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L I T T É R A T U R E Q U É B É C O I S E Q<br />
12 • LE LIBRAIRE • AVRIL | MAI 2013<br />
ENTREVUE<br />
Kim Thúy ouvre la porte. <strong>Le</strong> téléphone à l’oreille, elle gesticule, me guide vers la cuisine.<br />
La table est montée. Un plat de fruits fraîchement coupés (mangue, papaye, framboises,<br />
kumquats), un thé japonais, d’exquises noix de cajou, un pain café-chocolat égrené sur<br />
un yaourt aux agrumes. Elle sait accueillir. Elle sait rayonner.<br />
L’écrivaine a toutes les raisons de scintiller. Ru, son premier roman paru quasi<br />
anonymement et qui a causé la surprise en 2009 grâce à sa sensibilité, son authenticité<br />
et ses qualités littéraires, constitue l’un des plus beaux succès de l’édition québécoise<br />
contemporaine. L’œuvre traduite en plus de vingt langues continue de séduire la<br />
planète : dans les derniers mois, l’auteure s’est déplacée en Écosse, en Roumanie, en<br />
Bulgarie, en Serbie. Partout, la critique est charmée, le public, conquis – les 220 000<br />
exemplaires écoulés le prouvent! –, les honneurs, décernés (Prix du Gouverneur général,<br />
Grand Prix RTL-Lire).<br />
Kim Thúy a été prise dans un tourbillon : « Ceci n’est pas ma vie. Ma vie devrait être<br />
insignifiante. Ma vraie nature est que je suis faible, petite. Je ne suis pas capable de rêver.<br />
Et tout ça… C’est incroyable. » Certains auraient été intimidés par cette consécration,<br />
d’autres auraient craint de reprendre la plume. Pas Kim Thúy. L’anxiété, très peu pour<br />
elle : « Je n’ai plus le contrôle. Mon livre est terminé. La suite, ce n’est que du plaisir. Ne<br />
me reste plus qu’à en parler et à attendre les commentaires des gens qui l’auront lu. »<br />
Chose certaine, son nouvel ouvrage – Mãn – fera courir les foules en librairie. Déjà, le<br />
livre attire l’attention en France, où il a été retenu parmi les finalistes du Prix Ouest-<br />
France Étonnants Voyageurs.<br />
KIM THÚY<br />
Petit ruisseau devient grand<br />
Avec Kim Thúy, on touche le vrai, l’authentique. On frôle le succès – inespéré, inédit, insensé.<br />
On effleure la réussite d’une écrivaine, certes, mais surtout celle d’une femme caméléon, d’une force pétillante.<br />
Par Dominique <strong>Le</strong>mieux<br />
© Rafal Maslow<br />
La messagère<br />
Elle rit souvent, Kim Thúy. Elle a l’œil taquin, vif. On pourrait la croire naïve, mais non.<br />
Un brin timide, oui, mais si peu. Pourtant, quand elle parle de son nouveau roman,<br />
elle s’emballe : « Je l’avais dans le ventre ce livre. Malgré mes nombreux voyages, je<br />
l’ai écrit entre juillet et décembre. Je ne sais pas comment j’ai fait. J’ai l’impression<br />
d’être une messagère, ça sortait tout seul. » Un soir de tempête, elle a mis le point<br />
final. Elle ne voulait pas abandonner ce texte, mais le moment était venu de se<br />
séparer de Mãn, son personnage principal, une femme dont le nom signifie<br />
« parfaitement comblée », née au Vietnam, établie à Montréal avec son mari<br />
restaurateur – son seul point d’ancrage au Québec –, cuisinière hors pair.<br />
Mãn parle d’amour. C’est presque anodin : une femme mariée rencontre un homme.<br />
Un hasard, heureux et troublant. Elle découvre la passion, la vraie, bien loin du<br />
mariage de raison, silencieux et décidé par sa mère, qu’elle subit depuis des années.<br />
Elle apprend peu à peu le véritable sens du verbe « aimer ». L’amour libère Mãn, lui<br />
permet de s’affirmer, de s’écouter. « L’amour est intangible, déclare l’ancienne<br />
restauratrice. <strong>Le</strong>s grands moments d’amour sont souvent sans mots. Quand on aime<br />
quelqu’un, on sait toujours comment l’accompagner, comment l’épauler. Cependant,<br />
la manière d’aimer est différente selon les cultures. Au Vietnam, l’amour est basé<br />
sur l’abnégation, le sacrifice. »<br />
L’amour surgit aussi par l’amitié avec Julie, une exubérante Québécoise, et, surtout,<br />
par la mère. <strong>Le</strong>s mères, devrions-nous écrire. Il y a d’abord celle, adolescente, qui a