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Au-delà de la mélancolie ambiante qui semble assombrir leur existence, ses<br />
personnages, tous très imparfaits à leur façon, révèlent des comportements inusités<br />
ou affichent des traits de personnalité qui font sourire invariablement, teintant<br />
d’une légèreté le malheur de la mystérieuse disparition d’Aline et celui de sa petite<br />
Michelle, laissée derrière au village. En marge, certains d’entre eux se regroupent,<br />
se construisent et espèrent le retour de la disparue. <strong>Le</strong>s animaux, aussi importants<br />
que les humains, les accompagnent dans cette quête de chaleur, dans la précieuse<br />
conservation de l’espoir cultivé au fil des jours qui passent. « Une maison, ce n’est<br />
pas où on habite, c’est ceux qui nous habitent… », confie l’auteure qui a un jour été<br />
de ceux et celles qui n’ont pas de toit ou qui en ont plusieurs, de ceux et celles qui,<br />
sans être la copie conforme d’Aline, ont tout quitté pour mieux revenir.<br />
Partir pour revenir le cœur plus léger<br />
« La plupart d’entre nous devons un jour nous exiler, nous détacher de la famille et<br />
de ce lieu qui nous a vu naître. Souvent, on reste dans des situations nocives parce<br />
qu’on ne décide pas de prendre notre parti, alors qu’il faudrait juste être dans notre<br />
propre équipe, apprivoiser plus tard le courage de revenir changé, et, des fois,<br />
encore blessé », ajoute-t-elle pour expliquer la fuite de son héroïne.<br />
De ce qu’Aline a vécu, de l’endroit d’où elle revient, de ses remords et regrets, on<br />
ne sait presque rien. Comme on en sait très peu sur la plupart de ces êtres qui<br />
peuplent Rivière-Longue. Disciple de la culture du mystère, dans son premier opus,<br />
celle qui travaille depuis un bon moment dans le milieu de l’édition effleure ces<br />
êtres fictifs plus qu’elle ne les décrypte dans les moindres détails. « Ça donne la<br />
liberté au lecteur de comprendre, d’imaginer et de se faire ses propres scénarios.<br />
Je trouve qu’on dit déjà pas mal trop d’affaires dans la vie en général. On dit tout<br />
sur tout, tout le temps. »<br />
Voilà donc pourquoi l’art d’écrire d’Elise Lagacé repose sur des phrases courtes à<br />
travers lesquelles on arrive néanmoins à tout saisir, sans flafla, sans lourdeur. Sa<br />
signature franche et poétique est d’une redoutable efficacité : « La pluie a claqué<br />
sur la coque de leur abri de fortune. Ils n’ont fait que respirer et se tenir au chaud.<br />
Pour se rappeler qu’ils existaient. En ces temps-là, à Rivière-Longue, c’est ainsi que<br />
l’on faisait les enfants. Avec la mémoire nomade de ceux qui ne parlent pas. »<br />
Sous le sable, l’écriture<br />
En cours de création, « ses petits » à elle, l’auteure les enterre à la manière de la<br />
tortue de mer qui cache ses œufs dans le sable avant de revenir les déterrer<br />
lorsqu’ils sont prêts à éclore. « J’ai de longues périodes de gestation. Tout ce que je<br />
fais, je vis ou tous ceux que je rencontre dans mon quotidien vont venir se coller à<br />
mon idée de départ. Quand j’ai ce qu’il me faut, que tout semble sur le point<br />
d’émerger, j’y reviens en écrivant en un jet. »<br />
La courte année de Rivière-Longues’est écrit à travers des courriels qu’elle s’envoyait<br />
sur son téléphone intelligent lorsqu’elle prenait le métro pour se rendre à son travail.<br />
Cette relation épistolaire entretenue avec elle-même lui a permis de se « faire de<br />
la compagnie », comme elle se plaît à dire avec son sens de l’autodérision, à<br />
répondre à ses propres questions et en s’y trouvant bien sûr au bout du chemin<br />
pour se rassurer sur le temps qui fait bien les choses au final : « Car la vie, ce n’est<br />
que ça, vivre une heure à la fois, une journée à la fois, une année à la fois, écrit-elle.<br />
Et c’est ainsi que le pire devient supportable. »<br />
