29.06.2016 Views

L.ART en LOIRE 11

.

.

SHOW MORE
SHOW LESS
  • No tags were found...

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

formé par les bambous sauvages qui<br />

bord<strong>en</strong>t le chemin de terre p<strong>en</strong>tu qui mène<br />

au lavoir. Sa progression dev<strong>en</strong>ait de plus<br />

<strong>en</strong> plus pénible au fur et à mesure qu’elle<br />

approchait du lavoir, car le chemin se<br />

transformait <strong>en</strong> un escalier d’une c<strong>en</strong>taine<br />

de marches. Finalem<strong>en</strong>t elle abandonna le<br />

chariot <strong>en</strong> haut des marches. Elle coinça ses<br />

battoirs dans son tablier, prit la lessiveuse<br />

dans ses bras et amorça sa périlleuse desc<strong>en</strong>te.<br />

Les marches usées étai<strong>en</strong>t humides<br />

et glissantes. Elle s’aperçut bi<strong>en</strong>tôt qu’elle<br />

n’était pas la seule à desc<strong>en</strong>dre au lavoir ce<br />

jour-là. En effet, une dizaine de femmes des<br />

al<strong>en</strong>tours la précédai<strong>en</strong>t. Par curiosité, elle<br />

se retourna, et constata qu’elle ne fermait<br />

pas la marche. De nombreuses femmes la<br />

suivai<strong>en</strong>t, portant elles aussi, lessiveuses,<br />

battoirs et ballots de linges.<br />

La procession demeurait sil<strong>en</strong>cieuse, à part<br />

quelques mots étouffés que l’on saisissait<br />

de temps à autre. Les lavandières étai<strong>en</strong>t<br />

bi<strong>en</strong> trop occupées à ne pas tomber pour<br />

pouvoir lier conversation.<br />

Pourtant, dès que les premières villageoises<br />

quittèr<strong>en</strong>t l’escalier et se retrouvèr<strong>en</strong>t <strong>en</strong><br />

terrain plat près du lavoir, l’atmosphère se<br />

dét<strong>en</strong>dit. Heureuses d’être arrivées à bon<br />

port, elles s’autorisèr<strong>en</strong>t quelques instants<br />

de repos. Rires et embrassades se fir<strong>en</strong>t<br />

<strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre. On pr<strong>en</strong>ait le soleil, qui maint<strong>en</strong>ant<br />

était assez haut dans le ciel pour diffuser<br />

une douce chaleur.<br />

- Bonjour, Josette, déjà de retour ?<br />

- Comm<strong>en</strong>t ça s’est passé ?<br />

- Où c’est’y qu’il est, ton petiot ?<br />

Josette ne répondit pas tout de suite. Rougissante,<br />

elle se dandinait d’un pied sur<br />

l’autre, tortillant le coin de son tablier.<br />

Sil<strong>en</strong>ce. Puis, très vite dans un souffle :<br />

- C’est le maître qui l’a pris.<br />

Elle baissa la tête et se mit à pleurer.<br />

- C’est-y pas dieu possible, c’te affaire-là !<br />

Qu’est-ce qui t’a dit, le Maît’e ?<br />

-Ri<strong>en</strong>... Il a dit que ça ferait un beau petit<br />

gars pour la maîtresse. Il l’a emporté, et<br />

c’est tout. J’suis restée toute seule dans la<br />

petite chambre près de l’étable. Là où le<br />

maître, y m’avait attrapée, cet été.<br />

Rose, assise dans l’herbe près du lavoir, se<br />

leva d’un bond, se campa au milieu de la<br />

clairière. Mains aux hanches, jambes écartées,<br />

elle s’écria.<br />

- Eh oui, <strong>en</strong>core un salaud ! Jeunes ou vieux,<br />

tous des saligauds !<br />

- C’est toujours nous qui trinquons ! Et ces<br />

Messieurs, y dans<strong>en</strong>t la faribole dans toute<br />

la région ! Adieu veaux, vaches, cochons,<br />

couvées...<br />

- Et nous... On lave !<br />

Toutes les lavandières se levèr<strong>en</strong>t et tirèr<strong>en</strong>t<br />

ballots de linge et lessiveuses vers le<br />

lavoir. Leurs gestes battai<strong>en</strong>t la mesure <strong>en</strong><br />

cad<strong>en</strong>ce, et formai<strong>en</strong>t un <strong>en</strong>semble parfait.<br />

On <strong>en</strong>levait les couvercles des lessiveuses,<br />

laissant échapper la vapeur blanche qui<br />

montait droit vers le ciel bleu et blanc. Une<br />

brise légère faisait serp<strong>en</strong>ter cette traînée<br />

immaculée.<br />

On tirait le linge fumant des baquets de<br />

fonte et on l’étalait sur la margelle.<br />

Les femmes ag<strong>en</strong>ouillées saisissai<strong>en</strong>t leur<br />

battoir à deux mains, et de toute leur force,<br />

frappai<strong>en</strong>t le linge pour <strong>en</strong> faire sortir un<br />

jus gris et mousseux qui coulait dans l’eau<br />

limpide du lavoir. Ces mouvem<strong>en</strong>ts, semblables<br />

aux rames des galères, étai<strong>en</strong>t accompagnés<br />

de Han ! Han ! Han !<br />

Pour se donner du courage et maint<strong>en</strong>ir la<br />

cad<strong>en</strong>ce, les femmes chantèr<strong>en</strong>t <strong>en</strong> chœur:<br />

À poings t<strong>en</strong>dus, toujours battants,<br />

Courbées le long de la rivière<br />

Pour que le linge vi<strong>en</strong>ne blanc

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!