Les Fungi de Yuggoth - Trouver Objet Caché

comprîmes tous les trois qu’il s’agissait enfin de
Jeremy. C’était une masse gélatineuse à la couleur
maladive, de laquelle émergeaient des tentacules
pourvus de bouches humaines, et surmontée,
comble de l’abomination, d’une parodie de visage
poupin et geignard. Cette chose semblait comme
sourdre du puits vers son sommet. Si le Pr. Costing
– « Ça suinte ! » s’exclama-t-il – et moi-même sûmes
raison garder, le Dr. Badstuff fut pris de panique et
prit ses jambes à son cou, parvenant à se cacher
dans la maison. Je tentai tant bien que mal de me
dégager du membre gluant, tantôt essayant de m’en
libérer, tantôt donnant un coup de canne, mais
l’étreinte de cessait pas, et je sentais mes forces
s’affaiblir. Fort heureusement, le Pr. Costing fit feu
plusieurs fois sur la chose, et même si ses balles
semblaient s’enfoncer de façon répugnante dans les
chairs molles, il s’échappait des orifices d’impact un
liquide immonde qui nous laissait accroire que la
chose en souffrait. Alors que je m’apprêtai à rendre
les armes, une dernière balle, fichée entre les deux
yeux du visage brailleur, fit s’effondrer la créature
en une masse flasque et pâle, dont la poigne
corrosive se relâcha immédiatement.
La police, dont les agents rôdaient depuis
plusieurs nuits déjà dans le secteur, arriva sur ces
entrefaites, et nous fûmes tous trois conduits au
General Hospital de Boston, où mes blessures furent
rapidement soignées. Le Dr. Badstuff reprit ses
esprits bien vite, mais je crains qu’il ne garde de
cette répugnante confrontation un très vif
sentiment de malaise à l’égard des enfants. Sa
réaction tout à l’heure quand, alors que l’on nous
menait à travers le hall de l’hôpital sur des civières,
les pleurs d’un nourrisson, provenant de la
maternité, semblèrent provoquer chez lui un accès
de panique, m’incline en tout cas à le craindre. Je
garderai sans doute les marques de corrosion
comme autant de cuisants souvenirs de cette
rencontre avec la chose qu’était devenu Jeremy,
mais la satisfaction d’avoir mis un terme à cette
série de meurtres est un grand réconfort ; et même
si la douleur de ma peau irrémédiablement brûlée
me maintient à présent éveillé en pleine nuit, elle
m’offre d’achever le récit de la façon dont nous
mîmes fin aux crimes de Fenway Park.
Mardi 11 septembre 1928, Boston, MA.
Après quelques jours de convalescence, nous
avons décidé de profiter de notre présence à Boston
pour profiter de la bibliothèque de Harvard. Les titres
universitaires du Pr. Costing et les miens ont fait office
de sésame, et nous avons passé la journée courbés sur
des volumes d’histoire de l’ésotérisme et de la
Transylvanie.
Si nous n’avons rien appris sur la mystérieuse Confrérie
évoquée dans les lettres du baron Hauptman ou le
journal du Dr. Cornwallis, il n’en est pas de même de la
lignée du nobliaux transylvanien, que nous avons pu
remonter fort loin, en collectant par la même occasion
de bien inquiétantes informations.
Le château Hauptman est situé en altitude, dans les
montagnes, près de Klausenburg, au nord-est de la
Montelnimare, dominant un col situé à 1800 m
d’altitude, et protégeant le minuscule village de
Drosvona.)
Il semble qu’il ait été construit en 1242 par le 1 er baron
Hauptman, après qu’il eût chassé les mongols de la
région.
Plus tard, il fut découvert que ce Hauptman était un
descendant d’un membre de l’ordre des chevaliers
teutoniques expulsé pour hérésie.
En 1348, Louis Le Grand de Hongrie envoya une
patrouille pour enquêter sur les « irrégularités » de la
baronnie. La patrouille fut perdue, victime des bandits.
En 1389, le château Hauptman fut assiégé par l’armée
turque. Au quatrième matin du siège, le commandant de
l’armée et son scribe furent retrouvés dans leur tente
vidés de leur sang. L’armée leva immédiatement le
camp, abandonnant le siège.
En 1628, les villageois de Drosvona, dirigé par un
moine local, prirent le château d’assaut, et en chassèrent
le baron.
Enfin en 1792, l’Autriche prit la région aux turcs. Un
descendant du baron revendiqua alors le château,
souhait qui lui fut exaucé.
Tout cela laisse augurer de la présence de
vampires au château Hauptman. Nous ne serions pas
même étonnés, après ce que nous avons vu à la maison
Cornwallis, que la longue lignée des Hauptman ne soit à
la vérité qu’un seul et même homme ayant changé
d’identité à chaque génération. Le caveau des Cornwallis
n’a-t-il pas été profané par quelqu’un accusant le
docteur de sorcellerie, et qui cherchait à le tourner sur le
ventre pour l’empêcher de renaître à la vie ? Hauptman
et le docteur se réclamant d’une même confrérie, tout
est possible, même le plus étrange, et si beaucoup nous
étonne encore, nous n’écartons désormais plus aucune
des théories les plus improbables.
J’ai repris ce soir la lecture de Bram Stoker, dont
j’avais toujours cru qu’il n’était qu’un amuseur ayant fait
son miel des histoires de vampires très appréciées à
l’époque victorienne, et dont il avait contribué à
pérenniser durablement le mythe. Le Pr. Costing a pris
la décision de se faire mouler des balles en argent au
calibre de son .45. Le Dr. Badstuff va s’offrir un jeu de
scalpels du même métal, et je crois que je vais moi aussi
céder à leur fantaisie, en demandant à ce que l’on
enchâsse à l’extrémité de ma canne une plaque elle aussi
en argent. Le Pr. Costing a également eu l’idée que je
fende l’extrémité de ma canne d’une petite croix, idée
assez séduisante, et à laquelle je céderai sans doute.
J’avoue que toutes ces superstitions choquent le
protestant en moi, et que m’encombrer d’un crucifix en