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12<br />

Bagdad<br />

Opinions & débat<br />

www.lematin.ma sur notre site vous trouverez<br />

d’autres informations et toutes nos rubriques pratiques : TV, jeux, météo…<br />

La guerre d’Irak, dix ans plus tard<br />

Par Joseph S. Nye<br />

Professeur à Harvard et auteur<br />

de «The Future of Power»<br />

(L’avenir du pouvoir)<br />

Il y a dix ans ce mois-ci commençait<br />

l’invasion controversée<br />

de l’Irak, lancée par une coalition<br />

dirigée par les États-Unis. Quelles ont<br />

été les retombées de cette décision au<br />

cours de la décennie écoulée ? Et plus<br />

important, cette décision a-t-elle été<br />

prise à bon escient ?<br />

Dans une perspective positive, les<br />

analystes soulignent le renversement<br />

de Saddam Hussein, la mise en place<br />

d’un gouvernement élu, et une économie<br />

qui croît de 9% par an, avec<br />

des exportations de pétrole dépassant<br />

le niveau d’avant-guerre. Certains,<br />

comme Nadim Shehadi du groupe<br />

de réflexion britannique, Chatham<br />

House, vont plus loin en affirmant<br />

que si «les États-Unis ont certainement<br />

eu les yeux plus gros que le ventre<br />

en Irak», l’intervention américaine<br />

«pourrait avoir sorti la région d’une<br />

stagnation qui a dominé les vies d’au<br />

moins deux générations». <strong>Le</strong>s sceptiques<br />

rétorquent qu’il est faux de lier<br />

la guerre d’Irak au Printemps arabe,<br />

parce que les événements de 2 011<br />

en Tunisie et en Égypte avaient leurs<br />

propres causes, et que la rhétorique<br />

et les actes du président George W.<br />

Bush ont plus discrédité la cause de<br />

<strong>Le</strong> coût total de la guerre est estimé à 1 milliard de dollars.<br />

