Les Fungi de Yuggoth - Trouver Objet Caché

vouloir à nouveau changer de registre et m’essayer au
roman noir, genre naissant et jusqu’à présent dépourvu,
à tort me semble-t-il, de toute considération littéraire.
L’autre jour, je rencontrai dans une librairie spécialisée
dans la vente de Pulps un jeune auteur amateur, Samuel
Hammett je crois, qui me faisait part de ses idées très
intéressantes sur le sujet. Quoi qu’il en soit, j’ai expliqué
mes blessures récentes par mon exposition au danger,
risque inhérent à toute entreprise de détective amateur,
et l’argument, s’il ne semble pas avoir convaincu J.J.,
m’a permis à tout le moins d’obtenir un sursis. Pour le
coup, le prétexte d’un Grand Tour européen, beaucoup
plus ancré dans la tradition littéraire, a fait taire toutes
ses inquiétudes : je vais me ressourcer au berceau de la
civilisation, et nul doute que j’en rapporterai un chefd’œuvre
!...
Jeudi 27 décembre 1928, New-York, NY
Reçu réponse de Bucarest. A l’instar de la
précédente, le curateur nous renvoie les références
bibliographiques que nous connaissions déjà. Budapest
et Constantinople m’on retourné mes plis sans avoir
pris la peine d’y répondre. Bah, la chose valait d’être
tentée. Le Pr. Costing et moi ne parlons plus que du
départ, arrêté pour le 9 janvier. Nous avons fait un tour
d’horizon, que nous espérons exhaustif, de ce que nous
emmènerons en Europe. J’ai notamment acheté un
ensemble de guides touristiques et de lexiques dans un
florilège de langues parlées en Roumanie (slovaque,
tchèque, moldave, hongrois).
Nous avons essayé de mettre sur pied, sinon un
ordre de bataille, du moins une stratégie minimale pour
savoir comment aborder le château Hauptman. Nous en
revenons toujours au même point que le baron, s’il est
bien toujours celui des lettres au Dr. Cornwallis, est
l’auteur de lunettes terrifiantes à l’origine de la tragédie
de Boston. Il doit s’expliquer sur ce point, et nous seuls
sommes à même de lui en demander raison, grâce à ce
que nous savons. En outre, les desseins de la Confrérie,
à la destinée de laquelle la lignée des Hauptman semble
présider, semblent troubles, et nous tenons à ce que
lumière soit faite sur cet autre point.
Lundi 9 janvier 1929, quelque part au large de la baie de
l’Hudson, Atlantique.
Nous avons embarqué ce matin le Pr. Costing et
moi, pleins d’un mélange de fébrilité enthousiaste et
d’inquiétude. Le service à bord de l’Eternal Rest est
impeccable, et la cabine dans laquelle j’écris est
spacieuse, et me permet de voir à travers ses hublots
l’océan superbe.
Samedi 2 février 1929, Brest, France.
J’ai été bien malade pendant toute la seconde
partie de notre traversée. Nous avons essuyé plusieurs
grains violents ces derniers jours, la mer était
fréquemment démontée, et il me tardait de mettre enfin
le pied sur la terre ferme. Avons réservé nos places sur
le Arlberg-Orient-Express jusqu’à Cluj (Klausenburg).
Plus tard, Paris, France.
Avons réservé une chambre au Majestic. Après
réflexion, il nous a semblé que la Bibliothèque Nationale
pouvait être une opportunité de recherches à saisir.
Nous ne sommes pas à un jour près, ce n’est pas
comme si le baron Hauptman nous attendait.
Ce soir, sortie récréative en compagnie du Pr.
Costing. Les parisiennes savent se montrer très
accueillantes. Le concierge nous a conseillé la franchise
d’un établissement d’un nouveau genre, que nous nous
sommes empressé d’essayer. Ce jeune acteur de
boulevard, à l’origine du concept, a trouvé un filon qui
ne semble pas prêt de s’épuiser. Les désagréments de
notre voyage en mer sont oubliés, et la Transylvanie est
à des milliers de kilomètres.
Lundi 4 février 1929, Paris, France.
Nos recherches à la Bibliothèque Nationale se sont
avérées vaines. Malgré l’aide d’un traducteur recruté sur
place, et la complaisance du bibliothécaire à nos
accorder l’accès à la Salle de Travail des Imprimés, forts il
est vrai de nos titres universitaires, aucune référence
nouvelle par rapport au petit noyau de livres déjà
connus traitant de Drosvona et du château Hauptman
n’a pu être trouvée.
Partons demain pour Zurich, puis Vienne, via
Belfort et Bâle. Dernière soirée dans les salons de Mr.
Prévautel, que nous regretterons amèrement, mais dont
on nous assure que la franchise a fait florès jusqu’à
Constantinople.
Mardi 5 février 1929, Zurich, Suisse.
Voyage sans incident à travers la reposante
Suisse. A relever toutefois un douanier étonnamment
suspicieux à notre égard à la frontière, mais qui, passé sa
frénésie de fouille et de questions venimeuses, n’a pas
donné suite. Je ne laisse de m’étonner que la douceur
helvète ait pu entretenir de telles aigreurs chez autrui…
Jeudi 7 février 1929, Klausenburg, Roumanie.
Arrivés à 20h30 dans la triste ville de
Klausenburg. Descendus à l’Aigle Impérial. Nous
sommes renseignés pour la suite de notre voyage : il
semble que personne ici ne sache précisément où se
trouve Drosvona, mais grâce aux références précises
que nous avons notées, nous avons pu la situer en
direction de Miklös, à l’est de Cluj.
Vendredi 8 février 1929, Miklös, Roumanie.