LA COURTE ANNÉE DE<br />
RIVIÈRE-LONGUE<br />
Hurtubise<br />
200 p. | 18,95$<br />
L E L I B R A I R E C R A Q U E<br />
FEMELLE FAUCON<br />
Nancy R. Lange, Écrits des Forges, 144 p., 15$<br />
Femelle Faucon est un hommage poétique vibrant dédié à<br />
la mère de Nancy R. Lange. <strong>Le</strong>s métaphores aviaires nous<br />
guident tout d’abord vers les souvenirs de l’enfance de<br />
l’auteure, entrelacés de bribes du passé de sa mère, puis sur<br />
les traces de la poète elle-même, qui lutte pour accepter le<br />
départ de celle qui l’a mise au monde. Parfois avec douceur,<br />
fermeté, ou bien un habile mélange des deux, mais toujours<br />
de manière touchante et imagée, Nancy R. Lange dévoile<br />
avec efficacité un univers où la sensibilité règne. <strong>Le</strong>s contraires<br />
s’y mélangent avec un équilibre trouble et finissent par se<br />
brouiller complètement. Un recueil qui fait réaliser que proie et prédateur, terre<br />
et ciel, ancrage et vol, vie et deuil ne sont peut-être pas si différents qu’on<br />
le croit.<br />
POÈMES<br />
Allen Ginsberg, Christian Bourgois, 992 p., 47,95$<br />
Friand d’expériences de toutes sortes, Allen Ginsberg a mis<br />
au monde une œuvre poétique considérable et à même de<br />
rendre compte de cette aventure étrange que fut sa vie.<br />
S’étalant sur plusieurs décennies, cette œuvre unique a su<br />
conserver une étonnante cohésion tant dans ses thèmes que<br />
par sa rigueur formelle. Chez lui, le vernaculaire le plus cru ne<br />
rechigne pas à se mêler à la plus haute et sensuelle spiritualité<br />
dans un élan cherchant à embrasser les multiples dimensions<br />
du réel afin de le rendre tout vibrant dans une écriture dont<br />
les sources semblent intarissables. Cette somme que<br />
constitue Poèmes s’ajoute à ses œuvres plus connues, Howl et Kaddish, et nous<br />
offre une traversée sans commune mesure d’un demi-siècle de contre-culture.<br />
UNE HEURE DE JOUR EN MOINS<br />
Jim Harrison, Flammarion, 220 p., 32,95$<br />
Jim Harrison est connu surtout comme étant une grosse<br />
pointure du roman, le prototype du « grand écrivain<br />
américain », mais n’oublions pas que cette force de la nature<br />
est aussi (j’oserais presque dire surtout) poète. Chez Harrison,<br />
la poésie est comme l’eau, l’air, le soleil : indispensable.<br />
Tellement qu’il se lève parfois la nuit pour en écrire : « Dors,/la<br />
nuit est là,/jour du chat,/jour de la chouette,/festin de<br />
l’étoile,/la lune règne sur son doux sujet,/obscure. »<br />
(« Berceuse pour une petite fille ») Une heure de jour en<br />
moins, recueil de textes écrits entre 1965 et 2010, nourrit<br />
l’esprit comme une randonnée d’automne en forêt assouvit le corps.<br />
CRANBOURNE<br />
Fabien Cloutier, Dramaturges, 90 p., 14,95$<br />
Alexandre Auger La Maison de l’Éducation (Montréal)<br />
Christian Girard Pantoute (Québec)<br />
Stéphane Picher Pantoute (Québec)<br />
C’est avec force et fracas que Fabien Cloutier nous revient avec<br />
ce monologue mettant en vedette une fois de plus « l’chum à<br />
Chabot ». Avec un langage cru, jouant sur la limite entre joual<br />
et vulgarité, mais toujours vrai, l’chum à Chabot nous raconte<br />
comment il a exaucé son désir d’avoir mieux, comment il a tout<br />
abandonné pour refaire sa vie à Sainte-Marie-de-Beauce<br />
comme employé dans les usines de desserts Vachon. Il pense<br />
même avoir trouvé l’amour. Tout semble parfait jusqu’à ce que,<br />
comme la syntaxe et l’orthographe, la situation dégénère, et<br />
ce, pour notre plus grand plaisir. Souvent drôle, parfois<br />
touchant, Cranbourne se révèle être un récit où nous retrouvons, passé les<br />
allures de redneck du protagoniste, une réalité qui nous touche tous.<br />
Alexandre Auger La Maison de l’Éducation (Montréal)<br />
P O É S I E e t T H É Â T R E P<br />
LE LIBRAIRE • AVRIL | MAI 2013 • 19