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Et le Jourdain arrêta de couler<br />
Du nord au sud, depuis les hauteurs du Golan, le Jourdain traverse les terres fertiles<br />
de Galilée et le lac de Kinnereth, serpente à travers une vallée désertique et plonge dans<br />
les eaux salées de la mer Morte. Il a été le lieu de multiples épisodes de l’histoire de la<br />
Terre sainte.<br />
Revenons trente-deux ou trente-trois siècles en arrière.<br />
Dans les plaines de Moab, à l’est du Jourdain, campe un<br />
peuple sémite, les Hébreux. Esclaves en Egypte, ils ont<br />
quitté l’empire des Pharaons quarante ans plus tôt.<br />
Leur chef, Moïse, vient de mourir. Son successeur, Josué bin<br />
Nun, attend le moment propice pour traverser le Jourdain,<br />
d’est en ouest, et prendre possession de la Terre promise de<br />
Canaan, où vécurent jadis les patriarches hébreux. De l’autre<br />
côté du fleuve se dresse l’imposante Jéricho. Comment<br />
traverser la rivière ? Le passage à l’aide d’embarcations serait<br />
possible pour un voyageur isolé ou une famille. Mais ce sont<br />
les douze tribus d’Israël qui doivent entrer dans leur patrie<br />
ancestrale et combattre leurs ennemis cananéens. Alors se<br />
produit le prodige décrit dans la Bible : «Arrivés au Jourdain,<br />
sitôt que les prêtres, porteurs de l’Arche, eurent leurs pieds dans<br />
les eaux, lesquelles couvraient toutes ses rives à cette époque de<br />
la moisson, les eaux d’amont s’arrêtèrent et formèrent comme un<br />
mur, tandis que les eaux d’aval, dans la direction de la mer du<br />
Désert ou mer du sel, achevaient de s’écouler ; et le peuple<br />
effectua son passage en face de Jéricho» (Josué III, 16-17).<br />
Pour l’auteur sacré, cet évènement est providentiel :<br />
l’Eternel a ouvert un passage au milieu du fleuve pour<br />
permettre à son peuple de gagner le sol ancestral.Après les<br />
grands prodiges de la délivrance, les dix plaies d’Egypte, la<br />
traversée de la mer Rouge, la manne nourricière du désert<br />
du Sinaï, un nouveau miracle vient de clore le chapitre de<br />
l’exil et inaugurer l’histoire du Peuple d’Israël sur sa terre.<br />
L’homme qui accomplit ce dernier prodige n’est pas Moise,<br />
le grand législateur, mais son humble continuateur, Josué.<br />
Pour la tradition juive, cet épisode ne témoigne nullement de<br />
pouvoirs magiques de Josué. Il est un signe (oth) de la toute<br />
puissance du Créateur, renversant les Lois de la Nature pour<br />
secourir son peuple.<br />
Selon les anciens chronologistes juifs du Seder Olam Rabbah,<br />
la traversée du Jourdain par les Hébreux sous la conduite de<br />
Josué est un événement historique incontestable, qui a eu lieu<br />
très exactement le 10 du mois de Nissan de l’an 2533 de la<br />
création du monde, trente-trois jours après la mort de<br />
Moïse. Les Sages du Midrash ont mis en valeur le caractère<br />
providentiel et surnaturel de cet épisode : ils signalent que<br />
l’arrêt miraculeux des eaux du Jourdain n’était nullement<br />
nécessaire pour permettre le passage du fleuve.<br />
Nombre de personnages bibliques, comme le patriarche<br />
Abraham ou le roi David ont traversé le fleuve sans aucun<br />
secours providentiel. Et les Sages de souligner que l’arrêt des<br />
eaux témoigne de l’omnipotence du Créateur aux yeux de<br />
ses créatures. Une idée reprise par Ramban (Nahmanide),<br />
rabbin et philosophe médiéval : le miracle n’est pas<br />
nécessaire mais, dit-il, prouve la grandeur du maître céleste.<br />
Une idée très répandue dans un certain courant du<br />
judaïsme classique. Moïse Maïmonide s’oppose à cette<br />
vision. Dans son Mishné Torah (code de la Loi juive), il<br />
considère que tous les miracles (le-tsorekh assaam) ont été<br />
produits pour répondre à un besoin. Selon cette doctrine, le<br />
passage de la rivière n’était pas un acte gratuit, une pure<br />
expression du pouvoir divin éblouissant les créatures<br />
humaines, mais un acte de délivrance providentiel des faibles<br />
et des opprimés face aux puissants et aux oppresseurs.<br />
C’est cette signification théologique de l’événement qui a<br />
marqué profondément la conscience juive à travers les<br />
siècles. L’Eternel n’est pas seulement, le Créateur du cosmos,<br />
le Législateur de la nature, il est Celui qui désorganise<br />
l’ordonnancement harmonieux de son univers pour libérer<br />
des esclaves et les conduire à la Terre promise.<br />
Au siècle des Lumières, Voltaire, Diderot, d’Holbach,<br />
La Mettrie, d’Alembert commencent à démolir l’édifice<br />
puissant de la foi officielle. Pour Voltaire, les chroniques<br />
bibliques ne sont le plus souvent que des légendes inventées<br />
par des prêtres juifs fanatiques et bornés, adoptés par<br />
l’Eglise, refuge de l’obscurantisme. Le XIX e siècle voit la<br />
naissance de la haute critique allemande de la Bible : le récit<br />
du passage miraculeux du Jourdain sous la direction de Josué<br />
est alors considéré comme une partie de l’ “Hexateuque”,<br />
ensemble des six premiers livres bibliques rédigés et<br />
compilés plusieurs siècles après Josué. L’auteur tardif y aurait<br />
introduit des sagas et des mythes d’origine orientale en les<br />
présentant comme des faits historiques. Bref : Josué n’aurait