

se détermine la réalité ". Il en conclut que,

" la crise est la construction paroxysmique de la réalité, une

monopolisation éminemment visible de la tendance, comme si,

soudain, tout allait basculer d’un seul coup... "

François Jullien termine alors son propos par une mise en évidence

de la tragédie grecque. Ce mode littéraire use du concept

de crise au point d’en faire la clef de son langage. La crise éclate

au quatrième acte avant que l’on ne procède à la mise à mort au

cinquième acte.

Sur la base de ces enseignements nous observons que le monde

occidental, s’inspirant de la conception grecque, use abondamment

de la notion de crise à partir notamment du XIX ème siècle.

Mais, la fortune de la notion est remarquable au XX ème siècle. Elle

investit non seulement le champ de l’économie politique, de l’histoire,

mais également toute la sphère du culturel. On parle aisément

aujourd’hui de crise des valeurs… etc.

Nous convenons donc qu’il y a bien une source repérable du

concept au–delà de la promotion spécifique de la notion. La source

est grecque. Nous pensons la crise à la manière des Grecs de

16


l’Antiquité. Notre vision de la réalité est tragique et cela, nous

l’héritons des Grecs.

b) La Chine : un autre monde

Revenons à François Jullien, sinologue de réputation mondiale.

Pendant deux ans, il se consacre à l’étude comparée de la pensée

grecque et de la pensée chinoise. Durant son séjour en Chine il

étudie autant les textes chinois classiques que ceux de l’époque

contemporaine. Que dire de la notion de crise dans la pensée chinoise

? Telle est la question qu’il éclaire de son expérience et de

ses recherches au cours d’un entretien à l’Institut du Management

de EDF – GDF à Lyon en 1997. Je vous livre tel quel un passage

de sa réponse à la dite question :

" La culture chinoise tend à dissoudre la notion de crise. Elle ne

distingue pas deux formes de temps, périodique et convulsif. Le

seul temps qu’elle reconnaît est le temps régulé : au – delà des à

– coups, des soubresauts de la crise, il faut parvenir à distinguer

la régulation qui est en oeuvre. Cela signifie que le temps n’est

pas régulier : il ne cesse d’innover tout en restant cohérent. La

situation ne cesse d’évoluer tout en conservant une certaine

logique. "

Sans vouloir vous imposer une trop longue citation je me dois de

vous communiquer encore quelques lignes du sino – philosophe

François Jullien, qui dit :

" La pensée chinoise n’a donc pas de vision paroxystique, tragique,

de la réalité. Elle estime au contraire que toute situation se

définit par la polarité. Il n’y a jamais une tendance monopolisante

: au moment–même où une tendance semble culminer, une autre

s’exerce de manière souterraine et contribue elle aussi à trancher

la situation. ".

Les Chinois ne sont pas Grecs, telle est l’évidence qui induit que,

n’étant pas moins hommes, ils ont élaboré une autre conception

de la durée, du moins une autre vision de la crise.

II - Lespwi Savann : un point de vue…

17


La clarté de ces propos m’évite des commentaires mais m’autorise

un recentrage sur la quête personnelle à laquelle j’ai déjà fait

allusion. En effet, en août 1984 avec trois jeunes compatriotes

(Barfleur, Hoton et Sainton) je signe un " Manifeste pour une histoire

guadeloupéenne ", le manifeste de " l’esprit Savann " 20 . En

quoi ce texte nous ramène à mon propos ? Eh bien, je crois qu’il

est le lieu d’une affirmation résolue de changer l’angle de vision

des intellectuels Guadeloupéens. Dans le champ historique, il est

vécu comme une audace, une hardiesse même sinon comme une

révolte. En tous les cas, quinze années plus tard, je trouve de

profondes raisons pour associer ce texte aux propos qui vous sont

destinés ce soir. Je cite,

" L’histoire de notre pays n’est pas celle des greffes imposées

par le colonialisme. "

C’est l’affirmation d’un état d’esprit de redécouverte, de réexamen,

de ré – interrogation des processus ayant cours dans notre

espace, l’espace caraïbéen. Ce réexamen est alors posé délibérément

à partir d’un présupposé idéologique, " le point de vue guadeloupéen,

caribéen " posé comme un foyer à partir duquel nous

pourrions comprendre notre situation dans le monde. Enfin, " tout

au contraire de ce que veut montrer l’historiographie coloniale,

c’est en lui (l’homme Guadeloupéen, Caribéen) que s’opère l’incroyable

synthèse qui donne naissance à la Guadeloupe contemporaine

", c’est – à – dire que nous, les petits – fils d’esclaves,

sommes porteurs d’un nouvel humanisme qu’il sied à la conscience

de développer pour le bien – être de l’ensemble de la communauté

guadeloupéenne. C’est ce dernier aspect qui nous ouvre les

voies d’une reconstruction assumée, d’un nouvel horizon et crée

les conditions nécessaires à toutes les revisitations. Sur le plan

méthodologique je me propose de répondre à vos questions éventuelles

lors de nos échanges.

Vous comprendrez, j’espère, la nécessité de cet état des lieux

avant que je vous entretienne de la situation actuelle en

Guadeloupe.

Au fond, pourquoi vous ai – je proposé cet éclatement de la per-

20 Aujourd’hui ces anciens collaborateurs ont pris le parti d’œuvrer tantôt en

solo, tantôt en groupe. Je pense pouvoir dire que les bases qui nous liaient se

sont trouvées ébranlées en 1990, au moment de la crise qui secoua le mouvement

patriotique guadeloupéen (cf. le III ème Congrès de l’U.P.L.G, suivi de peu par

le sabordage du P.T.G – Parti des travailleurs de Guadeloupe).

18


spective ?

Tout d’abord, c’est afin de vous inviter à une inflexion de vos

évidences, de vos certitudes. Ensuite, c’est afin d’asseoir dans

notre ronde d’échanges la relativité des phénomènes, car l’habitude

nous porte à les considérer comme des vérités absolues,

comme intangibles. Enfin, c’est pour vous éclairer sur ma propre

démarche.

Le détour philosophique avec François Jullien nous mène à notre

point de départ, à savoir, la situation sociale actuelle en

Guadeloupe.

2 ème partie – La situation sociale actuelle en Guadeloupe.

I – La situation actuelle est préoccupante !

Qu’est – ce à dire ?

Le président de l’Association Conduite et Sécurité déclare le 24

juin 1999 21 ,

" La situation sociale dans le département est alarmante… pas

de qualité dans le service, pas de service minimum en cas de

grève, mais augmentation, augmentation. "

Le même jour, le journal France–Antilles publie un article intitulé,

" Les Guadeloupéens en ont assez ! " Sous ce titre des habitants

de la résidence Mérosier Narbal, à Baie – Mahault, déclarent entre

autre chose :

" L’État est - il impuissant ? Un État impuissant n’est pas un

État. L’État doit disposer de tous les moyens pour être la puissance

au – dessus de toutes les autres. "

En somme, chacun de nous y va de sa réponse prédéterminée

par une vision du monde bouillonnante, éclatée, déstabilisante.

On garde le sentiment que chaque Guadeloupéen a sa propre lecture,

singulière de la situation. Convenons que cela peut étonner

mais, au fond, il s’agit surtout de comprendre pourquoi ?

