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30 • LE LIBRAIRE • AVRIL | MAI 2013 L I T T É R A T U R E É T R A N G È R E É<br />
LES CHOIX DE LA RÉDACTION<br />
LES BALEINES SE BAIGNENT NUES<br />
Eric Gethers, Calmann-Lévy<br />
384 p., 32,95$<br />
Habile jeu de conteur de la part du<br />
narrateur de ce premier roman aux<br />
mille personnages, dont le plus fort,<br />
le plus intéressant, reste le prota -<br />
goniste central, en quête de stabilité.<br />
Voyage au cœur de l’Amérique actuelle dans une<br />
écriture puissante, cette satire sociale tient un brin du<br />
conte philosophique.<br />
CALIFORNIA DREAM<br />
Ismet Prcic, <strong>Le</strong>s escales, 422 p., 39,95$<br />
D’inspiration autobiographique<br />
mais de portée universelle, ce<br />
roman soulève les souffrances du<br />
déracinement. On y parle d’Ismet,<br />
18 ans, qui, grâce au théâtre, fuira<br />
sa Bosnie natale truffée de bombes, pour atterrir en<br />
Californie. Dur, vrai et juste, ce premier roman est<br />
acclamé depuis sa sortie, et pour cause.<br />
L’APICULTURE SELON<br />
SAMUEL BECKETT<br />
Martin Page, De l’Olivier<br />
112 p., 16,95$<br />
Tout en évoluant dans sa veine<br />
habituelle d’euphorie fantaisiste,<br />
Page se renouvelle avec ce court<br />
roman, mettant de l’avant l’assistant<br />
qu’aurait eu Beckett, cet hurluberlu plus loufoque qu’on<br />
l’avait cru. Maîtrise des mots, du ton, de la surprise : un<br />
hymne réussi à l’image qu’on se crée des écrivains.<br />
LE BLEU DE LA NUIT<br />
Joan Didion, Grasset, 232 p., 29,95$<br />
Touchante incursion dans la fragilité<br />
d’une femme blessée, <strong>Le</strong> bleu de la<br />
nuit aborde la perte, le déclin, la<br />
maladie et l’impuissance. L’écriture<br />
sensible, la lumineuse précision,<br />
l’honnêteté bouleversante : chaque mot compte chez<br />
Didion, chaque mot brille. Comme cette lueur bleue au<br />
crépuscule.<br />
UN NOTAIRE PEU ORDINAIRE<br />
Yves Ravey, De Minuit<br />
112 p., 19,95$<br />
Pourquoi le cousin de madame<br />
Rebernak, revient-il après quinze ans<br />
de prison? Quelles sont les intentions<br />
du notaire envers la fille de madame<br />
Rebernak? Qui, au fond, est le plus à craindre? Dans une<br />
écriture qui s’équilibre entre sobriété, ellipses et<br />
tensions, Yves Ravey construit un récit fragmenté qu’on<br />
ne peut lâcher.<br />
L E L I B R A I R E C R A Q U E<br />
PROFANES<br />
Jeanne Benameur, Actes Sud/<strong>Le</strong>méac,<br />
288 p., 29,95$<br />
On doit à Jeanne Benameur plusieurs<br />
pépites littéraires dont Laver les ombres<br />
et <strong>Le</strong>s insurrections singulières. C’est<br />
donc avec un grand bonheur que l’on<br />
découvre Profanes, nouvelle trouvaille<br />
dans laquelle Octave Lasalle, du haut<br />
de ses 90 ans, réunit quatre personnes<br />
pour prendre soin de lui et de sa<br />
maison. Chef d’orchestre, marionnet -<br />
tiste, manipulateur ou tout simplement<br />
humaniste profond, il souhaite surtout bénéficier de la<br />
présence de ses contemporains pour s’ouvrir une<br />
dernière fois au monde avant sa fin. Octave offre un<br />
spectacle lent et magnifique : l’éclosion de ses quatre<br />
« assistants ». Un texte d’une douce beauté, où chaque<br />
personnage est brossé avec délicatesse et où l’on suit<br />
le développement de l’alchimie d’un groupe, par<br />
petites touches impressionnistes.<br />
PESTE & CHOLÉRA<br />
Tania Massault Pantoute (Québec)<br />
Patrick Deville, Seuil, 222 p. 27,95$<br />
Hong-Kong, 1894. Installé dans une<br />
case en bambou près de l’Alice<br />
Memorial Hospital et muni d’une<br />
malle-cabine garnie d’équipement<br />
scientifique, le jeune pasteurien<br />
bactériologue d’origine suisse<br />
Alexandre Yersin découvre le bacille<br />
de la peste, Yersinia pestis. <strong>Le</strong> livre<br />
raconte ainsi la vie de celui qui<br />
inventa le vaccin contre ce fléau, sa<br />
naissance, ses études, ses premières années à l’Institut<br />
