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Agone n° 31/32 - pdf - Atheles

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HOWARD ZINN 11<br />

L’adoption du Sedition Act fut l’occasion de dénoncer ceux qui critiquaient<br />

le gouvernement. Un membre du Congrès informa ses collègues<br />

que « les philosophes [étaient] les avant-coureurs de la Révolution. Ils<br />

[…]ouvrent la voie en prêchant la trahison et en sapant le respect populaire<br />

vis-à-vis de nos antiques institutions. Ils invoquent la perfectibilité<br />

de l’homme, la dignité de la nature humaine et, négligeant ce qu’il est<br />

effectivement, débattent interminablement de ce qu’il devrait être 4 ». Le<br />

passage sur ce que l’homme « est effectivement » pourrait sortir tout<br />

droit de l’œuvre de Machiavel.<br />

L’atmosphère qui régnait à l’époque à la Chambre des représentants<br />

manquait singulièrement de dignité. Un congressiste du Vermont,<br />

l’Irlandais Matthew Lyon, se battit avec Griswold, du Connecticut. Lyon<br />

avait craché à la figure de Griswold, lequel répliqua à coups de canne<br />

avant que Lyon ne lui tombât dessus avec un tisonnier et qu’ils ne roulassent<br />

tous deux à terre. Les autres congressistes, s’étant d’abord contentés<br />

d’observer la scène, se décidèrent finalement à les séparer. Un<br />

Bostonien s’emporta contre Lyon : « Je suis outré que la salive d’un<br />

Irlandais ait pu souiller le visage d’un Américain. 5 »<br />

Lyon avait écrit un article dans lequel il affirmait que, sous la présidence<br />

d’Adams, « le bien-être de la population passait après la quête<br />

incessante de pouvoirs, l’instauration de cérémonies d’une pomposité<br />

ridicule, l’adulation délirante et la cupidité égoïste ». Accusé d’avoir violé<br />

le Sedition Act, Lyon fut condamné et passa quatre mois en prison.<br />

On emprisonna peu de gens au nom du Sedition Act – dix en tout –<br />

mais, par nature, les lois répressives n’ont pas besoin d’être appliquées à<br />

un grand nombre de personnes pour créer une atmosphère dans laquelle<br />

les esprits potentiellement critiques à l’égard du gouvernement hésitent<br />

à s’exprimer.<br />

Tout individu doté d’une intelligence normale pourrait penser, à la<br />

simple lecture du Premier Amendement (« Le Congrès ne fera aucune<br />

loi […] restreignant la liberté de parole ou de la presse »), que le<br />

Sedition Act violait clairement la Constitution. Mais c’est là, justement,<br />

qu’apparaît le premier indice de l’inanité de mots couchés sur le papier<br />

quand il s’agit de garantir les droits des citoyens. Ces mots, aussi puissants<br />

qu’ils puissent paraître, sont interprétés par les hommes de loi et<br />

4. Miller, Crisis in Freedom, op. cit.<br />

5. Ibid.

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