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versions - Ecole lacanienne de psychanalyse

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Mallarmé exploite la ressemblance entre le nom et l’activité du défunt. Le<br />

substantif « poète » et le patronyme « Poe », partageant les mêmes sonorités<br />

initiales, semblent avoir pour étymon commun le verbe « poien », créer,<br />

fabriquer, écrire <strong>de</strong>s poèmes. Dans l’herbe où se cache Verlaine s’entend le<br />

vers et le verbe. Quand à l’initiale du nom <strong>de</strong> Bau<strong>de</strong>laire, on la trouve neuf<br />

fois dans le premier quatrain : bouche, bavant, boue, rubis,<br />

abominablement, Anubis, flambé, aboi, quatre fois dans le second –<br />

opprobres, subis, pubis, réverbère, trois fois dans le premier tercet – bénir,<br />

marbre, Bau<strong>de</strong>laire et <strong>de</strong>ux fois dans le <strong>de</strong>rnier – absente, Ombre (soit, si<br />

l’on comptabilise les trois <strong>de</strong>rnières strophes, encore neuf fois). A titre <strong>de</strong><br />

comparaison, ce phonème n’apparaît que huit fois dans le Tombeau <strong>de</strong><br />

Verlaine et dix fois dans celui <strong>de</strong> Poe. En revanche, comme le remarque S.<br />

Mattoni, le nom d’Anatole ne figure pas sur les 202 feuillets, et n’apparaît<br />

que dans le titre, Pour un tombeau d’Anatole, donné par J.P. Richard lors <strong>de</strong><br />

l’édition du texte.<br />

Plus encore, Mallarmé rend hommage à chacun <strong>de</strong>s poètes en leur restituant<br />

les qualités <strong>de</strong> leur écriture. Les critiques s’accor<strong>de</strong>nt à retrouver, dans les<br />

tombeaux <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux Français, les traces <strong>de</strong> leur écriture. Dans le poème à<br />

Poe, c’est sans doute le mot « grief » qui joue le rôle le plus déterminant à<br />

ce propos, car il répond à un jeu translangue, plainte française, ou <strong>de</strong>uil<br />

anglais. L’hommage mallarméen, on le voit, passe par l’appropriation <strong>de</strong>s<br />

qualités <strong>de</strong> l’écriture du poète ami. C’est ainsi que se fait la reconnaissance.<br />

On comprend bien qu’avec Anatole, âgé <strong>de</strong> huit ans au moment <strong>de</strong> son<br />

décès, ce n’était pas possible. Trop jeune, l’enfant n’a pu se lancer sur les<br />

traces <strong>de</strong> son père – pas même se rendre compte qu’il mourait. Je cite J.P.<br />

Richard :<br />

L’enfant mourant ne connaîtra aucun effroi <strong>de</strong> sa mort, il en<br />

sera même inconscient, et n’apercevra donc pas, en ce moment<br />

suprême, l’homme qu’il eût pu <strong>de</strong>venir. C’est le père en<br />

revanche qui, récupérant la conscience <strong>de</strong> mourir, s’affrontera<br />

aussi à cette future image. Le père connaît en tout cas pour son<br />

propre compte la terreur d’une révélation qui détruit d’un seul<br />

coup ses rêveries les plus chères : « On sent – coup fatal<br />

illuminant l’âme – que mort - et (tonnerre) tout ce qui<br />

s’écroule – rêve <strong>de</strong> lui laisser un nom ». Autre rêve écroulé :<br />

celui, plus profond peut-être encore, <strong>de</strong> retransmettre à<br />

l’enfant le soin d’achever sa propre œuvre, une œuvre qu’il<br />

jugeait trop ambitieuse, trop difficile pour lui seul […]. Cette<br />

tâche restera désormais inachevée ; toutes les rêveries<br />

paternelles viennent en effet se briser contre l’irréfutable<br />

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