You also want an ePaper? Increase the reach of your titles
YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.
44 • LE LIBRAIRE • AVRIL | MAI 2013<br />
L’ASSOCIATION<br />
Un esprit d’indépendance<br />
Une hydre dessinée à la manière d’un pictogramme : voilà<br />
le logo, révélateur de sa nature, de l’Association, maison<br />
d’édition avant-gardiste qui maintient la tête hors de l’eau<br />
grâce à sa capacité à vaincre les lieux communs et à se<br />
poser en catalyseur d’unicité.<br />
Par Ghada Belhadj,<br />
de la librairie <strong>Le</strong> Fureteur (Saint-Lambert)<br />
<strong>Le</strong>s albums édités sous la bannière de l’Association font tous<br />
la part belle à cet esprit de singularité. Il est en effet bien<br />
facile de les repérer sur les rayons d’une librairie grâce à ce<br />
format bien particulier, loin des standards de la bande<br />
dessinée francophone : couvertures monochromes en<br />
papier souple, absence de description en quatrième de<br />
couverture, contenu en noir et blanc et codes-barres sur<br />
étiquette facile à décoller. L’aspect unique de ces volumes<br />
constitue une marque de fabrique de l’éditeur qui, au cours<br />
de ses quelque vingt-trois années d’existence, a permis de<br />
faire connaître des grands noms de la bande dessinée<br />
contemporaine (Joann Sfar, Marc-Antoine Mathieu ou<br />
Rabaté ) et a su insuffler une plus grande variété dans le<br />
monde du 9 e art.<br />
À l’origine de cette petite maison d’édition qui a su se forger<br />
une belle réputation, soulignons le désir partagé entre sept<br />
jeunes créateurs de bandes dessinées de bouleverser les<br />
codes éditoriaux. <strong>Le</strong>ur idée consistait à donner, d’une part,<br />
un plus grand pouvoir de décision aux auteurs dans le<br />
processus de production des albums et, d’autre part,<br />
l’occasion aux lecteurs de découvrir des œuvres plus<br />
littéraires ou expérimentales. <strong>Le</strong>s pionniers que sont David<br />
B., Patrice Killoffer, Mattt Konture, Jean-Christophe Menu,<br />
Mokeït, <strong>Le</strong>wis Trondheim et Stanislas se sont tout d’abord<br />
retrouvés autour d’un projet de revue intitulée LABO et c’est<br />
en 1990 qu’ils donnent à leur collaboration une tournure<br />
plus officielle, avec la fondation proprement dite de<br />
l’Association.<br />
L’indépendance des artistes, qui peut être ébranlée par les<br />
contraintes économiques du marché de la bande dessinée,<br />
est farouchement défendue par l’Association. Au cours de ses<br />
premières années, alors que le catalogue de l’éditeur se<br />
développe petit à petit, un système d’adhésion lui permet de<br />
maintenir un équilibre financier. En s’acquittant d’une<br />
cotisation annuelle, les adhérents ont accès à des titres<br />
L’ASSOCIATION.<br />
UNE UTOPIE ÉDITORIALE ET<br />
ESTHÉTIQUE<br />
Collectif Acme<br />
<strong>Le</strong>s impressions nouvelles<br />
222 p. | 44,95$<br />
réservés et reçoivent des objets singuliers et loufoques,<br />
dignes de l’esprit de la maison.<br />
Au début des années 2000, l’Association fait sa marque en<br />
tant que maison publiant des œuvres originales de qualité.<br />
La publication et le grand succès de Persepolis de Marjane<br />
Satrapi viennent confirmer l’attrait du public pour cette<br />
production. La guerre d’Alan d’Emmanuel Guibert,<br />
L’ascension du haut mal par David B. profitent aussi d’un<br />
bel accueil et demeurent encore des valeurs sûres.<br />
L’Association ne se limite toutefois pas à éditer des auteurs<br />
francophones contemporains. Des auteurs tels que<br />
