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Livres<br />
Les choix de Jipéa<br />
La synagogue de Sfax<br />
De Claude Kayat<br />
Originaire de Sfax, en Tunisie, Claude<br />
Kayat vit depuis de longues années à<br />
Stockholm. Bravant les frimas suédois, il<br />
continue de nous offrir des récits<br />
chaleureux et ensoleillés, pleins de cet<br />
humour “tune”, celui des “Magnifiques”<br />
chers à Michel Boujenah qu’il avait si bien<br />
rendu en son temps dans un premier<br />
roman “Mohammed Cohen”.<br />
Éditions Punctum. Septembre 2006. 192 pages. 15 €<br />
Les Juifs de New York<br />
à l’aube du XXI e siècle<br />
Communauté juive ou identités juives<br />
De Corinne Levitt<br />
Voici un livre tout simplement<br />
remarquable qui, au fil d’une lecture<br />
passionnante, remplit les promesses de<br />
l’avant-propos : «un ouvrage qui présente<br />
dans leur globalité l’histoire, la religion, la<br />
sociologie et la culture des Juifs new-yorkais<br />
telles qu’elles s’expriment en ce début du<br />
21 e siècle».<br />
Des pages très intéressantes sont<br />
consacrées aux dynasties hassidiques,<br />
aux homosexuels juifs, aux relations,<br />
parfois tumultueuses, avec la communauté<br />
noire et à une communauté émergente à<br />
la destinée incertaine, celle des Israéliens<br />
(200 000 personnes aux U.S.A. dont 150 000 à New York), qui<br />
vivent en autarcie et dont on ne sait pas encore s’ils sont des<br />
immigrants ou des expatriés.<br />
L’ensemble de l’ouvrage est vraiment exemplaire et mérite d’être<br />
lu, étudié et commenté.<br />
Éditions Connaissances et Savoir. 4 ème trimestre 2006. 444 pages. 20 €<br />
Murmures d’Alexandrie<br />
De Minou Azoulai<br />
À travers la saga d’une famille juive<br />
égyptienne, c’est toute la tragédie du déracinement<br />
et de l’exil que nous conte, dans un<br />
récit tendre et savoureux, Minou Azoulai.<br />
«Je rentrais de l’école, accompagnée par le<br />
chant du muezzin. C’était un vendredi<br />
d’octobre. L’automne était très clément, et<br />
j’avais huit ans, là-bas à Alexandrie».<br />
Le calme et la sérénité précédaient une<br />
tempête que seuls les adultes commençaient à entrevoir. Pour<br />
l’heure, le changement qui s’opérait peu à peu se traduisait par<br />
l’arrêt des cours d’arabe et de danse, pour cause de maladie de<br />
mesdames Samira et Inès, les enseignantes.<br />
Toujours pleine de sons et de couleurs, Alexandrie continuait de<br />
vivre au rythme des chansons à la mode. Sur les plages, on<br />
fredonnait, insouciants, «Aïe, aïe, aïe, Maria, Maria de Bahia…». Mais<br />
en ville, le changement, sournois, s’opérait. On ne grignotait plus<br />
pendant des heures les pépins blancs, les soudanis ou les pois<br />
chiches grillés. Dans les cafés, les tables de trictrac sur lesquelles<br />
les dés avaient coutume de s’entrechoquer, restaient vides. Les<br />
devantures fermaient bien avant l’heure, les gens, d’habitude<br />
nonchalants, marchaient de plus en plus vite. Puis ce fut le<br />
couvre-feu, les sirènes stridentes. Les familles juives, de plus en plus<br />
apeurées, découvraient les titres des journaux parlant de<br />
“l’agression tripartite anglo-franco-israélienne” contre l’Égypte.<br />
Octobre 1956. Les Juifs d’Égypte, installés dans le pays depuis des<br />
millénaires, bien avant l’arrivée des Arabes, se préparaient à<br />
l’exode qu’ils pressentaient définitif.<br />
Et puis, un matin, sans crier gare, la guerre s’introduit dans la famille<br />
juive de Marie Minou. Des gens simples et tranquilles qui n’ont<br />
commis comme seul crime que celui d’être juifs. «Des menottes<br />
cliquettent, des sanglots s’étouffent, des portes claquent encore. Mon<br />
père dit trois mots indistincts, en français. Les soldats, ils doivent être<br />
trois, assènent leurs ordres en arabe. Silences et fureurs mêlés».<br />
Georges, le père, emprisonné, la famille décide de quitter<br />
l’Égypte pour la France. En abandonnant tout ou presque.<br />
«Un après-midi, trois jeunes Égyptiens, en civil, se présentèrent à la<br />
maison, avec pour mission d’embarquer nos meubles et nos objets<br />
personnels. –Vous êtes expulsés, bredouilla le plus petit d’entre eux, on<br />
a l’ordre de ramasser vos biens. Laissez-nous travailler».<br />
Au port où l’on retrouve enfin le père, amaigri, barbu,<br />
méconnaissable, mais sauf, heureusement, le bateau est là pour le<br />
grand départ. Treize jours d’un voyage éprouvant et, au bout, la<br />
France, terre d’exil. Le soleil d’Alexandrie n’est plus qu’un<br />
souvenir. Il faut tout rebâtir à zéro en apprenant à ne plus rouler<br />
les “r” pour ne pas paraître étrangers. L’hôtel, les maisons de<br />
banlieue qu’on occupe à plusieurs familles. De Savigny-sur-Orge à<br />
Nanterre, la vie finit par reprendre son cours et le dessus sur la<br />
tristesse infinie de l’exil.<br />
Et puis un jour, bien plus tard, c’est le retour au pays, le pèlerinage<br />
tant espéré. Elle est toujours là,Alexandrie, avec sa rue Fouad, ses<br />
marchands ambulants de foul, la saveur citronnée des feuilles de<br />
vigne et du miel des khonafas que confectionnait Olga, la<br />
grand-mère. Mais les Juifs, eux, ont disparu. Le petit cimetière juif<br />
de la ville est abandonné aux ronces. Alexandrie n’est plus<br />
Alexandrie. Un livre nostalgique et tendre.<br />
Éditions Creaxion. Mars 2006. 208 pages. 16€