L.ART en LOIRE 11
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formé par les bambous sauvages qui<br />
bord<strong>en</strong>t le chemin de terre p<strong>en</strong>tu qui mène<br />
au lavoir. Sa progression dev<strong>en</strong>ait de plus<br />
<strong>en</strong> plus pénible au fur et à mesure qu’elle<br />
approchait du lavoir, car le chemin se<br />
transformait <strong>en</strong> un escalier d’une c<strong>en</strong>taine<br />
de marches. Finalem<strong>en</strong>t elle abandonna le<br />
chariot <strong>en</strong> haut des marches. Elle coinça ses<br />
battoirs dans son tablier, prit la lessiveuse<br />
dans ses bras et amorça sa périlleuse desc<strong>en</strong>te.<br />
Les marches usées étai<strong>en</strong>t humides<br />
et glissantes. Elle s’aperçut bi<strong>en</strong>tôt qu’elle<br />
n’était pas la seule à desc<strong>en</strong>dre au lavoir ce<br />
jour-là. En effet, une dizaine de femmes des<br />
al<strong>en</strong>tours la précédai<strong>en</strong>t. Par curiosité, elle<br />
se retourna, et constata qu’elle ne fermait<br />
pas la marche. De nombreuses femmes la<br />
suivai<strong>en</strong>t, portant elles aussi, lessiveuses,<br />
battoirs et ballots de linges.<br />
La procession demeurait sil<strong>en</strong>cieuse, à part<br />
quelques mots étouffés que l’on saisissait<br />
de temps à autre. Les lavandières étai<strong>en</strong>t<br />
bi<strong>en</strong> trop occupées à ne pas tomber pour<br />
pouvoir lier conversation.<br />
Pourtant, dès que les premières villageoises<br />
quittèr<strong>en</strong>t l’escalier et se retrouvèr<strong>en</strong>t <strong>en</strong><br />
terrain plat près du lavoir, l’atmosphère se<br />
dét<strong>en</strong>dit. Heureuses d’être arrivées à bon<br />
port, elles s’autorisèr<strong>en</strong>t quelques instants<br />
de repos. Rires et embrassades se fir<strong>en</strong>t<br />
<strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre. On pr<strong>en</strong>ait le soleil, qui maint<strong>en</strong>ant<br />
était assez haut dans le ciel pour diffuser<br />
une douce chaleur.<br />
- Bonjour, Josette, déjà de retour ?<br />
- Comm<strong>en</strong>t ça s’est passé ?<br />
- Où c’est’y qu’il est, ton petiot ?<br />
Josette ne répondit pas tout de suite. Rougissante,<br />
elle se dandinait d’un pied sur<br />
l’autre, tortillant le coin de son tablier.<br />
Sil<strong>en</strong>ce. Puis, très vite dans un souffle :<br />
- C’est le maître qui l’a pris.<br />
Elle baissa la tête et se mit à pleurer.<br />
- C’est-y pas dieu possible, c’te affaire-là !<br />
Qu’est-ce qui t’a dit, le Maît’e ?<br />
-Ri<strong>en</strong>... Il a dit que ça ferait un beau petit<br />
gars pour la maîtresse. Il l’a emporté, et<br />
c’est tout. J’suis restée toute seule dans la<br />
petite chambre près de l’étable. Là où le<br />
maître, y m’avait attrapée, cet été.<br />
Rose, assise dans l’herbe près du lavoir, se<br />
leva d’un bond, se campa au milieu de la<br />
clairière. Mains aux hanches, jambes écartées,<br />
elle s’écria.<br />
- Eh oui, <strong>en</strong>core un salaud ! Jeunes ou vieux,<br />
tous des saligauds !<br />
- C’est toujours nous qui trinquons ! Et ces<br />
Messieurs, y dans<strong>en</strong>t la faribole dans toute<br />
la région ! Adieu veaux, vaches, cochons,<br />
couvées...<br />
- Et nous... On lave !<br />
Toutes les lavandières se levèr<strong>en</strong>t et tirèr<strong>en</strong>t<br />
ballots de linge et lessiveuses vers le<br />
lavoir. Leurs gestes battai<strong>en</strong>t la mesure <strong>en</strong><br />
cad<strong>en</strong>ce, et formai<strong>en</strong>t un <strong>en</strong>semble parfait.<br />
On <strong>en</strong>levait les couvercles des lessiveuses,<br />
laissant échapper la vapeur blanche qui<br />
montait droit vers le ciel bleu et blanc. Une<br />
brise légère faisait serp<strong>en</strong>ter cette traînée<br />
immaculée.<br />
On tirait le linge fumant des baquets de<br />
fonte et on l’étalait sur la margelle.<br />
Les femmes ag<strong>en</strong>ouillées saisissai<strong>en</strong>t leur<br />
battoir à deux mains, et de toute leur force,<br />
frappai<strong>en</strong>t le linge pour <strong>en</strong> faire sortir un<br />
jus gris et mousseux qui coulait dans l’eau<br />
limpide du lavoir. Ces mouvem<strong>en</strong>ts, semblables<br />
aux rames des galères, étai<strong>en</strong>t accompagnés<br />
de Han ! Han ! Han !<br />
Pour se donner du courage et maint<strong>en</strong>ir la<br />
cad<strong>en</strong>ce, les femmes chantèr<strong>en</strong>t <strong>en</strong> chœur:<br />
À poings t<strong>en</strong>dus, toujours battants,<br />
Courbées le long de la rivière<br />
Pour que le linge vi<strong>en</strong>ne blanc