Le tableau qui nous est proposé présente une profonde misère

humaine dans un cadre qui explose d’une opulente richesse. La

misère nous renvoie à la dimension existentielle de profond déséquilibre

et le cadre à un environnement institutionnel, écono-

21

France - Antilles, jeudi 24 juin 1999.

19


mique, social et culturel rigide, univoque. La résultante de ce

double phénomène est édifiant : la Guadeloupe est classée parmi

les pays les plus riches du monde (58 ème en 1994 à raison de

8.500 $ par tête d’habitants) ; aux derniers jeux olympiques, elle

offre deux femmes pour quatre médailles d’or…et, n’oublions pas

qu’ elle est le premier importateur de champagne dans le monde,

le premier département français sur les tablettes du SIDA, les

accidents d’automobiles et j’en passe. Voilà un raccourci de la

situation actuelle.

Elle révèle à mon sens un non – développement. Certains disent,

mal – développement. Toutefois, je persiste dans le sens du développement

contrarié, empêché. Autrement dit, je ne comprends le

développement que si chacun de nous a la possibilité de réaliser

les capacités incommensurables d’amour que chaque homme

porte dans son coeur.

Paradoxalement, depuis 1635, la Guadeloupe est la scène d’une

tragédie. Je pèse ce dernier mot, car elle prend du sens de par

l’éducation et la conformation des esprits qu’à prodigué le coeur

nourricier dans une telle vision du monde. Autrement dit, le tragique,

en ce qu’il représente ici une certaine vision du monde,

celle de la majorité des Guadeloupéens, me semble au centre du

débat sur la situation actuelle. Dans une telle perspective nous

pouvons considérer que nous sommes actuellement à l’heure du

jugement, l’acte où dans la tragédie grecque le noeud était tranché.

Il ne manque que le dernier et cinquième acte, celui de la

mise à mort, à la suite du jugement. De là nous vient le sentiment

que la situation est préoccupante.

Nous envisageons la crise actuelle selon une conception occidentale,

d’origine grecque. Essayons donc de changer de perspective.

II – Vers un changement de la perspective.

a) Stratégie et tactique pour une île de la Caraïbe.

Précisément, quels sont en quelques mots les enseignements

que nous propose une réflexion sur l’émergence de la société

guadeloupéenne actuelle ?

Premièrement, faisons un peu de chronologie socio – historique.

La société coloniale Guadeloupéenne, si l’on s’en tient à la notion

de travail, a connu deux périodes : l’esclavage, soit 205 années

20


et le salariat, soit 151 années. La société guadeloupéenne actuelle

se caractérise en ce qu’elle est composée en grande majorité

par des petits - fils d’esclaves. Autrement dit, le Guadeloupéen en

général a été initié au travail par dressage sous le fouet et dans

la servilité bien plus longtemps qu’il n’use du contrat social "

librement " consenti. Cette " éducation ", l’expérience accumulée

en somme, n’est pas ipso facto dissoute sous l’effet d’une innovation

institutionnelle de l’éducateur.

Deuxièmement, les stratégies élaborées par la majorité de la

masse servile (anciens esclaves et hommes de couleur libres ) et

puis surtout par les " nouveaux libres " en 1848, semblent

confrontées, d’une manière douloureuse chez leurs héritiers, à

une compression de leur espace (A. Césaire a pu parler de

" génocide par substitution ") et surtout à une dilution de leur

être par l’assistanat systématique. Enfin, la réussite, même relative

par un investissement sur le terrain de la connaissance

livresque n’offre plus aucune garantie d’insertion sociale.

Troisièmement, l’axe fondateur de cette " mise en valeur " est le

profit commercial. Et, l’agent créateur de ce processus singulier

c’est le capitalisme français. Mais, il serait complètement absurde

d’envisager cette excrétion ex – nihilo, comme s’il s’agissait d’un

acte démoniaque. Cela nous éloignerait de notre point de vue.

L’action en question, même lorsqu’ on la considère sous ses

aspects spécifiques est significative dans le contexte mondial élaboré

par les Européens. C’est sous l’angle commercial que je me

suis contenté d’examiner les enjeux. Le terrain de ces enjeux

n’est évidemment pas la Guadeloupe mais le monde.

Le tableau que je vous livre en annexe (cf. Chiffres approximatifs

du commerce mondial tirés de The Dictionary of Statistics in " Les

Origines de l’économie moderne " 22 ) permet une approche quantitative

de la situation entre 1780 et 1820. Aujourd’hui, le leader

n’est plus l’Europe, ni même les Etats–Unis mais par délégation,

pourrait–on dire, le Japon. L’Europe occidentale, forte de sa victoire

politique sur le marxisme avec le concours de l’ensemble du

système capitaliste mondial, cherche à parachever une nouvelle

stratégie de domination sur le monde. Ses rapports avec les

Etats–Unis, en particulier, connaîtront dans les temps à venir de

sérieuses secousses sur le terrain commercial et leurs conséquences

sont difficiles à imaginer aujourd’hui. En tous cas, des deux

côtés de l’Atlantique, la tactique consiste en un " ce qui est pris

est pris ! ", dans la Caraïbe du moins, et nous voilà dans un

22

W.W. Rostow, Les origines de l’économie moderne, Ed. Hachette, Paris, 1976, p.

198-200.

21


monstrueux enfermement. Paradoxalement, ce fait peut nous

aider à condition que nous nous investissions totalement dans la

construction d’une nouvelle condition humaine.

b) Comprendre les derniers actes constitutifs de la situation

actuelle.

Revenons au plan strict des rapports capitalistes entre d’une

part, un foyer central de production de type métropolitain, et

d’autre part, le marché guadeloupéen, limité comme toutes les

iles à des contours finis. Il aura fallu deux interventions étatiques

pour recentrer le marché guadeloupéen par rapport aux besoins

des unités productives métropolitaines.

- La première date du début des années 1960 avec la création

du BUMIDOM. La partie visible et donc annoncée par l’Etat consiste

alors à dégraisser au plan démographique, c’est – à – dire à

pomper le plus possible de forces vives en Guadeloupe et dans

les DOM en général. Ce procès convenait évidemment à l’offre de

travail sur la marché métropolitain. En réalité, cette démarche

raréfiait la demande sur le marché intérieur, guadeloupéen.

L’extrapolation envisagée, regonfler à terme ce marché intérieur,

ne tardera pas à se manifester.

- C’est là qu’intervient la seconde action significative de l’Etat

par l’infusion d’allocations de toute nature : des femme seules

dans les années 1970 à l’égalité sociale globale des années 1990.

Les nouveaux consommateurs des années 70 à 80 sont les mères

et les pères des plus jeunes travailleurs actuels. Leurs aspirations

immédiates communes proviennent de l’aliénation du consommateur

guadeloupéen. Le marché guadeloupéen est soumis corps et

âme (goûts, espérances…) aux unités productives européennes.

Telles sont les transformations les plus sensibles de cette politique

de domination sans partage. La disparition des grands secteurs

productifs en Guadeloupe en est la conséquence

Dans les mouvements revendicatifs actuels, la prime conscience

de l’antagonisme des intérêts entre l’ancienne colonie de plantation

et sa métropole, déborde vers des oppositions entre les nantis

et les laisser pour compte par le système mis en place.