l’Américain Chris Ware, le Sud-Africain Joe Daly et<br />
l’Autrichien Mahler profitent de traductions fidèles aux<br />
versions originales. Des œuvres méconnues de Massimo<br />
Mattioli (M le magicien) et Jean-Claude Forest (créateur de<br />
l’héroïne Barbarella) sont aussi rééditées.<br />
À l’approche de ses 20 ans, la maison d’édition connaît<br />
pourtant une grande crise. <strong>Le</strong>s salariés entament une grève<br />
afin de protester contre le licenciement d’un certain<br />
nombre de leurs collègues. Il ne demeure d’ailleurs à cette<br />
époque que très peu d’auteurs qui ont vu la naissance de<br />
l’Association. Après maints affrontements et polémiques<br />
très médiatisés, qui en viennent à éclipser sa production<br />
artistique, l’éditeur retrouve un certain équilibre,<br />
probablement grâce au retour de collaborateurs de la<br />
première heure : David B., Killoffer et Trondheim.<br />
Ayant frôlé la fin du rêve, l’Association aborde une nouvelle<br />
décennie en favorisant un retour aux sources. <strong>Le</strong> programme<br />
d’adhésion est de nouveau encouragé, la revue emblé -<br />
matique Lapin retrouve sa formule originale. L’esprit<br />
indépendant et créatif de la maison d’édition est quant à lui<br />
resté intact et le lecteur ressent toujours l’enthousiasme<br />
communicatif d’auteurs de BD qui ont un jour eu l’idée de<br />
créer une maison d’édition qui leur ressemblerait.<br />
MOMENTS CLÉS DE L’ASSOCIATION<br />
François Ayroles<br />
L’Association<br />
56 p. | 15,95$<br />
Petite sélection<br />
d’albums de<br />
L’association<br />
Albert et les autres et Aline<br />
et les autres (Guy Delisle)<br />
Ses deux premières aventures<br />
autobio graphiques, Shenzhen et<br />
Pyongyang parues chez l’Asso -<br />
ciation ont placé Guy Delisle parmi<br />
les grands bédéistes qui s’adonnent<br />
au repor tage dessiné. L’humour<br />
qu’il y distille prime dans ces deux<br />
volumes en miroir, avec ces portraits d’hommes et de<br />
femmes modernes, parfois méchants, totalement<br />
hilarants.<br />
Lapinot et les carottes de<br />
Patagonie (<strong>Le</strong>wis Trondheim)<br />
Si vous avez déjà lu une bande<br />
dessinée de Trondheim, vous<br />
connaissez déjà son talent pour la<br />
scénarisation. Dans ce magnum<br />
opus, le personnage récurrent de<br />
Lapinot se retrouve embarqué dans<br />
une aventure plus grande que<br />
nature afin de goutter les prétendument délicieuses<br />
carottes de Patagonie. Un véritable festin pour le lecteur.<br />
Broderies (Marjane Satrapi)<br />
Bien qu’elles aient lieu dans un<br />
lointain Iran que l’on connaît, en<br />
somme, très peu, les histoires<br />
racontées par Marjane Satrapi sont<br />
teintées d’une belle mélancolie qui<br />
touche droit au cœur. <strong>Le</strong>s femmes<br />
sont les véritables héroïnes de ce<br />
volume qui, tout en rappelant l’imposant Persepolis,<br />
possède une ambiance qui lui est propre.<br />
Frank (Jim Woodring)<br />
Frank est un personnage aux allures<br />
de cartoon (il tient à la fois de Félix<br />
le chat et de Mickey Mouse) qui vit<br />
dans un monde muet et étrange<br />
régi par sa propre logique. On ne<br />
peut malheu reusement qu’évo -<br />
quer le choc provoqué par le visuel<br />
et la narration de cette bande<br />
dessinée de l’Américain Woodring. <strong>Le</strong>s histoires de Frank<br />
s’avèrent tout à la fois troublantes, amusantes, mélanco -<br />
liques. Elles n’offrent pas d’explications évidentes, mais<br />
marquent l’esprit comme un rêve d’enfance.