Les Fungi de Yuggoth - Trouver Objet Caché

Les mots que vous venez de lire constituent la dernière entrée du
journal de Moses Squinting.
Ses carnets me furent remis solennellement par le Pr. Costing, qui
m’apprit sa mort, et le contexte particulièrement dramatique de
celle-ci, au surlendemain de leur occurrence. Le corps de mon oncle
ayant été rendu méconnaissable dans des circonstances sur
lesquelles j’aurai à revenir, me basant en ceci sur le récit oral des
dernières heures de sa vie par le Pr. Costing, je ne pourrai jamais
me recueillir une dernière fois devant sa dépouille, et son journal
intime, corpus désormais clos, tiendra dorénavant lieu pour moi
des paroles que j’aurais aimé que nous eussions échangées au
moment de son décès, et que je ne l’entendrai jamais prononcer.
C’est dire l’importance que j’accorde à ses derniers écrits, et à ses
tous derniers mots notamment. Comme le parfait gentleman qu’il
fut toujours, il se fit en effet un point d’honneur de respecter un
rendez-vous dont il avait sans doute deviné qu’il cachait un piège,
mais auquel la parole donnée l’appelait à se rendre néanmoins.
Ses mots résonnent aujourd’hui, après sa mort, comme quelque
funeste prémonition, et je ne peux m’empêcher de penser qu’il avait
eu alors le pressentiment de sa disparition imminente, et qu’il
s’était néanmoins rendu à ce rendez-vous avec la camarde avec
cette même élégance distanciée, cette espèce de détachement myope
qui le caractérisait, qu’il l’eût fait à honorer l’invitation la plus
anodine.
Son héritier universel, il m’incombe plus qu’à tout autre d’honorer
sa mémoire et de relater la façon héroïque dont il mourut. Les
pages qui suivent sont basées sur les récits du Pr. Costing, qui a
bien voulu avoir la gentillesse de les relire afin d’en corriger
certaines inexactitudes. Le lecteur, habitué à la prose impeccable
d’un écrivain admiré par ses pairs, voudra bien pardonner la
sécheresse et les imperfections de mon récit qui, s’il ne pourra
jamais prétendre à égaler jamais les vertus diaristes du journal de
Moses Squinting, se targuera néanmoins de la plus profonde et de
la plus éternelle admiration à son égard.
Les Joensen, Boston, Juillet 1929
Jurgens se présenta avec plus d’une demi-heure de
retard au rendez-vous prévu. Il était seul, et son
comportement n’éveilla pas de suspicion particulière
chez le Pr. Costing et ses amis. Ils le suvirent donc en
voiture jusqu’à une distance respectueuse des locaux de
la NWI, éclairés la nuit, chacun garant son véhicule à
quelques centaines de mètre des bâtiments pour
terminer le trajet à pied. Le Pr. en profita pour lui
apprendre le fruit de leurs recherches sur le Dr.
Einmann, et Jurgens ne fut pas surpris des théories
extravagantes que l’égyptologue déploya pour expliquer
son évasion. Il prétendait en effet avoir surpris, dans la
correspondance d’Einmann, de nombreuses références
ésotériques, qui rendaient vraisemblables ses talents de
sorcier. Une fois sur place, l’ancien agent des finances
désactiva facilement le système de sécurité avant de faire
entrer le groupe d’investigateurs dans les locaux.
Le robot que le Pr. Costing avait vu la veille avait été
manifestement changé de pièce, ce qui n’éveilla pas
outre mesure ses soupçons. Ce ne fut qu’au moment où,
alors qu’ils parvenaient dans le laboratoire suivant,
plongé dans le noir, les lumières de ce même robot,
cette fois manifestement fonctionnel, se mirent à briller
tout à coup, accompagnées du rire dément du Dr.
Einmann, que le traquenard éclata au grand jour.
Jurgens, prit d’un dernier remord, ou d’un dernier accès
de lucidité, leur demanda pardon, avant de sombrer,
mort, le cerveau grillé, de la fumée s’échappant de ses
oreilles, alors que dans sa chute son chapeau révélait sur
son crâne un horrible implant mécanique que le savant
fou avait, comprirent-ils soudain, utilisé pour manipuler
le pauvre homme.
C’est au cours de la bataille avec le robot qui s’ensuivit
que Moses Squinting trouva la mort. Lui l’intellectuel, le
pacifiste convaincu, qui toujours avait répugné à
l’utilisation des armes à feu, il s’avança bravement,
brandissant sa canne face à l’abomination mécanique,
permettant ainsi à ses compagnons de faire feu sur le
robot. Se déplaçant sur des chenilles, armés en fait de
bras de redoutables pinces, révélant, émergeant d’un sas
pectoral, un petit canon duquel jaillissaient des rayons
blanchâtres, la création du Dr. Einmann était un engin
du diable. Saisissant mon oncle dans l’un de ses bras
mécaniques, elle le broya en quelques secondes, avant
de rouler sur son corps agonisant, ôtant jusqu’aux
derniers espoirs de le sauver. Tous comprirent trop tard
que tirer sur l’appareil était vain, et qu’ils devaient
essayer de repérer au fond de la salle le docteur qui
manipulait sa création en jubilant de ses exactions.
Enfin ils le localisèrent avec une lampe torche. Mr.
Nose le toucha sévèrement à la tête avec son arme de
poing, avant que Mircea Speçes, dégainant son sabre de
cavalerie, et dépassant lestement le robot, ne lui assénât
un violent coup de sa lame, et ne désactivât enfin le
petit émetteur grâce auquel Einmann manipulait à
distance sa création dantesque.
La police fut appelée afin qu’elle prît livraison du Dr.
Einmann, qui avait survécu à ses blessures. Le Pr.
Costing et ses amis, qui avaient déjà déposé à l’antenne
locale de la police fédérale un certain nombre de
preuves à charge contre le savant fou, laissèrent là
encore des directives très précises des précautions à
prendre à l’égard d’Einmann, avec un nouveau faisceau
de documents l’incriminant. J’espère qu’il sera jugé pour
ses crimes devant la justice des hommes.