Autrement dit, la réussite économique du système se heurte à la

structure institutionnelle (départementalisation et conséquences

assimilationnistes) instaurée dans l’euphorie de la reconstruction

après la seconde guerre mondiale. Les forces vives du pays sont

22


prisonnières autant que le sont l’Etat et les capitalistes de la

logique du système.

c) En terme de prospective.

Si nous considérons que la tendance au malaise vient de ce que

la transformation des goûts, des coutumes, des représentations

hérités pour une bonne part de l’esclavage ne règle pas de

manière satisfaisante (épanouissement humain) les aspirations les

plus intimes de la jeunesse actuelle, nous conviendrons que les

secousses ne sont qu’à leur début.

Une vision tragique de la situation ne nous aidera pas à trouver

le lieu et la part qui doivent être les nôtres dans une telle perspective.

Il nous faudrait y voir les soubresauts d’un nouvel

humanisme, englué dans des certitudes déclinantes. Cet espace

du " nouveau monde " souhaité par les Européens au XV ème siècle

ne doit pas être perçu telle la scène de l’acte ultime d’une tragédie

à la manière des Grecs.

Toute la question est de savoir si la société actuelle guadeloupéenne

pourra longtemps faire l’économie d’une reconstruction

culturelle longue qui ébranlerait toutes les structures post – esclavagistes

?

Précisément, cette alternative se heurte au fait d’une part, que

les facteurs endogènes et exogènes sont inextricablement mêlés,

brouillant la vision de ce qui est créateur et de ce qui ne l’est pas

; d’autre part, que la puissance dominatrice, la France et pour

ainsi dire l’Europe, a adopté une stratégie qui conduit au rattrapage

de niveau économique, étranglant du même coup la citoyenneté

entre la misère et l’opulence.

Conclusion

La situation actuelle en Guadeloupe est-elle tragique ou ouvre-telle

une porte d’espérance ? Tout dépend de la vision que l’on a

des choses pour dire simplement.

De ma part, les luttes sociales actuelles appellent trois idées

fondamentales :

- une nouvelle idée de nous – mêmes,

- une nouvelle idée de la Guadeloupe,

- un nouveau dessein pour l’avenir.

Nous sommes invités à construire un nouvel humanisme.

23


3.

Entrevue

avec Raymond B. Gama

Entretien réalisé à Port - Louis, le 1 er août 2003

et version française par Lespwisavann.

24


Lespwisavann : Monsieur Gama, qui êtes-vous ?

Raymond B. Gama : Qui suis – je ? Et bien, je suis l’enfant de

madame Célina Cirany - qui elle – même est née et a grandi à

Port - Louis - et de monsieur René Luc Gama, qui était de Vieux -

Bourg, Morne - à - l’Eau… La femme, ma mère, est une jeune fille

qui quittera l’école vers l’âge de 10 ans et qui ensuite sera femme

de ménage. Plus tard, elle se retrouvera dans les champs de

canne des blancs de Beauport. Mon père, lui, était un mécanicien

qui travaillait dans les garages de Beauport ; il est mort alors que

j’avais à peine 7 ans. Ainsi, ces personnes m’ont donné le jour le

mercredi 24 janvier 1946 près de la croix de Rambouillet vers 18

h 30.

Mais en fait, en plus de ce que mes parents m’ont donné, tout

ce quartier de Rambouillet a participé à ce que je suis.

Il faut dire que - j’ai grandi auprès de cette mer, dans ce quartier

appelé Ranbouyèt comme je l’ai dit – j’ai eu … pas la chance…

mais tout simplement, le sort a fait que je sois né près d’un

chanteur de veillées ; en fait, près de quelqu’un qui est devenu

on gran chantè véyé, car s’il est vrai qu’il était déjà un chanteur

de veillées… quand j’ai grandi, j’ai eu la chance qu’il soit en pleine

maturité : c’est misyé Chaben (Gaston Germain Calixte)

…Si je signale ce moment c’est parce que je l’ai repéré, dans ma

vie, comme étant un élément externe fort, qui, en dehors de moi

et en dehors de ce que mes parents m’ont donné, a fait ce que je

suis devenu.

Il y a un troisième élément qui m’a fait, c’est toute la savane de

Lalanne, savann Lalann qui donne le dos à la mer du Grand Cul

de Sac marin de Port - Louis. Savane de manguiers que l’on

appelle Lalanne qui m’a donné toute la dimension de la vie sécrétée

par la Terre et que j’a pu me représenter autant dans mon

imaginaire que dans ma chaire elle - même…

Alors ce sont ces trois éléments qui m’ont fait ; je crois que c’est

ça qui a fait ce que je suis aujourd’hui…

LS : Vous avez un passé d’engagement politique. Pourquoi n’êtes

- vous pas plus présent dans le concert médiatique (aujourd’hui)

des débats sur l’évolution statutaire de la Guadeloupe (voire des

D.O.M) ?

R.B.G : Non… en fait, ce qu’il y a c’est qu’en tant que militant,

militant patriote révolutionnaire… c’est vrai que très jeune je me

suis retrouvé engagé dans des mouvements ; en particulier vers

25


1964 jusque vers 1966, dans le C.P.N.J.G (Comité populaire et

national de la jeunesse guadeloupéenne). Celui - ci était, en fait,

une émanation du G.O.N.G qu’un certain nombre d’étudiants avait

constitué à Paris ; et tout particulièrement, le docteur Jean

Barfleur, qui était rentré au pays après quelques années en

France, était chargé de constituer ce Comité. Ce mouvement se

dissoud dans le groupe " La Vérité " qui provient d’un " déchirement

" survenu au sein du P.C en décembre 1966, après qu’un

certain nombre de responsables aient diffusé un tract qui s’intitulait

alors " Nous prenons position… " Ce tract signifiait que des

militants comme Monrose, Zamia, Plumasseau, etc, prennaient

donc position face à leur parti (le parti communiste) parce que

celui - ci n’avait pas suivi, à Cuba lors de la " Tricontinentale ", le

mot d’ordre du dernier congrès du P.C.G qui préconisait " l’autonomie

". Car, Guy Daninthe qui représentait le parti communiste à

Cuba, avait signé une résolution pour l’indépendance de la

Guadeloupe. Alors ces personnes prennent position dans un tract

qui s’intitule donc " Nous prenons position, la vérité seule est

révolutionnaire. " En fin de compte, avec celles du C.P.N.J.G,

notamment autour de Barfleur, Monrose, elles créent le groupe

" La Vérité. "

Donc, nous jeunes qui étions au C.P.N.J.G principalement dirigé

par Jean Barfleur, nous nous retrouvons versé dans ce groupe

politique. On peut dire que mai 67 fait voler en éclats tout ces

désidératas parce qu’on emprisonnera les gens à tout va. C’est -

à - dire qu’en prétextant que tous ces gens faisaient partie du

G.O.N.G, les services judiciaires emprisonnent de nombreuses

personnes sauf celles qui avaient un sentiment plutôt proche du

parti communiste qui s’était positionné résolument contre les

mouvements de mai 67. Donc, après les journées des 26 et 27

mai 1967, en dehors de ceux qui auront été arrêtés prétenduement

en flagrant - délit dans les rues puis enfermés à Pointe - à -

Pitre et à Basse - Terre, la plupart de ceux qui étaient membres

du G.O.N.G ou affiliés, du Progrès Social, de la Vérité ou du

C.P.N.J.G, pour une grande partie, seront aussi emprisonnés,

notamment en France…

Je suis donc un militant qui a été produit pendant tous ces

mouvements.

