Chroniques des Elfe..
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voie libre. Quand elle se retourna, elle n’eut que le temps de voir<br />
le poing massif du gobelin s’abattre sur sa tempe.<br />
Au moins, l’air était frais.<br />
Dès qu’ils avaient franchi les portes de Bassecombe, la brise<br />
avait chassé l’odeur écœurante dans laquelle ils avaient vécu ces<br />
jours derniers, un remugle poisseux de fumée, de chair grillée,<br />
de corps en décomposition. Et ce silence… Ils avaient fini par<br />
s’habituer au croassement incessant <strong>des</strong> corbeaux, venus d’on<br />
ne sait où à travers la plaine déserte pour se repaître <strong>des</strong><br />
cadavres amoncelés, et au battement continu <strong>des</strong> tambours de<br />
guerre gobelins.<br />
C’était aussi pour fuir tout cela que Pellehun avait supporté<br />
le galop. Les jambes tendues sur ses étriers, il avait enduré<br />
autant qu’il lui en avait été possible les trépidations de la<br />
cavalcade, jusqu’à ce que chaque martèlement de sabot sur le<br />
sol durci cingle son bras brisé comme un coup de masse, jusqu’à<br />
ce qu’il se sente sur le point de défaillir.<br />
Ce fut Gorlois qui arrêta le cheval du prince. Peut-être ce<br />
dernier n’en était-il plus capable… La joue posée sur l’encolure<br />
de sa monture, les yeux fermés, Pellehun reprit son souffle un<br />
moment puis se redressa, rassura son compagnon d’un regard<br />
et jeta un coup d’œil en arrière. Le bourg, un demi-mille plus<br />
loin, semblait étrangement, odieusement intact. Les fumerolles<br />
qui s’en échappaient ressemblaient à <strong>des</strong> feux de cheminée. À<br />
cette distance, on ne voyait ni les murs effondrés, ni la noirceur<br />
de l’incendie, ni les morts, ni les vivants…<br />
— Il faut continuer, dit Gorlois. On peut encore nous voir.<br />
Pellehun le dévisagea d’un air mauvais, mais il ne réagit pas<br />
quand le chevalier saisit les rênes de sa monture et l’entraîna à<br />
sa suite, au pas. Agrippé de sa main valide au pommeau de sa<br />
selle, le prince fixait la large carrure de son compagnon, l’esprit<br />
vide. Ce qu’il lui restait de volonté lui permettait tout juste de ne<br />
pas sombrer dans l’inconscience.<br />
Il ne vit rien.<br />
Il n’entendit pas les cris, les feulements immon<strong>des</strong>.<br />
Mais il éprouva une douleur fulgurante dès que son cheval se<br />
mit brusquement au galop, un instant de terreur quand il faillit<br />
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