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TRIBU 12+ N.11

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6<br />

Et le Jourdain arrêta de couler<br />

Du nord au sud, depuis les hauteurs du Golan, le Jourdain traverse les terres fertiles<br />

de Galilée et le lac de Kinnereth, serpente à travers une vallée désertique et plonge dans<br />

les eaux salées de la mer Morte. Il a été le lieu de multiples épisodes de l’histoire de la<br />

Terre sainte.<br />

Revenons trente-deux ou trente-trois siècles en arrière.<br />

Dans les plaines de Moab, à l’est du Jourdain, campe un<br />

peuple sémite, les Hébreux. Esclaves en Egypte, ils ont<br />

quitté l’empire des Pharaons quarante ans plus tôt.<br />

Leur chef, Moïse, vient de mourir. Son successeur, Josué bin<br />

Nun, attend le moment propice pour traverser le Jourdain,<br />

d’est en ouest, et prendre possession de la Terre promise de<br />

Canaan, où vécurent jadis les patriarches hébreux. De l’autre<br />

côté du fleuve se dresse l’imposante Jéricho. Comment<br />

traverser la rivière ? Le passage à l’aide d’embarcations serait<br />

possible pour un voyageur isolé ou une famille. Mais ce sont<br />

les douze tribus d’Israël qui doivent entrer dans leur patrie<br />

ancestrale et combattre leurs ennemis cananéens. Alors se<br />

produit le prodige décrit dans la Bible : «Arrivés au Jourdain,<br />

sitôt que les prêtres, porteurs de l’Arche, eurent leurs pieds dans<br />

les eaux, lesquelles couvraient toutes ses rives à cette époque de<br />

la moisson, les eaux d’amont s’arrêtèrent et formèrent comme un<br />

mur, tandis que les eaux d’aval, dans la direction de la mer du<br />

Désert ou mer du sel, achevaient de s’écouler ; et le peuple<br />

effectua son passage en face de Jéricho» (Josué III, 16-17).<br />

Pour l’auteur sacré, cet évènement est providentiel :<br />

l’Eternel a ouvert un passage au milieu du fleuve pour<br />

permettre à son peuple de gagner le sol ancestral.Après les<br />

grands prodiges de la délivrance, les dix plaies d’Egypte, la<br />

traversée de la mer Rouge, la manne nourricière du désert<br />

du Sinaï, un nouveau miracle vient de clore le chapitre de<br />

l’exil et inaugurer l’histoire du Peuple d’Israël sur sa terre.<br />

L’homme qui accomplit ce dernier prodige n’est pas Moise,<br />

le grand législateur, mais son humble continuateur, Josué.<br />

Pour la tradition juive, cet épisode ne témoigne nullement de<br />

pouvoirs magiques de Josué. Il est un signe (oth) de la toute<br />

puissance du Créateur, renversant les Lois de la Nature pour<br />

secourir son peuple.<br />

Selon les anciens chronologistes juifs du Seder Olam Rabbah,<br />

la traversée du Jourdain par les Hébreux sous la conduite de<br />

Josué est un événement historique incontestable, qui a eu lieu<br />

très exactement le 10 du mois de Nissan de l’an 2533 de la<br />

création du monde, trente-trois jours après la mort de<br />

Moïse. Les Sages du Midrash ont mis en valeur le caractère<br />

providentiel et surnaturel de cet épisode : ils signalent que<br />

l’arrêt miraculeux des eaux du Jourdain n’était nullement<br />

nécessaire pour permettre le passage du fleuve.<br />

Nombre de personnages bibliques, comme le patriarche<br />

Abraham ou le roi David ont traversé le fleuve sans aucun<br />

secours providentiel. Et les Sages de souligner que l’arrêt des<br />

eaux témoigne de l’omnipotence du Créateur aux yeux de<br />

ses créatures. Une idée reprise par Ramban (Nahmanide),<br />

rabbin et philosophe médiéval : le miracle n’est pas<br />

nécessaire mais, dit-il, prouve la grandeur du maître céleste.<br />

Une idée très répandue dans un certain courant du<br />

judaïsme classique. Moïse Maïmonide s’oppose à cette<br />

vision. Dans son Mishné Torah (code de la Loi juive), il<br />

considère que tous les miracles (le-tsorekh assaam) ont été<br />

produits pour répondre à un besoin. Selon cette doctrine, le<br />

passage de la rivière n’était pas un acte gratuit, une pure<br />

expression du pouvoir divin éblouissant les créatures<br />

humaines, mais un acte de délivrance providentiel des faibles<br />

et des opprimés face aux puissants et aux oppresseurs.<br />

C’est cette signification théologique de l’événement qui a<br />

marqué profondément la conscience juive à travers les<br />

siècles. L’Eternel n’est pas seulement, le Créateur du cosmos,<br />

le Législateur de la nature, il est Celui qui désorganise<br />

l’ordonnancement harmonieux de son univers pour libérer<br />

des esclaves et les conduire à la Terre promise.<br />

Au siècle des Lumières, Voltaire, Diderot, d’Holbach,<br />

La Mettrie, d’Alembert commencent à démolir l’édifice<br />

puissant de la foi officielle. Pour Voltaire, les chroniques<br />

bibliques ne sont le plus souvent que des légendes inventées<br />

par des prêtres juifs fanatiques et bornés, adoptés par<br />

l’Eglise, refuge de l’obscurantisme. Le XIX e siècle voit la<br />

naissance de la haute critique allemande de la Bible : le récit<br />

du passage miraculeux du Jourdain sous la direction de Josué<br />

est alors considéré comme une partie de l’ “Hexateuque”,<br />

ensemble des six premiers livres bibliques rédigés et<br />

compilés plusieurs siècles après Josué. L’auteur tardif y aurait<br />

introduit des sagas et des mythes d’origine orientale en les<br />

présentant comme des faits historiques. Bref : Josué n’aurait

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