Alors, vous demandiez pourquoi, aujourd’hui, je ne me fais pas

entendre ou je ne joue aucun rôle…

C’est tout simplement, que dans les années 80 et 90, quand je

me suis retrouvé dans des organisations de type nationaliste, du

genre l’U.P.L.G ou de type patriotique révolutionnaire…, et bien

cela m’a amené à mieux comprendre – en tout cas à partir de

26


1990, et donc précisément à partir du 3 ème congrès de l’U.P.L.G –

comment il fallait agir.

Alors, cela signifie quoi ? Cela signifie qu’à l’occasion de ce 3 ème

congrès – il s’est produit un certain nombre d’évènements que je

considère comme une prise illicite de pouvoir - presque un coup

d’état qui a eu lieu dans cette organisation - dans le sens où il

s’agissait d’imposer une ligne de conduite notamment vis à vis de

la question électorale sans provoquer un véritable débat à l’intérieur

voire en dehors de l’ensemble de l’organisation et donc au

sein du peuple… Personnellement, j’étais pour l’alternative d’un

débat démocratique et non pour ce coup de force, cette prise de

pouvoir un peu à la manière dictatoriale comme cela c’est fait lors

du 3 ème congrès, coup de force conduite par une certaine tendance

de l’organisation U.P.L.G qui s’est appuuyé sur le rapport du

Comité de Port - Louis. Et depuis cela, j’avais pris la résolution…

de rester fidèle à mon point de vue et à ma façon de concevoir

les choses : d’abord, ce n’est qu’à partir des actions de masse

que l’on peut déclencher du mouvement dans le peuple et du

sentiment que l’action entamée peut déployer au niveau de l’ensemble

du peuple que l’on peut faire avancer, justement, la

cause politique ; c’est-à-dire faire prendre conscience de la réalité

coloniale et impérialiste que nous vivons au moyen de l’action de

masse. Donc, cela demande dans un pays comme le nôtre, où

justement l’aliénation et l’assimilation sont extrêmement développées,

énormément, disons, de sérénité. Il ne faut pas non plus

être trop pressé, même si le déploiement rapide de la déchéance

des esprits peut effrayer. Il faut garder son calme et travailler

patiemment, tranquillement, sereinement.

Donc, j’ai préféré continuer à travailler de cette façon avec un

petit groupe de militants du nord, au point qu’à la fin des années

90, cela nous a permis de rencontrer d’autres groupes de personnes...

Et, vers 1998 - 99, j’ai rencontré d’autres groupes de militants

qui travaillent en Guadeloupe sur d’autres terrains, notamment

sur le terrain social. Et là, nous nous sommes appliqués à

essayer de comprendre comment nous pouvions transformer la

situation de notre pays. Et c’est ce que nous faisons. C’est - à -

dire que c’est, d’ailleurs, connu de ceux qui sont avertis des affaires

politiques en Guadeloupe.... Je veux dire par là que nous

réalisons un travail ouvert, public… Lorsque j’ai dit " serein, tranquille

", ce n’est pas un travail clando, fermé sur nous - mêmes,

c’est ouvert, c’est dans la rue. L’une de ses expressions, en mai

2001, est la création du " Mouvman Nonm ", qui depuis multiplie

un certain nombre d’initiatives, dont un journal…" Pawôl a Nonm

", etc, etc…

27


Alors la prise de position dans le débat actuel demande que de

tels militants réfléchissent afin de savoir comment trouver une

riposte politique de masse aux prétentions politiciennes actuelles.

En effet, il y a une prétention du côté du pouvoir français d’abord

de nous faire refaire le nœud qui nous enserre le cou. Cela veut

dire quoi ? Cela veut dire en clair, nous faire voter pour dire que

nous voulons rester français. C’est - à - dire que c’est un tour de

passe - passe qu’il n’avait manifestement pas encore réussi. Ainsi

donc en 1946, par exemple, les députés ont voté pour que nous

soyons français. Mais le peuple, lui même, n’avait pas voté cela.

Et au moment même du vote les députés Guadeloupéens étaient

relativement en recul sur cette question, je prend l’exemple de

Rosan Girard – qui n’était même pas là, puisqu’il était malade à

l’époque, il n’ont pas pris une part active – c’était plutôt des

députés Martiniquais comme Aimé Césaire, comme Bissol ou des

députés réunionais qui avaient occupé les devants de la scène. Ce

sont eux qui étaient à la tête de ces questions.

Et donc, maintenant je crois que le gouvernement français a

trouvé l’opportunité de nous faire participer à notre aliénation de

façon active, je dis bien active. Un peu comme si on était dans un

jeu interactif, comme dans une machine électronique. Et bien,

vous cliquez, la machine vous répond, etc…

Alors là… nous cherchons une réponse, nous cherchons une

façon, nous cherchons un moyen de masse pour répondre à une

telle initiative qui, de toutes les façons, veut nous condamner

définitivement sous le joug du principal ennemi du déploiement

de l’émancipation du peuple guadeloupéen. Donc, ce n’est pas

que je ne donne pas d’avis là - dessus, c’est que je participe tout

simplement à un travail de groupe, un travail collectif qui est en

train de se donner les moyens de trouver une réponse à ces

questions avec ampleur et force. Ce n’est pas une déclaration de

tel ou tel leader ou individu, mais un objectif d’action de masse

que nous préconisons… un fait de groupe, un fait de force… C’est

ce que je peux dire. Et ça viendra, ça viendra,… ça viendra bien

assez tôt d’ailleurs…

L.S : À l’heure de la mondialisation, qu’est - ce qui pousse un

homme comme vous à vouloir faire émerger une pensée

nouvelle ?

R.B.G : Enfin, là vous faites référence à… vous parlez d’une tentative

qui - depuis un certain nombre d’années, au moins depuis

1978 – a été entreprise avec des jeunes (à l’époque), et qui

28


consistait à propulser une nouvelle façon de voir l’histoire de la

Guadeloupe. Nous avons appelé cela, à l’époque, disons en 1984,

la Sosyété Istwa Savann (ndlr : Société d’histoire " Savane ").

Donc, c’est à cela, je crois, que vous faites allusion : une autre

manière de voir. ... 1978, pourquoi ? Parce que c’est l’année du

premier texte que j’ai moi-même écrit à l’attention de trois jeunes

militants de l’A.G.E.G et cela s’est concrétisé dans la constitution

d’une association en 1984 (la Sosyété Istwa Savann). Mais elle a,

elle - même, fait son expérience et puis dans tout le bouleversement

idéologique et politique qui a marqué le mouvement patriotique

de Guadeloupe au début des années 90, toutes ces personnes

m’ont fait comprendre qu’elles devaient avant tout s’occuper

d’elles - mêmes et que selon leur point de vue la situation d’alors

nécéssitait la fin de Savann. Et donc je dois dire que… je me suis

retrouvé carrément seul et isolé sur le fait de continuer ou pas…

les autres personnes préférant faire autre chose.

