Agone n° 31/32 - pdf - Atheles

HOWARD ZINN 17
de l’argent dans le secteur de la communication et de restreindre leur
aptitude à écarter des ondes les opinions qui leur déplaisent.
En 1973, la Cour suprême décréta que CBS avait le droit de refuser
une publicité émanant d’un groupe d’hommes d’affaires qui s’opposaient
à la guerre du Vietnam. Même le juge libéral William O. Douglas se rallia
à la majorité en prétextant que les autorités ne devaient pas discuter
le fait que CBS pouvait vendre son espace publicitaire à qui elle le souhaitait.
Ce faisant, bien entendu, il reconnaissait à CBS le droit de peser
sur l’accès au canal télévisuel de citoyens engagés 16 .
Le juge Douglas affirma que « la télé et la radio […] ont le droit de
jouir de la doctrine du laissez-faire que préconise le Premier
Amendement ». Il tombait là dans le piège sous-jacent de cette théorie :
elle prétend respecter la liberté des individus en gardant soigneusement
le gouvernement de toute intervention et en négligeant le fait qu’ils se
retrouvent alors à la merci des personnalités les plus riches de la société.
La « doctrine de justice » elle-même, qui constitue un progrès relatif
en exigeant que les médias accordent un certain temps d’expression aux
points de vue contradictoires, fut considérablement affaiblie par le
Congrès lorsqu’il en exclut, en 1959, les débats politiques et les conférences
de presse. Cela signifie que le président des États-Unis ou n’importe
quel membre du gouvernement peut tenir une conférence de
presse et s’adresser comme il le souhaite à une audience phénoménale
sans risquer de se faire contredire par les critiques de l’opposition. Cela
signifie aussi que, lors des campagnes présidentielles, les débats entre
prétendants à la fonction peuvent se limiter aux seuls partis démocrate
et républicain à l’exclusion des partis moins puissants. Le parti démocrate
s’opposa à la mesure concernant les conférences de presse mais la
Cour suprême refusa de l’entendre en appel. Le Socialist Workers Party
alla aussi devant les tribunaux en affirmant que son candidat avait
16. Columbia Broadcasting System Unc. vs Democratic National Committee, 1973.
Deux ans plus tard, une décision de la Cour suprême annula un règlement de
Floride qui accordait à un candidat politique attaqué le droit de répondre par
voie de presse. À nouveau, il s’agissait d’une illustration de la doctrine du
laissez-faire par laquelle les autorités gouvernementales sont tenues à l’écart des
affaires du monde de l’information tout en permettant à l’autorité détenue de
facto par un puissant journal de décider quelles opinions politiques doivent
être diffusées. Miami Herald vs Tornillo, 1974.