la démocratie dans la région qu’ils ne<br />

l’ont fait progresser. <strong>Le</strong> renversement<br />

de Saddam Hussein était certes important,<br />

mais l’Irak est aujourd’hui un<br />

pays où règne la violence, dirigé par un<br />

gouvernement sectaire, avec un indice<br />

de corruption qui le place au 169 e rang<br />

sur 174 pays.<br />

Q u e l s q u e<br />

soient les bénéfices<br />

de cette<br />

guerre, affirment<br />

en outre les sceptiques,<br />

ils sont<br />

trop faibles pour<br />

justifier son prix : plus de 150 000 Irakiens<br />

et 4 488 soldats américains tués,<br />

et un coût total estimé à près d’un milliard<br />

de dollars (sans compter les coûts<br />

d’invalidité et de santé à long terme<br />

d’environ 32 000 soldats américains<br />

blessés). Ce bilan paraîtra peut-être<br />

Un lourd bilan :<br />

150 000 Irakiens<br />

et 4 488 soldats<br />

américains tués.<br />

différent dans une décennie, mais une<br />

grande majorité d’Américains donne<br />

aujourd’hui raison aux sceptiques et<br />

ce point de vue influence la politique<br />

étrangère américaine actuelle. Il est<br />

très peu probable que, dans les dix<br />

ans à venir, les États-Unis se lancent<br />

dans l’occupation<br />

et la transformation<br />

d’un autre<br />

pays. Comme<br />

l’a dit l’ancien<br />

secrétaire à la<br />

Défense, Robert<br />

Gates, peu avant<br />

de quitter ses fonctions, tout conseiller<br />

recommandant cette voie devrait «être<br />

examiné par un médecin». Certains<br />

qualifient cette position d’isolationniste,<br />

mais il serait sans doute plus<br />

juste de la qualifier de prudente ou<br />

de pragmatique. Il faut se souvenir<br />

que le président américain Dwight<br />

Eisenhower avait refusé d’envoyer<br />

des troupes américaines prêter mainforte<br />

aux Français à Diên Biên Phu<br />

en 1954 par crainte de voir les États-<br />

Unis «engloutis par les divisions» vietnamiennes.<br />

Et Eisenhower était loin<br />

d’être un isolationniste. Bien qu’il soit<br />

peut-être prématuré, après une décennie,<br />

de rendre un verdict définitif<br />

sur les conséquences à long terme de<br />

la guerre d’Irak, il n’est pas trop tôt<br />

pour évaluer le processus par lequel<br />

l’administration Bush est parvenue à<br />

cette décision. Bush et les responsables<br />

de l’époque ont avancé trois arguments<br />

principaux pour justifier l’invasion<br />

de l’Irak. <strong>Le</strong> premier liait Saddam<br />

Hussein à Al Qaïda. <strong>Le</strong>s sondages<br />

d’opinion ont montré que l’opinion<br />

publique américaine avait, dans sa majorité,<br />

accepté pour argent comptant<br />

cette affirmation, mais aucune preuve<br />

n’est jamais venue l’étayer. En fait,<br />

les éléments présentés publiquement<br />

étaient maigres et exagérés. <strong>Le</strong> deuxième<br />

argument voulait que le remplacement<br />

de Saddam Hussein par<br />

un régime démocratique contribue à<br />

transformer l’environnement politique<br />

du Moyen-Orient. Plusieurs membres<br />

néo-conservateurs de l’administration<br />

avaient appelé à un changement de<br />

régime en Irak avant d’entrer en fonction,<br />

sans toutefois parvenir à en faire<br />

une réalité politique durant les huit<br />

premiers mois de l’administration<br />

Bush. Après le 11 septembre 2001, ils<br />

se sont hâtés de profiter de l’occasion offerte<br />

par ces attentats terroristes. Bush<br />

a souvent parlé d’un changement de<br />

régime et d’un ordre du jour en faveur<br />

de la liberté et ses partisans ont évoqué<br />

le rôle de l’occupation militaire américaine<br />

dans la démocratisation de l’Allemagne<br />

et du Japon après la Seconde<br />

Guerre mondiale. Mais l’administration<br />

Bush a utilisé sans discernement<br />

les analogies historiques et s’est montrée<br />

négligente dans sa préparation inadéquate<br />

de l’occupation de l’Irak. <strong>Le</strong><br />

troisième argument était d’empêcher<br />

Saddam Hussein de se doter d’armes<br />

de destruction massive. Il était clair,<br />

pour une grande partie de la communauté<br />

internationale, que Hussein<br />

défiait les résolutions du Conseil de<br />

sécurité des Nations unies depuis plus<br />

de dix ans. De plus, la Résolution 1441<br />

ordonnait sans ambiguïté à Bagdad de<br />

détruire tous ses programmes d’armes<br />

de destruction massive sous peine d’un<br />

recours à la force. Bien que Bush se soit<br />

par la suite trouvé en défaut lorsque les<br />

inspecteurs n’ont trouvé aucune arme<br />

de ce genre, l’idée que Saddam Hussein<br />

les avait développées était partagée<br />

par de nombreux pays. Procéder avec<br />

prudence aurait donné un peu plus<br />

LE MATIN<br />

Lundi 18 mars 2013<br />

de temps aux inspecteurs, mais Bush<br />

n’était pas le seul à se tromper.<br />

Bush a dit que l’Histoire lui donnerait<br />

raison et il s’est comparé au Président<br />

Harry Truman, dont la présidence est<br />

perçue comme positive aujourd’hui,<br />

alors qu’il était au plus bas dans les sondages<br />

à la fin de son mandat à cause de<br />

la guerre de Corée. On peut toutefois<br />

se demander si l’Histoire montrera la<br />

même indulgence envers la présidence<br />

de Bush. <strong>Le</strong> biographe du Président<br />

Truman, David McCullough, pense<br />

qu’un demi-siècle doit s’écouler avant<br />

de pouvoir évaluer correctement une<br />

présidence. Mais une décennie après<br />

celle de Truman, le Plan Marshall et<br />

l’OTAN étaient déjà des réalisations<br />

solides. Bush ne peut se targuer de<br />

succès analogues pour compenser sa<br />

mauvaise gestion de l’Irak.<br />

Si l’Histoire tend à ne montrer<br />

aucune clémence envers les malchanceux,<br />

les historiens jugent les dirigeants<br />

en fonction des causes de leur chance<br />

ou malchance. Un bon entraîneur<br />

sportif analysera le jeu de son équipe<br />

et celui de leur adversaire de façon à<br />

retirer un enseignement des erreurs<br />

commises et profiter de la «chance».<br />

Mais une perception erronée de la<br />

réalité et une prise de risque excessive<br />

et inutile sont souvent synonymes de<br />

«malchance». Il est probable que les<br />

historiens de demain reprocheront à<br />

Bush ces défauts. Même si des événements<br />

fortuits débouchent sur un<br />

meilleur Moyen-Orient dans les dix<br />

ans à venir, les historiens critiqueront<br />

le processus de décision de Bush et la<br />

manière dont il a distribué les risques<br />

et les coûts de ses actions. Guider son<br />

peuple au sommet de la montagne<br />

est une chose ; c’en est une autre de<br />

l’amener au bord du gouffre. n<br />

Copyright : Project Syndicate, 2013.<br />

www.project-syndicate.org

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