Bon, cela a été un mal pour un bien... En tous les cas, depuis,

compte - tenu de ce que je viens de dire sur le déploiement des

combats d’ordre idéologique et politique qui se sont déployés

publiquement à partir de 1990, cela a donné au plan de l’histoire

chez moi une nouvelle orientation… Je me suis appliqué à maintenir

ce qu’on peut appeler aujourd’hui Lespwisavann (ndlr : l’esprit

savane). Et c’est quelque chose que je cherche à expliquer

autour d’un nouveau noyau de personnes… nous tentons une

prise en compte de l’héritage des réflexions des années 70 et 80

pour essayer de voir comment dépasser l’imbroglio actuel…

Alors, ce qui se pose c’est la question, pourquoi, si j’ai bien compris,

dans un cadre de mondialisation, fournir un tel effort spécifique,

particulier ? C’est ce que vous demandez ?

(rires…) Cet effort n’est pas déterminé, à priori par la mondialisation.

Ce qui le détermine en premier lieu, c’est le cours (historique)

de la vie qui est en nous. Et, précisément, ce qu’il faut

comprendre c’est que dans une personne… une personne comme

moi, historien guadeloupéen par exemple, ce que cela signifie

c’est quoi ? Cela signifie, très précisément, que chez les

Guadeloupéens, le fait de la domination de l’Europe sur

l’Amérique et singulièrement, la volonté et la réalisation de l’exploitation

coloniale que les français ont menés aux Antilles (tout

particulièrement en Martinique, Guadeloupe, Guyane), eh bien,

cela a produit la vie d’une certaine façon. Ce phénomène produit

la vie singulièrement chez les personnes qui doivent souffrir de

cette exploitation, qui doivent souffrir de cette domination. Et tout

particulièrement chez les personnes qui souffrent, cela peut donner

des choses (comportements, représentations…), que l’on

29


pourrait dire complètement négatives - au sens où la personnalité

est incapable de s’épanouir, c’est - à - dire qu ‘elle n’arrive pas à

s’en sortir, certains d’entre - nous deviennent fous, perdent la

tête, ne se déploient pas, et ne peuvent pas devenir des "

Hommes " dignes. Mais, il y a aussi ceux qui peuvent fleurir

comme des bourgeons qui laissent s’épandre des pétales, c’est -

à - dire que la vie fleurie en eux. En tous les cas, ce que je comprends

c’est que là où de tels parcours historiques permettent de

produire des fleurs il faut les arroser, il faut y mettre de la substance,

il faut s’en occuper. Chez un certain nombre d’entre nous,

je considère que c’est cela qui se produit : des fleurs poussent…

Ces fleurs prennent la forme de la conscience. Comme les gens

l’indiquent de façon habituelle, on dit que " untel est conscient de

telle chose ", " vous voyez ", " vous comprenez ", " vous ressentez

", vous vivez bien ce qui se passe autour de vous et donc

vous pouvez mieux savoir comment combattre la déchéance que

le système veut pour vous ; ainsi, combattre la destruction que

le système peut proposer à la vie en vous. Donc en retour à cela,

il ne s’agit pas de se mettre dans une position qui consiste seulement

à défaire les choses, mais il s’agit de créer en prenant un

appui sur la vie que l’on a en soi et qui sert la création…

Ainsi, je crois qu’à partir du moment où l’on a expliqué le point

de départ de cette façon, par rapport à un parcours historique, on

peut adapter cette compréhension à l’environnement où l’on se

trouve. Et là, je rejoins ce que vous appelez la mondialisation :

nous sommes la mondialisation ! Et c’est ce qu’il y a à comprendre.

Nous sommes nés, NOU, au XVII - XVIII ème siècle – je prends

1656 - 1802, par exemple – quand des aventuriers Français,

Hollandais, Anglais sont venus, en Amérique, contrarier les

Espagnols et les Portugais… Et bien que c’est - il passé ? Ils ont

réussi à avoir des miettes dans ce qui restait des territoires du "

Nouveau Monde. " C’est ainsi que la Guadeloupe a été prise aux

mains des Caraïbes. En fait, tout le processus de la mondialisation,

c’est là qu’il commence. C’est - à - dire que, ce que l’Europe

appelle " la découverte du nouveau monde " (je le dis bien entre

guillemêts car c’est une expression à laquelle j’attache une valeur

singulière) convient parfaitement pour que nous puissions saisir

et comprendre ce que l’on entend aujourd’hui par " mondialisation.

" C’est - à - dire que c’est en fait un processus qui est dans

son achèvement. Considérons la durée 1492 à disons 2003, et

arrêtons - nous au moment, par exemple, où en Irak les Etat-

Unis peuvent bombarder un pays, pratiquement, sans avoir, à la

limite, à déplacer aucun homme, je veux dire en n’utilisant que

des missiles " Tomahawks " ou je ne sais quoi… Ce qu’il faut com-

30


prendre, c’est un processus qui est en marche, une sorte de fil

qui indique la route. Nous, les enfants de l’Amérique, c’est sur

notre dos qu’a été construite cette mondialisation. C’est sur notre

dos qu’a été construite cette " globalisation "… comme disent les

anglophones … ce terme me convient même mieux, parce que

cela veut dire qu’ils ont globalisé les rapports, globalisé la domination,

globalisé la destruction justement à travers l’exploitation,

la domination et la mondialisation. Donc, nous sommes, probablement,

plus à même que n’importe qui d’autre venant des pays

dominants, de comprendre ce qui arrive aujourd’hui à travers justement

ce que tout le monde a du mal à saisir : NOU !… ce que

nous sommes devenus, disons, la mondialisation, la globalisation,

c’est dire que NOU sommes !…

Ainsi, quand vous prenez en considération, ce que j’ai présenté

comme étant notre parcours et ce qui s’exprime chez certains

d’entre nous, en destruction totale, en folie, voire en fleur, en floraison,

en création, quand on approche cela de tout le processus

général de la domination de l’Europe, on peut dire que la mondialisation

cette domination générale, d’ailleurs celle des blancs, des

occidentaux sur le monde, se fonde sur l’exploitation, la discrimination

que nous subissons encore aujourd’hui. Et, lorsque je dis

sur notre dos, je veux dire sur la masse, justement, en premier

lieu, des indiens d’Amérique (ceux qu’on a appelé les amérindiens

qu’ils ont pratiquement exterminés à certains endroits c’est - à -

dire depuis le Nord jusqu’au Sud du continent) et en second lieu,

sur le dos des Africains qu’ils ont réduit en esclavage. Ces sociétés

qui ont été générées dans ces conjonctions - là sur la terre

d’Amérique, eh bien, elles ont abouti en un " Homme " que nous

devons créer. Nous devons le chercher continuellement. Enfin, la

" pousse " de cet " Homme ", nous l’avons en nous, c’est à nous

de la trouver. Et, pour la trouver, il faut la chercher. Donc, c’est la

raison pour laquelle il y a nécessité chez tout Caribéen conscient

de chercher la " pousse " de la fleur, car c’est en elle qu’est

l’espoir… ce n’est pas la " pousse " de la folie qu’il faut suivre car

elle nous conduit à la singerie… Car le risque court que nous sombrions

dans la folie, mais non… C’est la " pousse " de la fleur qu’il

nous faut cultiver de façon à ce que la fleur, elle-même, lâche du

pollen et d’autres choses sur le monde présent afin de le régénérer,

le monde de la globalisation…

L.S : Pourquoi " Lespwisavann " ?