Pasteur à Paris et son installation à Nha Trang en<br />
Indochine, où il mourut durant l’occupation japonaise<br />
de 1943. Patick Deville nous livre le récit passionnant<br />
de cet homme à la fois explorateur, découvreur et<br />
observateur scientifique. Grâce à ce roman, qui a<br />
obtenu le prix Fémina en 2012, l’auteur immortalise la<br />
vie d’un être remarquable.<br />
Michèle Roy <strong>Le</strong> Fureteur (Saint-Lambert)<br />
JE VAIS MIEUX<br />
David Foenkinos, Gallimard, 332 p., 29,95$<br />
Normal d’aller mieux après avoir lu<br />
ce livre : c’est un tel bonheur! Une<br />
douleur au dos soudaine fait réaliser<br />
à un père de famille qu’il est peutêtre<br />
temps de régler certaines<br />
choses dans sa vie. Rempli d’un<br />
humour fin et savoureux qui éclaire<br />
les vicissitudes d’un homme qui<br />
souffre, et qui pourrait être n’im -<br />
porte lequel d’entre nous, ce roman possède aussi la<br />
justesse et la finesse propres à Foenkinos. L’auteur<br />
nous faire comprendre, de l’intérieur, les angoisses, les<br />
deuils et l’espoir vécus au seuil de la quarantaine. Et<br />
toujours cette magie, cette petite poésie du quotidien,<br />
qui vient nous chavirer le cœur ou nous accrocher un<br />
sourire.<br />
Manon Trépanier Alire (Longueuil)<br />
TOUT S’EST BIEN PASSÉ<br />
Emmanuèle Bernheim, Gallimard,<br />
208 p., 27,95$<br />
À 88 ans, après un AVC sévère, le<br />
père d’Emmanuèle Bernheim a<br />
perdu sa mobilité et sa qualité de<br />
vie. Amateur d’art et grand voya -<br />
geur, doté d’une curiosité sans<br />
borne, il se voit contraint à son lit<br />
d’hôpital. Il exprime formellement<br />
sa volonté de mourir et demande à<br />
sa fille de l’assister. Bouleversée, elle<br />
revivra le flot de souvenirs qui l’assaille. Ses relations<br />
avec son père n’étaient pas de tout repos et elle a été<br />
toute son enfance sur le qui-vive, car celui-ci était<br />
suicidaire et mal dans sa peau. Bernheim livre un récit<br />
troublant de sa démarche avec sa sœur pour assister<br />
la mort de leur père.<br />
Dans le flamboyant sillage d’une<br />
agonie sublime, tout un empire pleure,<br />
se déchire et s’étiole en cendres<br />
épaisses et grasses. Toutefois, alors<br />
que certains vendraient jusqu’à leurs<br />
frères d’armes pour un maigre<br />
lambeau des dépouilles opimes du<br />
Grand Alexandre, d’autres n’espèrent<br />
rien tant que d’échapper à l’éclat<br />
aveuglant de son bûcher et de ce qui<br />
s’y consume irrémédiablement. Et toujours, flotte dans<br />
l’air – tel un immuable spectre – un rêve d’Orient et<br />
d’hellénisme, seul legs de l’invincible conquérant à ne<br />
pas connaître les impardonnables souillures de<br />
l’ambition, de la duplicité et de la bassesse des<br />
diadoques. Une œuvre puissante et frénétique, sur le<br />
sens de l’héritage, de la loyauté et de la perte. Gaudé,<br />
encore…<br />
C<br />
Annie Proulx A à Z (Baie-Comeau)<br />
POUR SEUL CORTÈGE<br />
Laurent Gaudé, Actes Sud, 186 p., 25,95$<br />
Édouard Tremblay Pantoute (Québec)<br />
Tom McCarthy, De l’Olivier, 428 p., 34,95$<br />
Une seule lettre en guise de titre<br />
pour un roman dont le langage<br />
est le véritable héros. D’une<br />
ambition phénoménale, C, de<br />
l’Anglais Tom McCarthy, s’attaque<br />
à la symbolique entourant une vie<br />
entière. De la naissance à la mort,<br />
le lecteur traverse, comme des<br />
tableaux en mouvement, les<br />
étapes marquantes de la vie de<br />
Serge Carrefax : son enfance aux côtés des enfants<br />
sourds du pensionnat tenu par son père qui<br />
apprenaient à parler malgré leur handicap; son<br />
adolescence à expérimenter la communication<br />
sans fil; puis, l’âge adulte comme observateur à<br />
bord d’un avion lors de la Première Guerre<br />
mondiale. S’ensuivent une profonde dépendance<br />
à l’héroïne et une fin au Caire. Un roman libéré de<br />
sa forme, jouant avec les mots, répétant des<br />
signes, tissant une toile.<br />
Thomas Dupont-Buist Librairie Gallimard (Montréal)