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Les Fungi de Yuggoth - Trouver Objet Caché

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Nous sentîmes après <strong>de</strong>s heures <strong>de</strong> marche<br />

aveugle sous le soleil – une éternité – que nous passions<br />

à l’ombre d’un boyau souterrain. On nous ôta enfin nos<br />

ban<strong>de</strong>aux, mais ce fut pour nous jeter dans un gouffre<br />

qui s’ouvrait dans une grotte naturelle. Alors que je crus<br />

mes <strong>de</strong>rniers instants arrivés, ma chute fut amortie par<br />

un monticule <strong>de</strong> sable qui me sauva la vie, alors<br />

qu’autour <strong>de</strong> nous, les débris <strong>de</strong> pierre d’un escalier qui<br />

gravissait jadis ce puits en entonnoir, si nous étions<br />

tombés <strong>de</strong>ssus, eussent signé immédiatement notre<br />

mort. Nous nous relevâmes, le Pr. Costing, Ali et moi –<br />

nos terrassiers avaient été séparés <strong>de</strong> nous – pour<br />

prendre la mesure <strong>de</strong> nos blessures et maudire cet<br />

odieux Kemal qui avait décidé que notre mort aurait lieu<br />

ici, oubliés <strong>de</strong> tous, dans un trou quelque part perdu<br />

dans <strong>de</strong>s paysages infinis <strong>de</strong> désert.<br />

Mais le voleur et sa ban<strong>de</strong> ne prirent pas la peine<br />

<strong>de</strong> se repaître <strong>de</strong> notre lente agonie, et ils quittèrent les<br />

lieux avec <strong>de</strong>s rires sardoniques qui rebondirent en<br />

échos sur les murs du puits jusqu’à nous. Nos yeux<br />

s’accoutumant à l’obscurité, nous réalisâmes que le<br />

puits, outre la fosse béante, en entonnoir inversé, par<br />

laquelle on nous avait jetés, avait une autre issue, un<br />

couloir ténébreux où nous décidâmes, mus par l’énergie<br />

du désespoir, <strong>de</strong> nous enfoncer plutôt que d’attendre<br />

passivement que la mort nous prît.<br />

Après ce qui sembla là encore une éternité –<br />

mais <strong>de</strong>puis longtemps, malgré nos tentatives pour<br />

essayer <strong>de</strong> nous repérer en gardant en mémoire<br />

l’écoulement <strong>de</strong>s heures <strong>de</strong>puis notre capture, nous<br />

avions perdu toute notion du temps – nous parvînmes à<br />

une grotte naturelle aux parois éclairées par <strong>de</strong>s torches<br />

allumées. Nous n’eûmes pas le temps d’y voir là notre<br />

salut, car une scène se déroula alors <strong>de</strong>vant nos yeux<br />

horrifiés, que nous fûmes incapables <strong>de</strong> quitter du<br />

regard. Tenter <strong>de</strong> penser qu’il s’agît du fruit <strong>de</strong> la fièvre,<br />

du désespoir et <strong>de</strong> la fatigue mêlés serait une tentation<br />

confortable, mais comment oser y croire, puisque nous<br />

eûmes tous trois cette même vision ?<br />

Au milieu <strong>de</strong> la cavité naturelle, nous<br />

distinguâmes un groupe d’hommes. L’un d’eux, au<br />

centre, avait la peau d’un noir <strong>de</strong> jet, et la lueur<br />

constamment changeante <strong>de</strong>s torches ne permettait pas<br />

<strong>de</strong> distinguer son visage, toujours dans une zone<br />

d’ombre. Un égyptien s’agenouillait <strong>de</strong>vant lui, dans<br />

l’attitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> la supplique, ou <strong>de</strong> l’allégeance. Un<br />

sifflement monotone provenait d’un balcon en<br />

surplomb. Deux hommes se tenaient <strong>de</strong>rrière l’homme<br />

noir – je crus alors me souvenir <strong>de</strong> quelque chose au<br />

sujet d’un tel homme dans l’œuvre blasphématoire <strong>de</strong><br />

Prinn, mais ma mémoire était en berne. Ils se mirent à<br />

psalmodier quelque formule inconnue, puis s’avancèrent<br />

dans le halo <strong>de</strong> lumière. Avec horreur, nous<br />

constatâmes qu’en lieu et place <strong>de</strong> visages humains, ils<br />

avaient <strong>de</strong>s têtes <strong>de</strong> crocodile. La présence <strong>de</strong> figures si<br />