R.B.G : A…ah, Lespwi savann… Et oui, Lespwisavann..! Alors,

31


d’abord, il faut dire une chose, c’est que pour bien situer cette

question il nous faut remonter aux années 1970 - 80. Enfin, disons

à partir de 1978, pour une petite équipe dont Jean - Pierre,

Claude (Jean-Pierre Sainton et Claude Hoton) avec Baba (disons…

Barfleur Junior), j’avais écrit notamment un premier texte qui

était destiné à une réflexion commune…. À la suite d’une longue

série de discussions que nous avons menées en particulier à

Fauvette (ndlr : quartier de la commune de Port - Louis, en

Guadeloupe)... Nous recherchions l’expression qu’il y avait sous

tout cela, et c’est vrai qu’il faut l’assumer aussi, c’est principalement

ce que j’essayais de leur transcrire comme une priorité,

comme un révélateur de ce que nous avions à faire : traduire en

un mot toute le substance que nous percevions dans le mouvement

de masse des travailleurs agricoles déclenché à partir de

1971 et qui inspirait une nouvelle intellectualité. Je me souviens…

c’est Jean - Pierre qui l’avait " sorti ", en disant que c’est comme

un " homme de savane ". Et alors, ce fut dorénavant " lespwi

savann "…

Il est vrai qu’en tant qu’historiens (puisque c’était notre formation

à tous), nous savions ce qu’étaient " les nègres de savanes

"… Mais, bon… cette une expression qui au plan historique a une

signification bien particulière… C’était des nègres esclaves que le

maître mettait quelque part sur l’habitation et qui, en quelque

sorte, servaient de vigiles... Donc, ce n’est pas cela que nous

avions à encencer. Au contraire, nous avions à exprimer l’idée que

dans le marronnage qui s’opère dans et hors du système esclavagiste,

il y avait toujours un lieu que le nègre occupait au dépens

du maître, voire à l’intérieur même de sa maisonnée ou des bois

debouts, et qui représentait on savann. C’est cet espace - là qu’il

nous faut chercher pour y loger. Et, quand vous atteignez cet

espace, quand vous y habitez en permanence… la liberté prend

un sens qui n’est pas formel, qui n’est de l’ordre de la déclaration

seule. Je parle là, au plan de l’esprit pour les hommes d’une

époque donnée, pour les nègre marrons d’hier et d’aujourd’hui !

Donc, c’est cette conjonction qu’il y avait avec le mot " savane ",

avec le son " savann "… c’est (je résume) l’idée d’une liberté intégrale,

totale et qui envahit tout l’être au point de libérer le nègre

marron de toute contrainte. Ce n’est pas simplement son corps

qui se libére à ce moment là, mais son esprit aussi et ainsi toutes

les représentations opérées sous l’effet d’un environnement totalement

hostile. Et symboliquement, nous ramenions ceci au plan

intellectuel, nous transposions ceci sur le terrain de l’intellect. En

tout cas, c’est ce que j’avais à dire, c’est ce que j’avais à expliquer,

c’est ce que je tentai de faire partager à mes jeunes cama-

32


rades. Et c’est encore cela qu’aujourd’hui, précisément, nous

cherchons à continuer dans ce qui s’appelle Lespwisavann.

Savann a servi à nommer une association à l’époque, mais,

comme je me suis aussi rendu compte que nous avions surdimensionné

la structure (à l’époque où nous avons fait l’association) au

dépens de l’esprit, je dirai que petit à petit nous avons perdu la

dimension proprement spirituelle. Et bien, maintenant, dans le

deuxième âge de Savann, nous parlons plus de Lespwisavann que

de Savann. Donc, nous sommes à l’étape de Lespwisavann…

L.S : Vous vous dites historien Guadeloupéen. Quelle dimension

impulse votre vision de l’histoire ?

R.B.G : Oui, enfin, dans une certaine mesure, il y a deux

aspects auxquels j’ai déjà répondu, qui auraient pu éclairer cette

question : premièrement, sur la mondialisation où nous avons

essayé de nous situer au plan historique et deuxièmement, sur ce

que je viens de dire sur Lespwisavann. Mais, enfin s’il faut résumer

cela à travers la question concernant l’historien guadeloupéen,

d’abord il faut dire une chose, c’est qu’en 1978 quand j’ai

écrit le texte " Historien guadeloupéen ou historien de l’Histoire

de la Guadeloupe ", il y a une chose qui était extrêmement

importante pour moi là - dedans, c’était de dire qu’une production

intellectuelle, voire une excrétion mentale n’est pas quelque

chose qui se trouve dans l’air, ce n’est pas une élucubration...

C’est un élément qui est attaché à un corp physique, à un territoire,

à un espace, et plus simplement sous le ciel, à un arbre,

quelque part. Ce n’est pas une chose qui sort comme ça de la

tête ou des tripes. Donc, il y a une conjonction et c’est pour cela,

d’ailleurs - c’est une conception qui m’est propre – dans la première

question " qui suis - je " je me suis défini en trois dimensions.

Il y a une dimension génique, si je puis dire (papa,

maman) qui est en quelque sorte innée... Il y a une dimension

temporelle qui se loge en priorité dans l’environnement social…

J’ai parlé de la place de Chaben. Et il y a une dimension physique

que l’on capte et qui capte à travers l’environnement naturel… J’ai

parlé de la place de la savane, notamment dans les espaces où

j’ai vécu. C’est ce qui me permet de répondre sur ce que je suis.

Je ne peux répondre à aucun moment en faisant abstraction de

ces trois dimensions. Donc, cela me permet d’arriver à la question

concernant l’historien Guadeloupéen. C’est à travers tout cela que

je crois qu’il n’y a aucun mal à me définir comme historien

Guadeloupéen, car il y avait un contre argument qui voulait qu’un

33


historien soit un historien, un point c’est tout ! Un historien n’est

pas Grec. Un historien n’est pas Français. Un historien n’est pas

Chinois… Mon problème n’est pas là. Mon problème n’est pas

dans la définition intellectuelle, à proprement parler, du travail de

l’historien… Ce qui consisterait, à partir de l’esprit critique, de

sources repérées, définies et de la plus grande honnêteté intellectuelle,

etc, à traiter le passé. Ce n’est pas cela mon problème.

Mon problème est de produire en fonction d’un choix intellectuel.

Quel est ce choix ? C’est d’opter pour des méthodes historiques.

Enfin, c’est ce que j’ai choisi de faire. J’aurais pu investir dans la

littérature ou je ne sais quel autre domaine qui m’aurait permis

de montrer certaines capacités. J’aurais pu choisir la médecine

qui sait, j’ai une formation à base scientifique. Bref, j’aurais pu

exprimer ce que j’ai à dire sur d’autres terrains intellectuels. J’ai

choisi le terrain de l’histoire. Mais, il y a une chose qui est extrêmement

importante pour moi, c’est d’expurger, de sécréter, dire

ce que j’ai à dire et produire, sur le plan intellectuel ou autre, à

partir d’une expérience concrète, à partir d’un être réel, et non

pas à partir de mon adhésion à une vague définition d’un domaine

d’activité humaine, qui plus est à une tâche intellectuelle.

Donc, cela m’a résolu à coller à l’histoire de la Guadeloupe, c’est -

à - dire à un espace spécifique de la Caraïbe, etc…

Voilà un endroit précis, en un temps précis, déterminé et vers…

si vous voulez, vers un être, vers, oui, je dirais… (hésitations)

une création – parce qu’au fond c’est ce que je crois – vers une

création, qui n’est peut-être pas déterminée mais qui ouvre des

potentialités. À partir du moment où cela à été établi, cela peut

très bien se comprendre qu’il y a des historiens à la Guadeloupe,

qui essaient de traduire, à travers leurs œuvres, leurs productions,

leurs créations, eh ben, tout ce qu’une telle activité – enfin

disons, de telles méthodes peuvent permettre afin d’enrichir l’histoire

de l’humanité. C’est ce qu’il y a à comprendre. Alors bien

sûr, j’aurais pu prendre cette même potentialité et la consacrer à

l’histoire du Japon, mais bon, il m’aurait fallu le temps d’apprendre

le japonais, il m’aurait fallu… etc, etc. Mon choix c’est une

solution de facilité ? Peut-être ! Je suis né ici. Je connais mieux la

Guadeloupe. J’ai tout ce qu’il faut ici. Je me consacre à cela. Mais

je ne suis pas fermé là - dessus. C’est - à - dire que je ne suis

pas une personne figée, à proprement parler, sur les savanes où

j’ai germé, sur les quartiers autour desquels j’ai grandi, etc, etc.

Voilà ce que je comprend là - dessus. Voilà ce que je saisis là -

dedans. Donc, plus vous êtes vous - même, plus vous servirez les

desseins de l’humanité et lui apporterez quelque chose de neuf.

Je crois que c’est ce que je veux dire à travers tout cela...

34


L.S : Comment qualifieriez - vous votre démarche ?

R.B.G : Je ne sais pas. J’avoue que je ne sais pas comment qualifier

cela. Il y a… Je peux partir d’un certain nombre de références

sociales ordinaires, de ce que j’ai entendu dire... J’ai entendu

dire que je jouais au gourou… (rires). Ça, ce sont des mots qui

me sont parvenus après disons, la fin du premier cycle de

Savann. J’ai cru comprendre que beaucoup de personnes ont

considéré que dans ce que nous faisions à S.I. Savann, mon rôle

là - dedans était celui d’un gourou… (hilare). Enfin, cela voudrait

dire que les gens ont perçu principalement la dimension spirituelle

de notre investigation. Oui… je crois que ce que nous avons à

dire, touche d’abord l’intellect d’ailleurs, et forcément on navigue

essentiellement dans le domaine de l’esprit. Bon, c’est une chose

qui, prise en considération, fait comprendre à certaines personnes

que les activités que nous avons menées dans Savann avaient

non seulement une dimension de production intellectuelle, mais

de plus, du fait que j’interpellais les gens sur l’origine même de la

production intellectuelle et que j’allais au - delà de l’activité intellectuelle,

en conséquence, elles touchaient à la dimension spirituelle.

Bon, c’est de cette façon que je pense que des personnes

l’ont compris… Bon, deuxième chose, c’est qu’effectivement, il y a

un certain nombre de contacts, avec en majorité des jeunes,

depuis les années 70, qui ont donné, dans les retours que j’ai -

puisque lorsqu’il y a échange on ne fait pas que donner, on reçoit

aussi – beaucoup de propos qui m’ont amené à penser que j’avais

quelque chose que j’apportais au niveau de ce que j’appellerais

l’esprit de la pensée du plan historique. Et qu’en tout cas, j’avais

quelque chose que j’avais envie de dire. Je ne sais pas si ça passe

toujours, si c’est toujours très clair, mais c’est ainsi que les jeunes

avec qui j’étais en contact me renvoyaient, ce qu’ils percevaient...

En troisième lieu, ce que je peux comprendre et ce que j’ai observé

c’est qu’après la fin de ce que j’ai appelé la première phase,

le premier cycle de vie de Savann qui s’est terminé vers 1993 -

94 - avec la disparition du premier groupe - et bien, tout naturellement,

je ne sais comment, il y a différents jeunes qui sont

venus vers moi pour m’interpeller sur ce qu’ils avaient lu ou

entendu ou vu et qui ont un peu relancé la machine Savann, qui

a donné Lespwisavann d’aujourd’hui. Que peut signifier tout cela

?…

Ces trois éléments peuvent signifier qu’il y a un parcours qui

35


mériterait d’être interrogé pour savoir ce qu’il contient, l’ambition

qu’il nourrit : ce que je veux dire ou ce que je veux faire. Bôf…

Enfin, je vous avouerai que moi - même je ne suis pas préoccupé

par je ne sais quelle définition du parcours, car je n’ai pas encore

essayé de le qualifier... Bon, j’écoute, je suis très attentif comme

je viens de dire. Ce dont je suis sûr… ce dont je suis sûr, c’est

que… vous ne pouvez pas prétendre modifier la réalité… puisque

quand au fond, c’est la principale demande que la vie a en moi,

c’est de modifier la réalité dans laquelle j’ai grandi.

Quelle est - elle ? Voir des blancs dominer des noirs, sur la seule

base d’une discrimination, celle de la couleur. C’est la principale

leçon que j’ai comprise de notre histoire. Voir que, sur cette base

là, il y a toute une hiérarchie sociale qui s’établie dans les territoires

de la Caraïbe, c’est - à - dire d’un côté des riches et de l’autre

des pauvres sur la base de la discrimination par la couleur !

Car, j’ai grandi dans ce climat, dans un Beauport dominé… (rire

" jaune ") dominé par les blancs… C’est de cette façon que je

vécu cela, je n’étais pas encore historien, je n’avais pas encore

fait histoire, je ne connaissais rien. C’est ce que j’ai vu. Bon, moi,

j’ai vu mon père logé dans ce qu’on appelait " la case des

ouvriers. " D’ailleurs, les restes de ces maisons sont toujours là.

Leurs squelettes sont là, etc... J’ai vu ma mère incapable d’attacher

350 paquets de canne dans un champ pour avoir une journée

afin de nourrir mes frères et sœurs, etc. Donc, en cela j’ai

été marqué par une pulsion, celle de modifier un tel état de fait

car le système dans lequel nous vivons est une reproduction de

cette situation. Il n’y a pratiquement plus d’ouvriers agricoles,

donc ce n’est pas l’image de ma mère qui me sert de repère…

Mais, il y a un système qui est en place et qui reproduit le même

schéma, c’est - à - dire qui empêche que les hommes se

déploient, que les hommes s’épanouissent véritablement dans ce

pays. Quant au fond, il y a quelque chose à dire, c’est que depuis

l’abolition de l’esclavage les nègres ne se sont pas encore émancipés.