familières à la mythologie égyptienne – nous y<br />

reconnûmes les incarnations du Nil – eut pu paraître<br />

bénigne. Mais il n’en fut rien, car cette vision, qui n’en<br />

était pas une, s’imposait comme un souvenir atavique, la<br />

réminiscence d’une scène très ancienne, vieille comme<br />

l’Egypte, qui se serait imposée à nous contre notre<br />

volonté, à travers une sorte <strong>de</strong> mémoire supraindividuelle<br />

et impérieuse. L’horreur culmina quand<br />

nous réalisâmes que le visage <strong>de</strong> l’homme noir, s’il nous<br />

avait jusqu’à présent été indistinct, ne le <strong>de</strong>vait pas à sa<br />

position particulière face à l’éclairage ; mais bien plutôt,<br />

ses traits semblaient d’eux-mêmes constamment<br />

changeants et incertains, d’une labilité qui nous sembla<br />

étrangement le paroxysme <strong>de</strong> la terreur.<br />

C’est à cette acmé que la vision se dissipa. <strong>Les</strong><br />

torches s’éteignirent tout à coup, mais la grotte était<br />

toujours éclairée par la lueur bleutée <strong>de</strong> cristaux<br />

phosphorescents qui en constellaient les parois. Nous<br />

mîmes quelques temps à reprendre nos esprits, doutant<br />

<strong>de</strong> notre raison. Je m’expliquai la scène comme le<br />

symbole <strong>de</strong> l’allégeance <strong>de</strong> Pharaon, ou d’un autre<br />

dignitaire – d’ailleurs peut-être bien plutôt était-ce<br />

Nophru-ka – à l’homme en noir, encadré par les Deux<br />

Nils.<br />

Le Pr. Costing, malgré la fatigue, décida<br />

promptement d’escala<strong>de</strong>r le balcon. D’un bond leste, il<br />

se retrouva dans une alcôve creusée à même la roche, au<br />

centre <strong>de</strong> laquelle trônait l’étrange statue d’un sphinx<br />

sans visage. Des hiéroglyphes ornaient tout le pourtour<br />

<strong>de</strong> son socle, que la longue pratique du professeur lui<br />

permit <strong>de</strong> déchiffrer sans peine. D’après lui, il s’agissait<br />

d’une formule, qu’il mémorisa, qui permettait – c’est en<br />

tout cas ce qu’il l’avait compris – d’appeler et <strong>de</strong><br />

renvoyer une créature qui n’était désignée que par ce<br />

mot – la Bête.<br />

Encore une fois, nous nous retrouvions face aux<br />

cauchemars entrevus par Paul Le Mond. Que fallait-il<br />

penser <strong>de</strong> la présence <strong>de</strong> cette statue, <strong>de</strong> notre propre<br />

présence ici, ou <strong>de</strong> cette formule ?<br />

La tête bouillonnant <strong>de</strong> questions sans réponses,<br />

le palais sec et râpeux, commençant à souffrir <strong>de</strong> la soif,<br />

nous continuâmes notre périple à travers ces souterrains<br />

inconnus. Un couloir prolongeait en effet celui par<br />

lequel nous étions venus, en épingle à cheveu par<br />

rapport à lui, et une nouvelle et angoissante marche à<br />

tâtons commença, tout aussi interminable que la<br />

précé<strong>de</strong>nte. Après une autre éternité, nous eûmes<br />

l’impression que le tunnel rétrécissait, jusqu’à ce que<br />

nous fussions obligés <strong>de</strong> ramper, pour enfin déboucher<br />

par un cul-<strong>de</strong>-sac. L’extrémité du tunnel semblait<br />

obturée par un bouchon <strong>de</strong> sable. Mais enfin ce n’était<br />

plus la roche, et nous trouvâmes l’énergie <strong>de</strong> creuser <strong>de</strong><br />

nos mains jusqu’à déblayer, enfin, un passage vers l’air<br />

libre. Nous étions seuls dans le désert, sans plus aucune<br />

indication <strong>de</strong> l’endroit où nous nous trouvions. Une<br />

seule chose nous semblait sûre : nous n’avions pas passé<br />

le Nil. Nous décidâmes donc <strong>de</strong> suivre plein Est. Si<br />

nous gardions le cap, peut-être pouvions-nous atteindre<br />

le fleuve avant <strong>de</strong> périr <strong>de</strong> déshydratation ? Nous<br />

marchâmes toute la nuit, pour perdre moins d’eau que la

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