Et donc, ma volonté est de faire en sorte de participer, de

contribuer, bref, de servir une telle cause afin que cette émancipation

arrive à son terme pour le bien de tous les hommes qui

vivent ou qui ont choisi de vivre sur ce territoire. Donc, tout ce

que je peux faire, je le fais… en particulier, sur le terrain de la

production intellectuelle, sur le terrain de la sensibilité à un certain

nombre de valeurs culturelles, etc… Si je considère ce que

j’ai déjà dit au tout début de qui suis - je, disons que j’essais de

dire tout ce que j’ai à dire, de ne pas avoir peur d’être ce que je

suis en train de devenir… Alors, parfois, c’est gênant, parfois c’est

emmerdant parce que ça peut ressembler à l’œuvre d’un gourou

36


ou pas. Ça ne me préoccupe pas, car je n’ai pas de problème à ce

niveau. Je ne suis le gourou de qui que ce soit. La seule chose qui

m’intéresse, c’est de modifier le réel social, c’est - à - dire, transformer

concrètement le réel. Ce n’est pas simplement une réforme,

ce n’est pas un saupoudrage de changements. Sur cela, je

me suis déjà positionné dans votre question, notamment, sur le

changement statutaire actuel, enfin sans entrer dans le détail.

Mais, je suis pour une véritable révolution de cette situation.

L’émancipation de tous les enfants fils d’esclaves, ici, passe par

un bouleversement dans cette société fille de l’esclavage. Sans

cela, NOU ne s’en sortira pas. C’est - à - dire que nous allons rester

dans une sorte d’hypocrisie invraisemblable où nous reproduirons

nous - mêmes des chaînes pour nous attacher et nous étrangler.

Donc, voilà ce que je perçois, ce que je vois... C’est très

concret. Bon, même si ce que j’ai à donner ou à apporter peut

paraître vraiment, un peu, évanescent, un peu éloigné des choses

matérielles et de la réalité que les gens peuvent percevoir… c’est

que j’aime aller au fond, j’aime aller à ce qui conditionne vraiment

ce réel et que bien souvent on ne dit pas. Car, ce que l’on

voit voile bien souvent ce qui est réellement en - dessous et qui

détermine ce que l’on est.

L.S : S’il fallait résumer en quelques mots ce que vous avez à

dire au peuple et à la jeunesse d’aujourd’hui…

R.B.G : S’il fallait résumer en quelques mots… oui, en

" quelques mots "… (rires). En quelques mots, ce qu’il y a à dire

à la jeunesse… c’est-à-dire qu’il faut qu’un jeune cherche, aujourd’hui

par exemple en Guadeloupe… deux choses, selon moi… il

peut devenir un " Homme ", s’il s’appuie sur ce qu’il y a d’humain

dans notre société ; c’est-à-dire, dans ce en quoi il reconnaîtra le

mieux les valeurs humaines, dans notre société… il s’en sert

comme point d’appui… pour son épanouissement. C’est comme

s’il cherchait un terrain propice à son développement… Regardez

bien dans une forêt ce qui se passe. Un arbre a besoin de deux

choses que sont le soleil et l’eau. Et, s’il se trouve à un endroit où

il n’y a pas d’eau, il fait de petites feuilles de façon à ce que le

soleil ne brûle pas le peu d’eau qu’il arrive à tirer de la terre.

C’est ce que je veux tout simplement dire ; par là, donc, chercher

dans la société ce qui a un réel fondement humain - il faut pouvoir

le reconnaître, il faut avoir le courage de le chercher et le

trouver. Mais, quand je parle de fondement humain, c’est là où

dans certains cas il faut faire attention… il faut éviter le monde de

37


l’hypocrisie… de la manipulation, c’est une partie des défauts

que le système esclavagiste nous a léguée et qui se traduit par

un troisième grand défaut qu’est la jalousie. Dès que le jeune a

repéré cela, il doit prendre un autre chemin car il n’aura pas

encore trouvé " l’Homme " qu’il cherche. Quand il a repéré cela, il

doit partir de l’autre coté, parce qu’il ne pourra pas " pousser " à

cet endroit-là… Ou tout au moins, s’il pousse là, il pourrira assez

rapidement. Vous voyez… en quelques mots, bon, franchement,

en quelques mots, puisqu’il faut " quelques mots ", c’est cela,

c’est ce que je peux dire...

Texte revu par Raymond B. Gama

38


En guise de conclusion

Ces textes sont maintenant publiés et cela me soulage de certaines

critiques qui depuis près d’un quart de siècle voudraient me

faire entendre qu’il n’y a d’idées qu’écrites et publiées.

Avouons que la venue d’internet a été d’une opportunité insondable

dans la mesure ou dorénavant il n’y avait plus cet impératif

de la plume, du stylo, de l’encre qui fixe de manière quasi indélébile…

En effet, en une touche on efface ce qui vient d’être affirmé,

proclamé ! Une telle technique convenait sans aucun doute

mieux au " mouvement permanent " qui est le lot de mon oraliture.

Je souffrais de devoir figer, ossifier, fossiliser mes ressentis, mes

représentations, mes pensées… mon être en somme. Aujourd’hui

ça va mieux ! La souffrance est acceptable car évacuée par un

«clic» dès lors qu’elle est insupportable.

J’aime pouvoir surfer d’un mot à l’autre, d’une pensée à une

autre et ne me contenter après plusieurs essais que d’une

expression elle - même en sursis, c’est - à - dire dont la durée

de vie ne dépend que de ma volonté à la faire s’évanouir. Aussi,

tout ce que je viens de vous proposer conserve la fragilité de

toute prétention humaine et ne vous méprenez pas sur mes

intentions réelles. J’ai affirmé vouloir alimenter le débat sur la

construction d’une nouvelle historiographie caribéenne, j’espère

vous avoir satisfait ne serait - ce que de ce seul point de vue.

Le texte 1 que j’ai écrit en 1978 reflète profondément une

époque de grandes certitudes qui ont animé les sincères engagements

d’un militant encore jeune (32 ans).

Le texte 2 témoigne d’une maturation réelle et vous invite à

camper hors de vos habituels horizons.

Enfin, le texte 3 est récapitulatif et répond avant tout à une

demande légitime d’explication en quelque sorte. Je souhaite sur

ce dernier aspect entre autre avoir répondu à l’attente exprimée.

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" Ces trois éléments qui m’ont fait ", j’ai accepté de les partager

en un travail collectif qui est en train de se donner les moyens de

trouver une réponse à ces questions avec ampleur et force ".

C’est " la pousse " de la fleur qu’il nous faut cultiver ", afin de

trouver le " lieu que le nègre occupait au dépens du maître " et

qui ouvre la voie d’un réel enrichissement de " l’histoire de l’humanité

".

Seule " une véritable révolution de cette situation " peut nous

autoriser à vaincre le monde de l’hypocrisie,de la manipulation,

de la jalousie qui altère notre seule potentialité vraiment humaine

: créer, pour abriter la vie, car sans cela elle s’évanouira en nous.

Raymond B. Gama,

historien

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.......

Vos réactions et commentaires à :

an.didan@lespwisavann.com

ou à

Association Lespwisavann

s/c Raymond B. Gama

97117 Port - Louis (Guadeloupe, F.W.I)

In Lespwisavann, Istwa & Sosyété

www.lespwisavann.com

Revue Online - ISSN : 1634 - 0507

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